jeudi 15 juin 2023

 

L’histoire des 24 Heures du Mans en chansons

En 1933, Émile Baudrier et Lucien Cazalis sortent la première Marche des 24 Heures du Mans : A.C.O. Un disque rarissime que nous nous sommes procuré et que vous pourrez écouter au cours de cet article. Jusqu’à l’accident de 1955, la course a assez régulièrement inspiré les auteurs et compositeurs. Le drame a donné un coup d’arrêt à la tradition chansonnière, même si d’autres disques sont quand même sortis depuis.



Pendant des années, les 24 Heures ont eu leurs chansons. Depuis l’accident de 1955, elles sont beaucoup plus rares.
OUEST-FRANCE

Le 15 juin 1933, L’Ouest-Eclair (ancêtre d’Ouest-France) annonce la bonne nouvelle aux Sarthois. Désormais, les 24 Heures du Mans ont leur hymne. Derrière cette toute première  marche officielle des 24 Heures », sobrement intitulée : A.C.O (Automobile Club de l’Ouest, organisateur de la course, NDLR), il y a deux hommes : le parolier Lucien Cazalis –  l’inamovible juge à l’arrivée du Tour de France  – et le compositeur Émile Baudrier, professeur au conservatoire du Mans.  Déjà, en ville, les jazz, les orchestres, les cinémas la font entendre note encore le journal. Samedi et dimanche, elle accompagnera le vrombissement des moteurs et 50 000 personnes la fredonneront. 

Rare disque original de la première « marche des 24 Heures » de 1933. | COLL. PARTICULIÈREoir en ple



Bien vu ! Sur place, avant le départ de la course, le journaliste remarque :  Déjà, dès 15 h, un haut-parleur s’époumone, serinant la fameuse chanson des 24 Heures : A.C.O. Partout chacun essaie sa voix. Baudrier a trouvé la musique qu’il fallait et on ne peut pas dire que les paroles de Cazalis ne soient pas populaires. 

Nous nous sommes procuré un rare exemplaire original de ce tout premier 78 tours, enregistré en 1933 par l’orchestre Idéal et le chanteur Pierre Daragon. Un enregistrement exceptionnel que vous pouvez écouter ici.



Quatre ans de marches

Ce disque qui, selon la presse, a remporté un franc succès, ouvre la joyeuse discographie des 24 Heures du Mans. Dès l’année suivante, en 1934, un nouveau 78 tours sort, comme son prédécesseur, chez Ideal. Émile Baudrier a rempilé à la baguette et le célèbre chansonnier et revuiste manceau, Jem (pseudonyme de Julien Massot), a remplacé Lucien Cazalis au texte. Sur le circuit manceau/Une fois l’an notre ACO/Fait disputer sa ronde infernale/Et le monde entier à sur Le Mans les yeux fixés…



Le chansonnier Jem a souvent signé les paroles des « hymnes » des 24 Heures du Mans. Sa première participation remonte à 1934 avec le titre : 24 Heures du Mans. | COLL. PARTICULIÈREVoir



La chanson évoque des  amoureux remplis d’espoir  qui  dans les sapins vont, cherchant fortune  , raconte la fête au « village » et les beaux rêves  au clair de lune  dans le  bruit des moteurs  La partition originale assure que le disque est  vendu exclusivement aux Dames de France   (aujourd’hui le bâtiment des Galeries Lafayette, rue des Minimes, au Mans) et  pendant le Circuit, aux stands installés aux « Tribunes » et aux « Populaires »  .



Partitions originales de la marche des 24 Heures de 1934 et de la chanson « Autour du circuit » de 1935. | COLL. PARTICULIÈREVoir en plein écran



En 1935, le même tandem récidive chez Cristal, avec une java chantée, Autour du circuit ou Round Mans’Circuit avec un refrain en anglais. En 1936, le parolier Paul Brébant et le compositeur Fernand Warms sortent La ronde des 24 Heures du Mans. Pas sûr que la galette ait remporté le succès escompté, l’édition de 1936 de la course ayant été annulée.

