ZEITHAIN - du 10 au 24
avril 1945 -
Grand camp composé de baraques pourries, sales, dans
lesquelles il pleuvait. Outre celles qui nous étaient réservées et qui étaient
séparées des autres par des barbelés, il y en avait, à une distance de 20 à 30 mètres,
de nombreuses autres où étaient hébergés les survivants du ghetto de Varsovie, au nombre
d’un millier environ, vieillards, femmes et même quelques enfants.
Nourriture très insuffisante et détestable. La situation
devenait si critique et dangereuse qu’à partir du 20 avril et jusqu’au 29 mai 1945, j’ai
pris des notes au jour le jour que j’ai mises au net pendant mon séjour à Bunzlau, je n’avais
jamais pris de notes auparavant. Je les résume de la manière suivante :
20 avril : anniversaire de Hitler. Très gros bombardement
américain d’un dépôt de munitions situé à 3km du camp et sur la gare de Zeithain,
explosions formidables qui se succèdent jusqu’à 3 heures du matin le lendemain.
21 avril : Dans la journée, pas d’appel. Les officiers
allemands quittent clandestinement le camp, ne laissant qu’une garde réduite qui se
retire discrètement pendant la nuit suivante. Le camp s’organise en "unités de
combat-sans armes-. Je suis désigné, à toutes fins utiles, comme interprète d’allemand,
le lieutenant de Lipski (d’origine polonaise) comme interprète pour le russe. Toute la
journée, d’interminables colonnes de réfugiés allemands passent à proximité du camp.
22 avril : Au réveil, plus de garde allemande. Drôle d’impression
pour des prisonniers pendant cinq ans. Les contacts s’organisent avec les groupes voisins
russes (350 travailleurs, nombreux malades), avec les polonais de Varsovie (environ 1.000
hommes, femmes et enfants en état pitoyable), avec le groupe italien (environ 1.700 dont
beaucoup malades). Les quelque 1.700 italiens internés dans ce camp étaient d’anciens
soldats ou travailleurs qui, après la défection de l’Italie, avaient refusé de
combattre ou de travailler pour l’Allemagne et qui étaient aussi maltraités que les
Polonais de Varsovie. Le Colonel Gaillard prend le commandement de l’ensemble (2.000
officiers + 3.000 étrangers). Pillage de dépôts allemands : chaussures, linge de mauvaise
qualité, dont les prisonniers n’avaient jamais rien perçu. Réserve 4 jours de vivres
—pommes de terre uniquement -
Le soir, les combats se rapprochent, passage de chars allemands, tirs de
mitrailleuses toute la nuit.
23 avril : A l’aube, vers 4 ou 5 heures du matin,
apparition de nuées de cosaques appuyés de chars russes (1er corps automécanisé de
Sibérie dit "Garde de Staline"). Petits chevaux rapides, toujours au trot vif. De
nombreux cosaques viennent au camp. Une sentinelle allemande qui ne s’était pas sauvée
et s’était cachée dans une dépendance du camp, fut découverte et séance tenante
abattue par une rafale de mitraillette d’un cosaque. Leurs officiers sont des russes
blancs, tous très grands en uniformes impeccables.
Nous avions la chance d’avoir parmi nous un lieutenant
nommé Lipski, agrégé de littérature, un homme de grande culture, d’origine polonaise
et qui parlait parfaitement la langue russe. Auparavant il nous avait fait des cours de
littérature anglaise de haut niveau suivis par de très nombreux auditeurs au camp IV D .
Au moment de l’arrivée des Russes et pendant tout le trajet, il nous a rendu de grands
services. En 1988, j’ai appris, par le Figaro, son décès alors qu’il était devenu un
personnage important dans les services des Nations Unies à New-York.
Toute la matinée, défilé ininterrompu d’unités d’artillerie,
de cavalerie cosaque, de colonnes de ravitaillement. Vers 7 heures du matin, passage des
premiers prisonniers allemands, suivi du reflux de colonnes de réfugiés allemands qui n’avaient
pu passer l’Elbe au pont de bateaux ou au bac de Strehla à 5 km du camp. Des colonnes de
déportés polonais commencent a se former et à partir vers l’est, avec les attelages et
les chargements des réfugiés allemands qui en sont dépouillés.
