Le romancier Arnaud Delalande raconte avec le graphiste Éric Liberge la première partie de la vie du cinéaste de « Metropolis » hanté par ses démons. Avec Hitler en ligne de mire.











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Détail de la couverture de l’album Fritz Lang le maudit. Les Arènes BD

Le romancier Arnaud Delalande raconte avec le graphiste Éric Liberge la première partie de la vie du cinéaste de «Metropolis» hanté par ses démons. Avec Hitler en ligne de mire.

C’est un roman graphique éblouissant mais qui fait froid dans le dos. Il débute comme un film de Fritz Lang (1890-1976).

Le 23 septembre 1920, alors que le petit matin se lève sur Berlin, les talons d’une femme claquent sur les marches d’un escalier en colimaçon. Gros plan sur une clef qui s’introduit dans une serrure. Lisa Rosenthal se fige, épouvantée par ce qu’elle vient de découvrir derrière la porte de cet appartement: un couple en pleine étreinte. Ayant surpris son mari avec Thea von Harbou, la coscénariste de ses films, l’épouse de Fritz Lang regagne sa chambre en larmes.

Un coup de feu retentit. Lisa est retrouvée morte d’une balle en pleine poitrine, tirée par le revolver de son mari. Suicide, dispute, ou meurtre né d’un pacte entre deux amants? Une enquête de police est lancée. Fritz Lang sera innocenté, mais son œuvre va rester marquée du sceau de cette culpabilité et par l’ambiguïté de cette mort nimbée de mystère…

Avec un dessin réaliste fouillé, soutenu par une mise en couleur aquarellée rappelant toutes les nuances du noir et blanc du cinéma de l’époque, l’album Fritz Lang le maudit d’Arnaud Delalande et Éric Liberge introduit son sujet par un drame conjugal qui résonnera tout au long de la carrière du cinéaste allemand. Si le tandem Liberge et Delalande se focalise sur cette entrée en matière tragique, c’est que la première partie de la vie du réalisateur de Metropolis a été assombrie de toutes parts.

«Aryen honoraire»

Ce roman graphique, ample et détaillé, plonge dans la période germanique du cinéaste. Issu d’une famille viennoise aisée, Fritz Lang n’était pas destiné à devenir réalisateur. Il désobéit à son père, quitte le domicile parental, se retrouve à Paris où il découvre avec émerveillement le Fantômas de Louis Feuillade. La bande dessinée montre avec justesse que dans l’Allemagne de Weimar, le couple Lang/Arbou construit une œuvre dantesque et visionnaire, de Docteur Mabuse aux Nibelungen en passant par Metropolis ou M le maudit. Mais plus Hitler se rapproche du pouvoir, plus les amants se déchirent. Thea von Harbou est séduite par le «nouveau discours» des «chemises brunes». Lang s’accommode de la montée en puissance hitlérienne jusqu’au jour où Joseph Goebbels lui propose de diriger le cinéma nazi. En sortant de cette entrevue comminatoire où le ministre de Hitler aura suggéré au cinéaste, alors qu’il lui a objecté ses origines juives, qu’il pourrait devenir «aryen honoraire», Fritz Lang n’a qu’une idée en tête: fuir! Le plus loin possible de Hitler «ce petit caporal hystérique» qu’il considèrecomme «notre part de ténèbres, notre Golem, la somme de toutes nos peurs». Le 6 juin 1934, Lang part pour les États-Unis comme l’ont fait avant lui Murnau, Lubitsch, von Sternberg ou von Stroheim…

Et l’on comprend mieux pourquoi, encore aujourd’hui, l’œuvre du maître de l’expressionnisme reste hantée par les démons du Mal avec un «M» majuscule, comme en témoigne le magnifique Chasse à l’homme (Man Hunt), sorti en 1941, dans lequel un chasseur de fauves britannique se met en tête de tuer… Adolf Hitler.

Fritz Lang le maudit, d’Arnaud Delalande et Éric Liberge, 112 p., Éditions Les Arènes BD. 22 €.


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