Une samba pour le retour des 24 Heures

En 1949, les 24 Heures du Mans font leur grand retour après dix ans d’interruption. Un hymne très coloré, sorti chez Ambassador, accompagne cette renaissance d’après-guerre. C’est la Samba des 24 Heures  ! Jem est de retour au texte mais la musique est de Maurice Soulodore et d’une compositrice (la première et la seule de cette histoire), Dynah Vakerman.



Les 24 Heures du Mans, ici probablement en 1949, année de la reprise après neuf ans d’interruption. Cette année-là, une « Samba des 24 Heures » accompagne le renouveau. | COLL. PARTICULIÈREVoir en plein én



C’est aussi une femme qui interprète le titre. Elle s’appelle Gaby Guibert et c’est loin d’être une inconnue. En mars 1941, elle avait décroché, au dancing Le Chalet du Mans, le « Prix de la Chanson ». Elle s’est ensuite régulièrement produite dans la région et à Paris, au Petit Casino notamment. En 1947, elle fait même partie de la tournée de la grande vedette du moment : Yves Montand.  Gaby Guibert est une très belle artiste, de classe internationale  écrit un journaliste de L’Ouest-Eclair cette année-là.



Gaby Guibert a, plusieurs fois, chanté les 24 Heures du Mans. Cette image a été restaurée à partir d’une photographie parue dans Ouest-France en août 1955. | OUEST-FRANCE



Le  disque d’essai  est diffusé au magasin Kerner, avenue de la Préfecture (la boutique a disparu aujourd’hui mais elle est encore présente dans les mémoires des Manceaux de longue date), au soir du 9 juin 1949, en présence d’un représentant de l’ACO, de Jem et de la presse.

La samba emballe et est jouée pour la première fois en public, le 19 juin 1949,  sous la halle  de Saint-Calais, à l’occasion du grand bal annuel des anciens prisonniers de guerre. Elle a été interprétée, à deux reprises, par l’orchestre Roger Bisson qui joue également le morceau sur le disque, enregistré au Mans. La première, pour le plaisir, la deuxième  en l’honneur de l’ex-Calaisien Hardy qui pilotera aux 24 Heures sur une 5 CV (sic.) Renault  écrit Ouest-France, le 22 juin 1949. Il s’agit de Camille Hardy qui a participé pour la première fois aux 24 Heures du Mans cette année-là. Il était engagé, avec Maurice Roger, sur la 4 CV Renault n° 57. L’équipage sera contraint à l’abandon après vingt et un tours de piste.

Aux 24 Heures et 24 Heures

En 1950 et 1951, deux nouvelles chansons paraissent. Elles s’appellent Aux 24 Heures et 24 Heures. Toutes les deux ont été écrites par Jem. La première, composée par Géo Kid, est présentée à l’ACO, dans ses locaux de la place de la République, le 20 juin 1950. La deuxième, mise en musique par Victor Gey et interprétée par  la fantaisiste atomique mancelle Gaby Guibert  .

Ouest-France assure une jolie promotion du titre 24 Heures, en le diffusant depuis une voiture publicitaire à ses couleurs dans les villes et villages de la Sarthe.

Toutes ces chansons sont abondamment diffusées sur le circuit en attendant le départ comme l’écrit Ouest-France, le 24 juin 1951 :  Les opérations liminaires s’accomplissent dans la fièvre, tandis que monte un long brouhaha servant de fond aux diffuseurs qui, tour à tour, jettent des consignes, ou… la chanson des « 24 Heures » 1951 ».

En 1954, pas de nouveau disque (tout comme en 1952 et en 1953) mais un  concours de la chanson des 24 Heures  est organisé. Ouest-France l’annonce en quelques lignes sans en donner les règles. Remporté par Georges Hiret, ancien président de chambre de commerce du Mans, choisi parmi une dizaine de concurrents, il connaît  un certain succès »,selon le journal.