A 8 heures, passage de femmes ukrainiennes ou juives
polonaises (Varsovie) qui avaient bivouaqué depuis janvier, en plein
air, dans un petit bois à 300 ou 400 mètres du camp. Figures rendues méconnaissables
par la crasse, la maladie et la sous-alimentation. Je m’entretiens avec deux d’entre
elles, d’un excellent milieu, parlant un très bon français.
Vers 17 heures, un fort groupe de soldats allemands (chars
et infanterie) qui n’avait pu passer l’Elbe se retranche dans un petit bois à 1 km du
camp. Les Russes n’arrivent pas à les réduire. Une heure plus tard, les Allemands
essaient de s’emparer du camp, mais un "orgue de Staline", arrivé entre temps,
réussit à les anéantir.
Peu à peu, on arrive à mieux connaître la situation
dans laquelle nous nous trouvons. Nous avons été libérés par l’extrême pointe de l’avance
russe. Après la percée réussie après de durs combats à Spremberg-Forst, la cavalerie
russe et quelques régiments de chars ont foncé rapidement à 100 km de là, jusqu’à l’Elbe,
mais laissant en derrière eux de nombreuses unités allemandes.
A 20 heures, l’ordre arrive pour tous les occupants du
camp de se replier d’urgence vers l’est. Départ précipité, mais en bon ordre, à
pied. Toute la nuit, tirs saccadés, à droite et à gauche, lueurs d’incendie partout à
l’horizon, des Cosaques mettent le feu à tous les villages. Dans une forêt, des femmes
allemandes se terrent, une jeune femme pleure son bébé mort dans sa voiture d’enfant,
etc.
Vers 1 heure du matin, arrivée à Gröditz où nous passons la nuit, mais
la colonne s’étend déjà sur des kilomètres.
24 avril : 9 heures,
départ de Gröditz, jolie petite ville qui n’a pas souffert. Vers midi, arrivée à
Elsterwerda, traces de durs combats dans toute la ville. Pont détruit. Tous les autres
villages traversés abîmés et pillés.
Vers 17 heures, passage à Plessa, où une femme allemande
nous sert pain, lard et café. Le long de la route de Plessa à Muckenberg, nombreux
cadavres S.S. allemands, déchaussés, tenant encore leur pantalon sans bretelles.
Dans une grande ferme, un sous-officier du ravitaillement
russe fait emmener porcs et gros bétail, en menaçant la seule jeune femme présente, la
propriétaire, de l’égorger si elle ne lui cède pas la nuit suivante.
Le lendemain, on apprend que Plessa a été attaqué
pendant la nuit par un groupe de 20 chars et 300 S.S. allemands qui ont massacré tous les
ex-prisonniers russes qui sont tombés dans leurs mains et emmènent quelques camarades
français, relâchés par la suite. LANCIEUX, fatigué, était resté à Plessa, tandis que
j’avais poursuivi ma route jusqu’à la localité suivante.
25 avril : trajet
Muckenberg-Senftenberg (25km). Nous longeons les grandes usines de Schwarzheide, avec de
belles cités ouvrières, toutes abandonnées et pillées. Avant d’arriver à Schwarzheide,
énormes usines de lignite en feu. Grosse briqueterie. Maisons luxueuses des directeurs et
chefs de service, pillées en partie.
26 au 28 avril : Séjour à
Senftenberg sur l’ordre des autorités russes qui ne savent pas encore où nous diriger.
Distribution d’un pain russe par prisonnier jusque-là nous avons vécu exclusivement sur
le pays.
Dans une maison de Senftenberg, j’ai découvert, dans la
cave, 2 bouteilles de cognac français, des stocks de draps, de linge, de chaussures, de
nombreux insignes hitlériens. C’était le logement d’un nazi important que je fais
visiter aux femmes restées sur place.
Le séjour à Senftenberg s’explique aussi par la
situation militaire non encore stabilisée de la région. Kamenz, à une trentaine de
kilomètres au sud, change plusieurs fois de main, la région est infestée de groupes
allemands isolés. Seuls les grands axes sont à peu près assurés. Passage incessant de
colonnes russes, énorme matériel d’artillerie, chars, unités de cosaques, etc. Dans les
clairières des forêts, nous croisons des voitures typiques de cosaques avec leurs femmes
et parfois des enfants qui suivent leurs maris une vingtaine de kilomètres derrière le
front.
Le 26 avril, 6 italiens
indisciplinés qui ne se rangeaient pas assez vite devant un convoi d’artillerie russe,
sont tués sur le coup et de nombreux autres blessés.
