Hedy Lamarr,
née Hedwig Kiesler le à Vienne (Autriche-Hongrie) et morte le à Casselberry (Floride, États-Unis), est une actrice, productrice de cinéma et inventrice autrichienne naturalisée américaine, désignée en son temps comme la « plus belle femme du monde ».
Outre sa carrière au cinéma, Hedy Lamarr a marqué l'histoire scientifique des télécommunications en inventant en collaboration avec le compositeur George Antheil, pianiste et inventeur comme elle, un moyen de coder des transmissions (étalement de spectre par saut de fréquence). Il s'agit d'un principe de transmission toujours utilisé pour le positionnement par satellites (GPS, etc.), les liaisons chiffrées militaires ou dans certaines techniques Wi-Fi.
Hedy Lamarr avait bien d'autres centres d'intérêts que son métier d'actrice (elle disait que les idées lui venaient naturellement[4]) : passionnée de design et inventrice géniale[5].
De ses conversations avec son ami le compositeur d'avant-garde George Antheil, antinazi et antifasciste passionné comme elle[7], naît l'idée d'une invention pour mettre fin, selon elle[5], au torpillage des paquebots de passagers[19]. Il s'agit d'un principe de transmission de signaux, l'étalement de spectre par saut de fréquence[30] (FHSS ou frequency-hopping spread spectrum en anglais). Ce principe est cependant différent de l'étalement de spectre à séquence directe (DSSS), utilisé dans certaines normes Wifi telle que l'IEEE 802.11b.
Lamarr avait pris connaissance des technologies de différentes armes, dont celles de systèmes de contrôle de torpilles, lorsqu'elle était mariée (de 1933 à 1937) à Friedrich Mandl, un très important fabricant d'armes autrichien[30] qui faisait commerce avec l'Heimwehr autrichienne[31].
George Antheil, quant à lui, était familier des systèmes de contrôle automatiques et des séquences de sauts de fréquence, qu'il utilisait dans ses compositions musicales et ses représentations[30], s'appuyant en cela sur le principe des rouleaux de bandes perforées des pianos mécaniques (pianola)[7].
Dans le but d'aider les Alliés dans leur effort de guerre, tous deux proposent en leur invention à une association d'inventeurs dans le domaine, le National Inventors Council (en), puis décident le de déposer le brevet[32] de leur « système secret de communication » (Secret communication system)[33],[34],[35],[36], applicable aux torpilles radio-guidées pour permettre au système émetteur-récepteur de la torpille de changer de fréquence, rendant pratiquement impossible la détection d'une attaque sous-marine par l'ennemi. Ils rendent cette invention immédiatement libre de droits pour l'Armée des États-Unis[30].
Le Bureau des brevets américain détient en effet, cosignée par Hedy Lamarr (sous le nom de « Hedy Kiesler Markey »[c]), âgée de 27 ans, la description d'un système de communication secrète pour engins radio-guidés appliqué par exemple aux torpilles. Le brevet, intitulé Secret communication system (brevet des USA no 2 292 387) du (enregistré le )[32] décrit un système de variation simultanée des fréquences de l'émetteur et du récepteur, selon le même code enregistré (le support utilisé étant des bandes perforées inspirées des cartes des pianos mécaniques[4])[32], où Antheil donne tout le crédit de la partie fonctionnalité à Lamarr, précisant que son travail à lui sur le brevet était simplement technique[5].
Cependant, cette idée était tellement novatrice que la Marine américaine n'en a pas immédiatement saisi l'importance[3] et la trouvant « irréalisable »[5] ; elle ne fut donc pas mise en pratique à l'époque[30],[37], bien qu'il y eût, dans les années 1950, un projet de détection de sous-marins par avions utilisant cette technique[30]. Ainsi, Hedy Lamarr n'indiquera même pas cette invention ni le dépôt du brevet dans ses mémoires sulfureuses[5]. Plus tard, les progrès de l'électronique firent que le procédé fut utilisé — officiellement pour la première fois par l'Armée américaine — lors de la crise des missiles de Cuba en 1962[36],[30] et pendant la guerre du Viêt Nam[30].
Quand le brevet fut déclassé (tombé dans le domaine public) en 1959, ce dispositif fut également utilisé par les fabricants de matériels de transmission, en particulier depuis les années 1980[30],[38]. La plupart des téléphones portables mettent à profit les principes de l'invention de Lamarr et Antheil. Ce principe de transmission, par étalement de spectre par saut de fréquence, est encore utilisé au xxie siècle pour le positionnement par satellites (GPS, GLONASS…), les liaisons chiffrées militaires, les communications des navettes spatiales avec le sol, la téléphonie mobile ou dans la technique Wi-Fi[37],[9].
En 1973, les fondateurs de la première « Journée nationale de l'inventeur » publient un communiqué de presse avec les noms d'inventrices inattendues où figure Hedy Lamarr, la femme qui avait rendu les missiles plus furtifs[5]. Lamarr, âgée alors de 59 ans, en fut surprise, ignorant jusqu'à ce jour que son brevet avait été utilisé ; elle décide d'en obtenir vainement des droits. Mais elle n'a jamais reçu de compensation financière pour son invention (estimée à une valeur de 30 milliards de dollars[21]) malgré ses réclamations, ignorant alors que la législation américaine n'accordait que six années après le dépôt de brevet pour la réclamer et s'entendant souvent encore répondre que son invention n'avait pas servi[4],[39].
