Michel Debré sur le chemin sauvage
Comment est née la Constitution de la France libre
Vers la fin de l’été 1942, au cours d’un déjeuner à Ceyrat, à
l’ombre des volcans d’Auvergne, Alexandre Parodi – que Jean Moulin vient
de charger en secret d’organiser le think tank de la
Résistance, le futur « Comité général d’études » –, comprend à demi-mot
que le jeune collègue avec lequel il discute, Michel Debré, a lui aussi
choisi son camp. Tout juste trentenaire, tiré à quatre épingles, Debré a
surtout la réputation d’être un fort en thème : entré major au Conseil
d’État, sorti major de l’École de cavalerie de Saumur, il est
l’archétype du grand bourgeois parisien, fils du célébrissime fondateur
de la pédiatrie française, petit-fils d’un grand rabbin de Neuilly et
d’un peintre pompier qui portraitura le général Boulanger à la revue de
Longchamp. Toutes les raisons de se tenir tranquille, en somme, et
d’attendre que les choses se calment pour éviter de gâcher une carrière
qui s’annonce brillante. Deux mois auparavant, du reste, le 17 juin
1942, comme tous ses collègues du Conseil d’État, Debré a prêté serment
au Maréchal. Pourtant, depuis plus d’un an, il a noué des contacts
discrets avec la Résistance, et commencé à mettre la main à la pâte.
Intérieurement, il a rompu avec le régime – même si il attendra encore
quelques mois pour entrer dans la clandestinité.
Une rupture dont les mécanismes transparaissent dans les nombreux
textes – tous inédits – qu’il rédige à l’époque, généralement sur papier
à en-tête du cabinet du ministre des Finances, comme autant
d’argumentaires ou de confessions, pour lui-même et pour l’Histoire.[...]
*Photo: UNIVERSAL PHOTO/SIPA.00565840_000001
- M. Debré, Trois Républiques pour une France, Mémoires, Albin Michel, 1984, t. 1er, p.179. ↩
- M. Debré, Cahier 8, I DE 1, début 1941 ( Archives Debré, FNSP) ↩
- M. Debré, Mémoires, op.cit. p.153 ↩
- Le statut politique de la France depuis 1875, 1941 ( Archives Debré, FNSP). ↩
- Essai de synthèse politique, février 1942 ( Archives Debré, FNSP). ↩
L’Ondine du Général
Qui est donc la belle inconnue de l’Hôtel de Ville?
Quel âge a-t-elle ? 20 ans, peut-être : elle a encore les joues pleines des adolescentes, la bouche gonflée, joliment peinte et les tressaillements de physionomie des êtres bien élevés, qui gouvernent leurs émotions et y succombent avec retenue. Elle a la chance, le désir d’être là. Comment s’est-elle glissée dans cette foule énorme, assemblée autour d’un homme de haute taille ? Il prononce un discours, mais sans note. Tous l’écoutent, tous sont saisis. Ce qu’ils entendent n’appartient pas au registre de la réunion politique, de l’exhortation de préau, plutôt d’un soliloque à haute voix.
On n’aperçoit pas d’autre présence féminine que la sienne. Elle est ravissante sous son chapeau léger. Son beau regard va de l’un à l’autre, cherchant une furtive complicité de bonheur, puis revient vers le dos, si vaste, de l’orateur. On lit sur son visage les ondes du plaisir que lui procurent les mots de cet homme. Il s’appelle Charles de Gaulle, et cela se passe le 25 août 1944. Quel est le nom de la très jeune femme ?
[...]
*Photo: Discours de l’Hôtel de Ville.1944
- Le film de cette cérémonie : Discours de l’Hôtel de Ville de Paris, 25 août 1944 – charles-de-gaulle.org ↩
- Nous remercions vivement Claude Marmot et Michel Anfrol. Ils n’ont pu, malgré leurs efforts, donner un nom à la jeune femme de l’Hôtel de Ville. Mais l’enquête se poursuit… ↩
- « Giralducien » : de Jean Giraudoux. Ondine, pièce du même, donnée pour la première fois en 1939, par Louis Jouvet. ↩