Hurrah ! Les 24 Heures ! et le drame de 1955

Puis vient 1955… L’édition noire. Celle de l’accident qui coûta la vie à plus de quatre-vingts personnes. Cette année-là, Jem a écrit Hurrah ! Les 24 Heures ! sur une musique entraînante de Raymond Marquet. La compétition s’annonce fantastique et la chanson, facile à retenir, est sur toutes les lèvres. Ses partitions sont en vente au magasin L’Ambiance, avenue du Général-Leclerc, ainsi que sur le circuit. Et, cerise sur le gâteau, l’achat d’un exemplaire offre une chance de gagner l’un des lots d’un concours dont le premier prix est un poste de TSF. Le jeu est original puisqu’il s’agit d’une chasse à la coquille !  En achetant donc la chanson Hurrah ! Les 24 Heures ! vous emporterez un souvenir musical de la grande épreuve mondiale avec la certitude de gagner quelques beaux lots si vous savez découvrir les coquilles existantes dans les texte, musique et annonce de la chanson  détaille Ouest-France.

Mais, un peu avant 18 h 30, le samedi 11 juin, la Mercedes-Benz de Pierre Levegh se disloque dans les tribunes à l’entrée de la ligne droite des stands, faisant plus de quatre-vingts morts. La course continue pour éviter un mouvement de foule qui aurait rendu difficile le travail des secours, mais la vente et la diffusion de la chanson sont immédiatement suspendues.



Au soir du 11 juin 1955, la voiture de Pierre Levegh se disloque dans les tribunes. Plus de quatre-vingts personnes perdront la vie dans ce drame. | ARCHIVES OUEST-FRANCEVoir en plecr


Bouleversés par le drame, les deux auteurs obtiennent du préfet l’autorisation d’écouler les nombreux invendus, à 100 francs pièce, dans les cinémas de la ville, entre le 15 et le 22 juin,  au bénéfice exclusif des victimes sarthoises et dans le but de soulager certains cas particulièrement douloureux  , précise Ouest-France. À partir de là, Jem n’écrira plus jamais de paroles pour une chanson sur les 24 Heures.

Moteurs et interviews en vinyles

Celles-ci vont d’ailleurs se faire beaucoup plus rares. En juin 1958 sort l’enregistrement Deux tours de cadrans, deux faces de disque mais il s’agit d’un reportage de Georges Fraichard et d’interviews de Claude Joubert, réalisés lors du cinquantenaire de l’Automobile Club de l’Ouest.  Cette image sonore de la plus grande course du monde, comme il est dit dans le préambule, est un 33 tours haute fidélité de 30 cm, double face, passé par Vega. 

Cet enregistrement est accessible en ligne via la bibliothèque sonore de Gallica. L’édition de 1957 a également été enregistrée par une équipe britannique. Elle paraîtra au Royaume-Uni, avec les commentaires de Nevil Lloyd, dans la collection Sound Stories.

Un autre disque d’enregistrements de moteurs et d’interviews réalisés lors des 24 Heures du Mans 1965 paraît en 1966, aux Disques Président puis un autre, The Exciting sounds of Le Mans, enregistré lors de l’édition de 1966, sorti chez London International, en 1967.

En 1981, la société japonaise Teichiku Records sort Les 24 Heures du Mans 1981 suivant la même recette : bruits de moteurs et interviews.

La folle journée d’Armand Moulain

Mais ce n’est que le 5 juin 1964, neuf ans après le drame, qu’une une nouvelle Marche des 24 Heures voit le jour. Le titre phare a été composé par Fred Adison et le reste du 45 tours est occupé par les  leçons du Code de la route  de l’imitateur Jean Valton avec les voix de Darry Cowl, Pierre Fresnay, Michel Simon, Fernand Raynaud, Jean Richard, etc.

En juin 1966, l’accordéoniste semi-professionnel manceau, Armand Moulain,  réussissait l’exploit sans précédent de jouer de l’accordéon en public, debout et sans aucune interruption, pendant toute la durée de la course des 24 Heures du Mans sous le contrôle permanent de M. Lesage, huissier officiel de l’ACO  rappelle Ouest-France en septembre 1968.



En 1966, Ford remporte son duel avec Ferrari et Armand Moulain réalise l’exploit de jouer de l’accordéon pendant 24 heures non-stop. | OUEST-FRANCE
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Le champion est de retour dans la Sarthe pour dédicacer son premier disque, La marche des 24 Heures composée et enregistrée dans l’ambiance authentique de la grande course d’endurance française  . Rappelons que cette année-là, en raison des événements de mai 1968, la course s’est déroulée en septembre.

