23 AVRIL 1945, SOUVENIRS

 

LIBERATION

DU CAMP DE ZEITHAIN




Le matin du 22 avril nous nous étions aperçus que nos gardiens étaient partis dans la nuit. Nous en avions déduit que les Russes ne devaient pas être loin. La première conséquence de ce départ fut que nous fîmes plus ample connaissance avec les prisonniers russes. Mais tout ce que nous pûmes en tirer se réduisit à des « Nie poniemaï » c'est-à-dire « moi y en a pas comprendre ». 


 

En second lieu, nous assistâmes à des scènes curieuses : certains prirent la place des sentinelles dans les miradors !... Enfin, ce qui me parut plus astucieux, une équipe s'empara de la cuisine et réussit à la faire fonctionner avec ce qui s'y trouvait encore, ce qui fait que nous eûmes le jus, la soupe et la bibine habituels.  
 
 

 
Quelle ne fut pas notre stupéfaction le lendemain vers 8 h du matin quand nous entendîmes nos guetteurs crier : « les voilà, les voilà, ils arrivent !... » Nous nous précipitons tous pour occuper les postes d'observation les meilleurs et nous découvrons un spectacle hallucinant Une nuée de cavaliers a surgi de l'horizon. Ce sont des cavaliers d'un autre âge, montés sur de petits chevaux rapides à crinière et à longue queue. Ils ont la lance au poing. Ils la tiennent horizontalement. Quand ils sont plus près, nous reconnaissons des faces de mongols avec des moustaches tombantes, coiffés d'un drôle de bonnet de fourrure sur le devant duquel on distingue une étoile rouge. Ces cavaliers sont accompagnés d'artilleurs qui prennent très rapidement position et mettent leurs pièces en batterie. Le Camp est submergé par les nombreux arrivants. Ils se rendent compte que nous ne représentons aucun intérêt pour eux. Malgré tout, leur « intendance » suit. Nous avons droit à une ration de mixture bizarre, à puiser dans un grand récipient, genre « roulante ». C'est l'intermédiaire entre le pot au feu et la choucroute. " Mais c'est quand même meilleur que la soupe de rutabagas. Les Russes ne s'attardent pas et ils poursuivent leur mission. De ce fait, nous avons l'impression d'être vraiment libérés. Aussi sortons-nous du camp au début de l'après-midi, sans but précis, histoire de voir un peu ce qui se passe dans les environs.
 
On nous sert une nouvelle ration de borchtch que nous avalons avec appétit. Notre sortie nous a donné faim. Vers 18 h un rassemblement est ordonné. Ce n'est pas un « appel ». Il s'agit de nous informer que pour ne pas gêner les opérations en cours, nous devons nous préparer à évacuer le camp d'un moment à l'autre et nous diriger sur GRÔDITZ, village situé à une dizaine de kilomètres au nord-est.
 
 

Nous atteignons sans encombre la route qu'empruntaient ces jours derniers les colonnes de réfugiés. Leurs impedimenta sont abandonnés. Nous nous livrons à un pillage en règle mais les Russes sont passés avant nous et il n'y a plus grand chose à récupérer. Nous apercevons non loin de là un village du nom de JAKOBSTAHL. Je pénètre avec quelques camarades à l'intérieur de l'un d'eux et nous tombons sur une réserve phénoménale de sucre. Il y a là des tas immenses de sacs de 50 kilos et des montagnes de pains de sucre. Je remplis mon sac de sucre et comme la journée s'avance, je rentre au camp où je retrouve mes camarades qui sont tout fiers de me montrer le butin de l'expédition dont ils ont rempli de grands hangars ; de mon côté j'ai deux canards et trois lapins «récupérés » dans une ferme. De quoi envisager avec optimisme nos prochains repas.


 


Nous nous mettons donc en devoir de réunir nos affaires d'autant plus rapidement que nos artilleurs russes du matin ont déjà commencé à tirer par-dessus le camp. Nous voyons ainsi en action pour la première fois les fameuses « orgues de Staline ». Sans doute pour ne pas être en reste, ceux d'en face en font autant et notre camp est bombardé par leur artillerie. Un obus traverse même de part en part la baraque où je me trouve, heureusement sans éclater, mais cela suffit à me décider à partir sans emporter tout ce que j'avais prévu de prendre avec moi.

 

Nous sortons donc du camp et nous dirigeons en colonne de pagaille vers le bois voisin. Les combats ont l'air de s'intensifier. Nous voyons des fusées éclairantes, soutenues par des parachutes sans savoir à quel parti elles appartiennent.

 

Après trois heures de marche nous arrivons à CRÖDITZ vers minuit. La place du village est éclairée par les incendies. Dans un grand déploiement de forces, un général russe est arrivé au milieu de nous et nous a harangués d'une manière fort civile sans que nous comprenions un traître mot de son discours. Néanmoins il nous fut résumé sur le champ et il en ressortit que la glorieuse et invincible armée de libération du valeureux peuple russe était heureuse d'avoir pu nous soustraire à l'ignoble tyrannie du monstre nazi, mais que sa tâche n'était pas terminée et qu'elle devait poursuivre sa mission jusqu'à la victoire finale.

 

Et voilà pourquoi je ne laisse jamais passer la fête de saint Georges chaque 23 avril depuis lors sans célébrer le souvenir de cette « libération » d'une manière ou d'une autre…

 

                                                             

Posts les plus consultés de ce blog

ALGÉRIE

ERNEST RENAN

GASTON LAGAFFE