Le 28 avril, trois femmes et
plusieurs enfants habitant la maison où nous sommes installés, rentrent d’un exode très
pénible, le mari de l’une d’elles a trouvé la mort dans l’affaire de Flessa. Les
russes faisaient la chasse aux femmes pour les violer, celles-ci très apeurées se
regroupent pour la nuit dans une pièce, condamnée par celle ou nous couchons. Irruption de
soldats russes pendant la nuit, nous réussissons à les repousser. De tels incidents se
sont produits plus d’une fois le long de la route. Les femmes nous suppliaient de les
protéger. Je ne connais aucun cas où les officiers français n’aient assuré cette
protection. Après 5 ans de captivité, nous ressentions un grand respect pour les femmes,
fortement idéalisées.
29 avril : étape Senftenberg-Jessen :
- 20 km.
30 avril : étape
Jessen-Spremberg-Wolfshaür 29 km. Spremberg, centre des combats de la percée russe, ville
terriblement abîmée.
Wolfshaür, petit hameau envahi par une foule énorme de
toutes nationalités, sans cesse grossissante par l’afflux de nombreux travailleurs ou
prisonniers.
1er mai : étape
Wolfshaür-Muskau-Priebus -30 km. Les vivres de route commencent sérieusement à manquer.
Les maisons visitées pour se ravitailler ont toutes été déjà fouillées, de nombreuses
fois avant notre passage. Muskau, totalement détruite. Après Müskau, route de corniche
dominant une immense vallée remplie de fumée ; il s’agit d’une usine de lignite en
feu. Les installations ont plusieurs kilomètres de long.
A Priebus, arrêt pour la nuit dans une maison abandonnée
et pillée, comme tout le village, et occupée par de nombreux polonais et italiens. Dans
une pièce infecte, un jeune polonais est en train d’agoniser, sans que personne, dans le
tohu-bohu général, ne s’en occupe. D’ailleurs, il n’y a ni service médical, ni
service de ravitaillement, ni aucune liaison avec quiconque. Aucun secours à attendre pour
les malades. Atmosphère incroyable, correspondant peut-être à certaines époques des
grandes invasions du Moyen-Age. Une jeune femme polonaise trouve un italien à son goût et
passe la nuit avec lui.
2 mai : il pleut et il neige. Je
suis très fatigué et reste à Pribus.
3 mai :
Priebus-Saran-Saqan-Petersdorf -35 km. Départ, seul, à 3 heures du matin. Miraculeusement,
je rencontre vers 10 heures, sur la route, un groupe de trois soldats français qui
descendent de la région de Cottbus. Ils avaient déniché un cheval blessé au pied et une
charrette. Ce sont le brigadier Autechaud Louis, de Nanterre, les soldats Dumery Albert, d’Orléans
et Gondouin Etienne d’Avignon. Très débrouillards, joyeux lurons, ce sont d’excellents
compagnons de route. Ils possèdent des provisions : pain, bocaux de conserve,
légumes, etc. Ils ont même un appareil photo. C’est pourquoi, chose incroyable,
je possède une photo envoyée, après mon retour, de notre attelage où je figure, très
amaigri, ne pesant sans doute à ce moment, pas plus de 35 kg. Arrivée à Sagan, au début
de l’après-midi, ville presque entièrement détruite; on nous avait indiqué, plus ou
moins clairement, Sagan comme terminus ; mais une rue de la ville désignée comme
"concession française" est archi-comble et l’on nous oblige à nous diriger
plus à l’est jusqu’à Bunzlau.
Arrêt, le soir, à Petersdorf, 5 km de Sagan, dans une
maison pillée de fond en comble. Arrivée vers 21 heures, dans cette localité, d’une
colonne d’environ 3.000 prisonniers allemands. Gardes russes assez débonnaires.
Nombreuses occasions de fuite dont aucun ne cherche à profiter -abattement, fatigue, peur
des russes-. Ils n’ont surtout pas la mentalité de vieux prisonniers, tout comme nous en
1940.
4 mai : Petersdorf-Sprottau-Oberleschen
22 km Gros convois militaires vers l’ouest - colonnes interminables de civils polonais,
russes, etc. travailleurs dans les usines et les fermes, d’ex-prisonniers vers l’est.
Sur les quelque 20 millions d’étrangers envoyés de force dans le Reich, russes et
polonais refluent maintenant vers l’est, consommant, pillant et cassant tout sur leur
passage.