Le Mans 78, Renault fête sa victoire en disco

Une petite dernière pour la route ? Promis, elle vaut le coup ! Ce titre sorti chez LTD Records après les 24 Heures du Mans 1978, célèbre la victoire 100 % française de la fameuse Renault n° 2 A442B jaune et noire. Il s’appelle Renault sport disco (Le Mans 78) et est co-écrit et interprété par le Monégasque Richard Cavassuto dit Richard Lord.





Cinq ans plus tôt, il avait enregistré dans les célèbres studios d’Abbey Road, à Londres, (Richard est un grand admirateur des Beatles) le titre Rallye Monte-Carlo, son grand tube, vendu à 150 000 exemplaires ! Renault sport disco ne connaîtra pas la même fortune mais c’est quand même un joli souvenir.

15 juin 1943

 Johnny aurait eu 80 ans


Dans une interview accordée aux Inrocks en 2011,  Johnny Hallyday, confiait vouloir mourir à 85 ans.

"J'es­père vivre le plus tard possible. J'ai vu un homme formi­dable dans une salle de sport à L.A. Un mec baraqué, ridé du visage mais bien foutu. Je lui dis 'Vous êtes en forme, vous avez quel âge '. '83 ans' et bien je voudrais arri­ver à ça, 85 ans, pour mes deux petites filles (...) Les deux enfants que j'ai eus, et que j'adore, quand je me suis séparé des mamans, ils ont grandi dans une autre maison, pas la mienne. Alors, je les voyais, bien sûr, mais ce n'est pas pareil. Là, les petites, elles gran­dissent dans ma maison, je les vois tous les jours. Ce sont des joies que je n'ai pas connues avant."

dimanche 11 juin 2023

le puy de Dôme

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REPORTAGE. « C’est notre phare » : avant le Tour de France, le puy de Dôme vu par ceux qui y vivent

À quoi ressemble la vie dans les cols et les vallées du Tour de France, ces villages traversés par le peloton telle une tornade ? Que s’y passe-t-il en dehors de cette journée de juillet pas comme les autres ? Prolongation est allé rencontrer les habitants, toquer à leurs portes, pour qu’ils racontent leur vie si singulière en altitude. Aujourd’hui : le puy de Dôme, absent du Tour depuis 1988, raconté par ses habitants, le prêtre du village d’à-côté et le facteur.

La barrière de péage du puy de Dôme interdit aux cyclistes et aux voitures n’ayant pas un laissez-passer d’accéder à la rampe de 4 kilomètres à 12 %.
OUEST-FRANCE

Le coureur rachitique s’échine sur son vélo, tente de prendre le dessus sur une pente à 12 %, mais rien n’y fait. Il s’arrête. L’aventurier parti à la conquête du puy de Dôme (PDD) ne s’attend pas à recevoir un second crochet au visage, après celui donné par la déclivité impitoyable. Jean-Marc Morvan s’arrête à sa hauteur : « Bonjour, je suis le maire de la commune, vous savez que vous n’avez pas le droit d’emprunter la route en vélo ? »

Surprise de l’accusé, le souffle saccadé par l’effort produit : « J’ai pas vu les panneaux ! Je suis venu de Marseille pour monter. » Même l’âge du fraudeur (70 ans), brandi par celui-ci comme un joker, ne convainc pas le maire du village d’Orcines, commune de 3 500 âmes qui entoure une partie du géant d’Auvergne.

À deux mois du passage du Tour de France, Jean-Marc Morvan s’inquiétait de voir ce genre de situation se multiplier. Des questions de sécurité limitent l’accès à la route de service à quelques ayants droit (secours, employés, etc). Les cyclistes ne peuvent emprunter ce bout de bitume que lors des quelques courses cyclosportives organisées. Certains osent resquiller, en se levant aux aurores pour grimper et redescendre dans les premières lueurs du jour, sans se faire intercepter.