En 1997, Hedy Lamarr reçoit le prix de l'Electronic Frontier Foundation américaine pour sa contribution à la société[40],[36],[38],[3]. Vivant alors recluse en Floride, âgée de 82 ans, elle ne se rend pas à la cérémonie, de peur que les gens se moquent de son apparence[39],[38]. L'accusation d'espionnage et de plagiat par Robert Price, historien spécialiste des communications secrètes, contribue à l'oubli de son invention dans la mémoire collective[39]. L'historienne du cinéma Jeanine Basinger (en) estime qu'à une autre époque, Hedy Lamarr « aurait très bien pu devenir une scientifique. C'est une option qui a pâti de sa grande beauté »[3].
Elle compense son amertume contre les magnats du cinéma : « Ils voulaient quelque chose de bon marché et de stupide, dit-elle,... ils voulaient quelque chose de stupide mais j'ai de petites étagères dans mon cerveau »[16]. Dans les années 1970, elle déclare : « Les choses vont par vagues, c'est la vérité, et je dois changer. Alors j'achèterai le yacht... Je suis une personne de l'eau. Dans ma prochaine incarnation, je serai un poisson - une baleine, je pense. Oh, je sais que je vais gagner ! »[16].
Jusqu'à sa mort, Lamarr ne cesse de produire des inventions et laisse derrière elle de nombreux projets ingénieux jetés sur papier[7],[5].
À partir des années 2000, elle devient le symbole de l'innovation et du design ; on célèbre son génie[5]. En 2003, elle figure sur la première de couverture de Dignifying Science: Stories About Women Scientists[41],[5]. Un prix autrichien d'invention porte son nom et son anniversaire le 9 novembre marque la journée de l'inventeur dans les pays germanophones[5].
En 2014, la « plus belle femme du cinéma »[17] et le pianiste George Antheil sont admis au National Inventors Hall of Fame à titre posthume[30],[38].
Sciences
- En 1998, le festival Ars Electronica rend hommage à la star H. Lamarr et à l'inventeur.
- Depuis 2005, on célèbre dans les pays de langue allemande la « Fête des inventeurs » le jour de l'anniversaire de sa naissance, soit le .
Internet
- En 2015, le jour de son anniversaire, le site Google affiche sur sa page d’accueil un doodle consacré à Hedy Lamarr.
- Sur Internet, Hedy Lamarr suscite un véritable commerce puisqu'on y trouve des « robes Hedy Lamarr » et des tee shirts avec la citation « The secret of life is to try everything ».
Notes
- À propos de sa performance dans le film, Hedy Lamarr déclare : « (...) dans cette scène avec les seins, (le réalisateur) a dit : « Personne ne vous verra à part moi ». Comment savoir qu'il utilisait un objectif zoomar ? Mais la scène d'amour était bonne », NYTimes, op. cit.
- Son nom fonctionnait également comme le jeu de mots « Hedy G-lamar » (glamour), « TheHairPin », op. cit.
- « Markey », nom de son mari à cette époque.
- Le magazine Ciné Télé Revue du lui consacre une page, dont voici des extraits :
« Un témoin raconte sa récente arrestation : "Les policiers l'ont presque malmenée. Plus personne ne se souvenait d'elle. Elle clamait à tue-tête son nom, disant qu'elle avait été l'un des piliers de Hollywood, mais personne ne la croyait. Moi-même, je ne l'avais pas reconnue. Triste fin pour un sex-symbol… Je les ai suivis jusqu'au commissariat. Elle fut interrogée comme une voleuse ordinaire. On lui a même pris ses empreintes digitales." […] "deux représentants de l'ordre s'emparent de la femme qui, tête baissée, les suit. Sous son foulard, qui masque sa chevelure, et ses lunettes noires, elle ressemble à un zombie. […] Cette femme a dérobé pour plus de vingt dollars de produits de beauté. […] Son nom : Hedy Lamarr ! Personne n'en croit ni ses yeux ni ses oreilles."
Un psychologue explique : "Hedy Lamarr est kleptomane parce qu'elle est désespérément seule. Il est fréquent qu'une femme, qui a connu la gloire et qui, maintenant, est abandonnée de tous, commette les pires excentricités pour se faire remarquer des autres. C'est sa manière à elle de prouver qu'elle existe encore…" ; selon un psychanalyste, "sa certitude d'avoir volé sa gloire et ses millions de dollars, elle choisit pour en faire l'aveu de se faire arrêter dans un supermarché pour kleptomanie." »
Références
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- Le biographe S. M. Shearer indique qu'elle quitte Vienne pour fuir d'abord vers Paris (par le Trans-Europ-Express) puis passant par Calais, traverse la Manche pour se réfugier à Londres à l'hôtel Regent Palace de Piccadilly Circus.
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- Voir sur americanwarlibrary.com..