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Depuis 2012, un train à crémaillère, le Panoramique des Dômes, occupe la moitié de cette rampe régulière de 4 km à 12 %. La route s’enroule sur les flancs du PDD, comme un serpent autour de sa proie. Un habitué nous décrit l’expérience : « En partant de Clermont, il faut déjà faire plusieurs kilomètres à 6 % de moyenne avant d’arriver à la partie vraiment dure. C’est déprimant de voir arriver la montée finale, donc tu baisses la tête. »

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« Le puy de Dôme est un ami réconfortant »

Le puy de Dôme, volcan endormi à une dizaine de kilomètres de Clermont-Ferrand, domine les environs du haut de ses 1 465 mètres d’altitude. Le PDD se dégage de l’horizon, détonne et marque les esprits. Le panorama en haut est à couper le souffle, entre la métropole d’un côté et le reste de la chaîne des puys de l’autre. « Chez nous, les posters, on ne les accroche pas aux murs, on les regarde par la fenêtre », glisse avec malice Jean-Marc Morvan, le maire.

Pour les habitants, c’est un « phare ». Lors de notre passage, une dizaine de nos interlocuteurs ont utilisé ce terme pour décrire ce voisin si massif. Vincent*, un habitant d’Orcines, a toujours gardé un regard vers ce « point de référence. On sait qu’on n’est plus dans la région quand on ne voit plus le puy de Dôme, et au retour, c’est la première chose qu’on voit sur l’autoroute. Par sa masse, sa forme et sa puissance, il tranquillise, il apaise. C’est un ami réconfortant, solide, qui ne bouge pas. »

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Toujours à Orcines, nous croisons Céline, juste avant qu’elle ne prenne le bus pour partir travailler à Clermont-Ferrand. Malgré l’habitude de voir ce site naturel à côté de chez elle, la professeure d’université ne se lasse pas de ce relief si particulier : « Quand je vais à la boulangerie, je fais toujours un petit détour pour prendre une route avec une vue dégagée sur le puy de Dôme. Je n’ai pas besoin de passer par là, mais c’est pour le plaisir de le voir, pour l’admirer. C’est un ravissement. »

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Autre témoignage, celui de Maryse Chapeland-Latallerie, qui est passionnée par ce bout de montagne : « On se l’approprie. C’est “mon” puy de Dôme. D’autres Auvergnats ont sûrement le leur aussi, mais c’est le mien. » Depuis sa maison, elle l’observe régulièrement. Le puy de Dôme sert de baromètre, de station météorologique naturelle.  « C’est un peu comme le marin qui regarde la mer, compare-t-elle. Le PDD est différent tous les jours. On regarde le sens des parapentes pour connaître le vent, voir s’il y a du brouillard. C’est presque un être vivant. »

Maryse Chapeland-Latallerie habite au pied du puy de Dôme. Elle porte un amour inconditionnel pour cette montagne si singulière. | OUEST-FRANCE

600 000 personnes par an au sommet

La fascination pour le puy de Dôme fonctionne également sur les touristes, très nombreux à se rendre sur le site. Environ 430 000 personnes empruntent chaque année la gare du train à crémaillère pour monter à 1 465 mètres. Il faut ajouter les randonneurs (entre 150 et 200 000 personnes selon les estimations) qui grimpent en passant par les divers chemins présents sur les flancs du puy.

Marc Mazataud, cheveux courts poivre et sel coiffés en pic, fréquente cet endroit depuis qu’il est tout petit. Cet amoureux de la nature est aujourd’hui accompagnateur en montagne, et le jour de notre passage, vient de guider un groupe de Belges jusqu’au sommet.

Spécialisé dans le volcanisme, il raconte avec passion ce terrain de jeu caractéristique. « Le puy de Dôme est un lieu de vie, le point culminant de la chaîne des puys. Surtout, il a une histoire, avec le temple de Mercure (un temple gallo-romain présent au sommet, construit au IIᵉ siècle) et la légende du Tour de France. Il y a une grosse variété de paysages, c’est riche. Sa formation géologique est particulière, le côté ouest n’a rien à voir avec l’autre partie », raconte celui qui pratique aussi le parapente en tant que moniteur. Ce grand gaillard a réalisé 333 vols en 2022 autour du puy de Dôme, alors il le connaît par cœur : « Il y a une harmonie des formes, des courbes avec une douceur mais aussi une virulence, ce sont des vrais volcans. »

Le sommet du puy de Dôme offre un panorama grandiose. | OUEST-FRANCE

Retour quelques centaines de mètres en contrebas. Sur la place du village d’Orcines, à côté de la mairie et de l’église, Yann Berger, un des facteurs du coin à la barbe grisonnante, est en train de réaliser sa tournée. La commune, qui s’étend sur un large territoire de 45 km², a la particularité d’être composée de 17 villages et lieux-dits, éparpillés autour du volcan.

Comme ses collègues, le facteur ne monte plus au sommet du puy de Dôme pour livrer le courrier, notamment pour la station hertzienne militaire. Celle-ci située tout en haut est gérée par l’armée de l’air et le ministère de l’Intérieur. « Dans le temps, c’était le cas ! Les jours de neige, les facteurs montaient en ski. Mais maintenant, les boîtes sont au niveau de la gare du train à crémaillère, on ne monte plus. »

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Pour l’homme de 44 ans, ce dôme de lave de 11 000 ans est « un repère, un monument qu’on voit de loin, une ancre ». Ravi de voir revenir le Tour de France dans la région, Yann vante la vie de son village : « Il y a un sentiment de bien-vivre, d’entraide. On est à la campagne. C’est une vie tranquille, à cinq kilomètres d’une grande ville. »

Orcines est désormais un « village dortoir », selon Vincent*, qui ne le dit pas avec un ton péjoratif : « Les lieux n’ont plus rien à voir avec une époque où il y avait beaucoup d’agriculteurs qui cultivaient sur les hauteurs. Aujourd’hui, la plupart des habitants travaillent dans la plaine, à Clermont. »

« Aucune règle de l’Unesco n’interdisait le passage du Tour »

Au petit matin, vers 8 h 30, Clair-Émile Sarr fait les cent pas devant la petite église de Laschamps, commune voisine d’Orcines. Le prêtre attend les fidèles, avant de commencer son office une demi-heure plus tard. Il patiente en regardant son téléphone portable alors que la commune semble encore endormie.

L’homme de 61 ans est arrivé dans la région en septembre. Pour les trois prochaines années, il participe à une coopération missionnaire entre le diocèse de Clermont-Ferrand et celui de Kaolack, au Sénégal, son pays d’origine. Un vendredi par mois, il est dans la petite commune juste à côté du puy de Dôme, pour continuer de faire vivre ces chapelles. « On est trois prêtres sur les paroisses d’Aubière et de Beaumont (situés au sud de Clermont), avec un Français et un Indien, glisse-t-il, en regardant le volcan endormi derrière ses lunettes. Je n’ai pas encore eu le temps de monter en haut du puy de Dôme, mais c’est au programme. On m’en a déjà souvent parlé : les gens en sont fiers. Ça fait partie des sites à ne pas manquer en Auvergne. »

Pour lui, le Tour de France est une découverte. Il sera sûrement sur le bord de la route pour suivre cet événement. Le 9 juillet 2023 marque le retour d’un mythe dans le plus grand événement sportif annuel. Et la fin d’une trop longue absence pour les habitants des environs du cratère. La Grande boucle n’était pas repassée par ces pentes depuis 35 ans. Les raisons ? D’abord, la construction du train à crémaillère sur une partie de la route, pour limiter le trafic routier engendré par le tourisme. Mais le puy de Dôme a obtenu également des labels (Grand site de France en 2008, puis l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco en 2018). Jean-Yves Gouttebel, président du département entre 2004 et 2021, a mis en avant à de nombreuses reprises que ces certifications ne permettaient plus un passage du Tour.

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Un argumentaire qui n’a pas convaincu certains passionnés. Une association « Pour le retour du Tour de France au puy de Dôme » a été créée en 2019, avec un trio à sa tête : Maurice Lahanque, Jean Tiberghien et Maryse Chapeland-Latallerie. Les trois amis savaient qu’ils avaient un soutien de poids dans leur entreprise : Christian Prudhomme (directeur de la course) raconte à l’envi l’anecdote selon laquelle il a écrit « Objectif puy de Dôme » sur son ordinateur pour son premier jour à ASO, en 2004.

Maurice Lahanque (co-président « Pour le retour du Tour de France au puy de Dôme »), Jean-Marc Morvan (maire d’Orcines) et Jean Tiberghien (deuxième co-président, ancien conseiller technique sportif de cyclisme de la région Auvergne entre 1983 et 2013). | OUEST-FRANCE

Maurice Lahanque, co-président de l’association, y a cru dur comme fer. « Il y avait des obstacles politiques, mais j’étais convaincu qu’il n’y avait pas de fatalité, confie l’homme, très engagé dans la vie sportive de Clermont-Ferrand. Aucune règle de l’Unesco n’interdisait le passage du Tour. On a nous-même appelé l’Organisation pour avoir la confirmation. »

Celle qui a passé ce fameux coup de fil, c’est Maryse Chapeland-Latallerie, secrétaire de l’association « Pour le retour du Tour de France au puy de Dôme ». Elle habite à Laschamps, tellement près du puy de Dôme que depuis le sommet, elle pointe du doigt sa maison. Cette femme de 65 ans est pleine d’énergie. « J’ai un petit vélo dans la tête », assume-t-elle.

Maryse nous présente une photo publiée dans un numéro de la revue Cyclisme international, daté d’août 1986. Elle a photocopié l’article et l’a collé dans un petit cahier. En 1986, c’est l’avant-dernier passage du Tour de France (avant 1988). La version féminine de la Grande boucle, qui devançait les messieurs de quelques heures, est donc passée par le PDD. Sur le cliché, la cycliste Nathalie Pelletier, maillot tricolore sur le dos et bidon Coca-Cola sur le vélo, bataille contre la pente en s’accrochant à sa guidoline jaune vif. Une femme court à ses côtés, petit short, veste Adidas : c’est Maryse. Son regard est rivé sur le pédalier de la coureuse, les encouragements fusent.

Elle ne le savait pas encore, dans ce moment capturé par le photographe, mais Maryse Chapeland-Latallerie passera dans l’autre rôle l’année suivante, en participant au Tour de France 1987. Le pic de sa carrière sportive et des souvenirs impérissable pour l’Auvergnate : « La foule était déjà là pour nous, avant les hommes. Quand tout le monde s’écarte sur votre passage dans les cols, c’est magique. Je suis toujours émue d’en parler 35 ans plus tard. » C’était une autre époque, avec une professionnalisation du peloton féminin quasiment inexistant. « J’avais pris des jours de congé pour faire le Tour », glisse l’ancienne infirmière.

Les coureurs arriveront au sommet du puy de Dôme par une route abrupte. | OUEST-FRANCE

Aujourd’hui, Maryse a besoin de se sentir au plus près du géant de la chaîne des puys : « J’ai habité 10 ans à Clermont (à 10 km), j’ai trouvé que c’était trop loin. J’ai besoin de pouvoir enfourcher mon VTT, enfiler mes baskets et retrouver le puy de Dôme. Je monte en footing au moins une fois par semaine. J’estime être grimpé plus de 1 000 fois en haut, rien qu’en courant. »

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Depuis 2019, elle était persuadée de voir le retour du Tour de France sur ses terres. « Le PDD mérite son auréole. Aujourd’hui, le but est atteint. Maintenant j’espère un jour voir les femmes remonter aussi. C’est une nouvelle bataille. » Le record féminin de la montée en compétition, qu’elle revendique, sera peut-être battu, mais tant pis.

* Le prénom a été modifié.

« La vraie vie dans les cols mythiques du Tour de France », votre série Prolongation de juillet, est de retour pour une saison 2. Tous les articles sont à retrouver ici :

Épisode 1. « J’ai quitté l’enfer pour le paradis » : la vie au pied de l’Aspin et du Tourmalet (mardi 4 juillet)

Épisode 2. « Il faut aller chez le médecin avant d’être malade » : la vie dans le col de Soudet (mercredi 5 juillet)

Épisode 3. « On a ici la culture du risque » : Cauterets, son unique route et ses craintes (jeudi 6 juillet)

Épisode 4. « C’est notre phare », le puy de Dôme vu par ceux qui y vivent

Épisode 5. « John Kerry s’est arrêté devant ma ferme » : la vie dans le col de Joux Plane (samedi 15 juillet)

Épisode 6. « On a encore la vie de village » à Brides-les-Bains, au pied du col de la Loze (mercredi 19 juillet)

Les épisodes de la première saison de « La vie dans les cols du Tour de France » (Granon, Croix de Fer, Hautacam…) sont toujours disponibles ici.

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