De leur côté les soldats russes que nous rencontrons,
délestent à leur tour les prisonniers français de leurs montres, souvent des alliances,
même des ceinturons. Des scènes cocasses se produisant : parfois certains soldats ou
travailleurs français exhibent leur carte du PCF, qu’ils avaient réussi à conserver
dans les usines et les fermes, chose qui aurait été impossible dans un oflag, bien entendu
sans le moindre succès. L’expression "nous", employée dans ce récit depuis le
début, correspond à un petit groupe formé par le lieutenant Albert BERNARD de Suippes,
décédé quelques années après la Libération, le lieutenant MOULIN, mon camarade
LANCIEUX de la Banque et moi-même. La colonne des officiers français s’étirait peu à
peu, sur des kilomètres, mêlée à des groupements les plus hétéroclites de travailleurs
déportés en Allemagne, etc..
5 mai : Oberleschen-Bunzlau
- 25 km Au cours de cette ultime étape s’est produite une mesure très importante le tri,
par les Russes, de la horde indescriptible qui refluait vers l’est. Dans une gare dont je
ne me rappelle plus le nom, toutes les charrettes surchargées de butin : literie,
linge, meubles, provisions, des Polonais et Ukrainiens rentrant dans leur pays qu’ils
savaient dévasté, furent arrêtées et leurs occupants, hommes et femmes, dépouillés,
entassés, sans ménagement sur des plates-formes ouvertes de wagons de chemin de fer qui n’étaient
pas prêts à partir de suite.
D’autres tris ont dû être effectués, car seuls les
prisonniers français ont pu entrer à Bunzlau qui se trouve à 45 km à l’est de
Görlitz. La ville, assez importante, avait été volontairement épargnée de tout
bombardement ou incendie. C’était, après la retraite de Russie de Napoléon 1er, le
siège du Grand quartier Général du Maréchal KOUTOUSOV. Il y est peut-être mort. Je ne
me souviens plus exactement. Sa statue se trouvait devant la Mairie.
Cela n’empêchait pas les soldats russes de commettre
des vols individuels. Je me souviens d’avoir vu au cimetière de Bunzlau beaucoup de
tombes fracturées pour voler les alliances en or.
Les Russes ne s’occupant pas de notre ravitaillement en
nourriture, la grande affaire quotidienne était de trouver des vivres. Les trois soldats
français qui m’avaient recueilli sur la route de Sagan à Petersdorf, me sont restés
attachés pendant le séjour à Bunzlau. Le matin, chacun de nous allait explorer les caves
des maisons des différents quartiers. On y trouvait des pommes de terre, parfois des pots
de confiture, rarement d’autres conserves. On se croisait dans les caves avec d’autres
"chercheurs".
Un jour, j’ai découvert une jeune femme seule,
affamée, avec deux petits garçons, qui se terrait dans une cave et n’osait en sortir.
Comme je parlais allemand, j’ai dû lui apparaître comme un sauveur, non seulement je l’ai
respectée, mais pendant le reste de mon séjour, je l’ai approvisionnée aussi bien que j’ai
pu.
Les prisonniers français qui avaient dépassé Bunzlau ne
purent plus revenir et furent dirigés sur Odessa et n’arrivèrent en France qu’au mois
d’août. Ceux qui s’étaient arrêtés à Bunzlau, devaient rester groupés en
cantonnements fixes. Un recensement individuel eut lieu, tant du côté du commandement
français que de celui des Russes. Comme ceux-ci n’arrivaient pas à écrire mon nom
prononcé, soit à la française, soit à l’allemande, je fus immatriculé sous le nom de
"Kalinine" Des incidents semblables, parfois pires, eurent lieu pour des
prisonniers s’appelant Martin ou Dupont.
Les Russes, à la suite d’une visite éclair d’un
aviateur français du groupe Normandie-Niemen s’étaient engagés à nous fournir un
ravitaillement régulier. A part une distribution de pain pendant un ou deux jours, ils se
désintéressaient complètement de notre sort ; pour les Russes staliniens, nous étions
des déserteurs.
Initialement, il y avait un cantonnement d’environ 1.100
soldate et sous-officiers dans une usine ; un autre de 380 officiers dans l’immeuble de la
mairie dont le commandement me fut confié, avec le Lt. Moulin comme adjoint. Comme il en
arrivait toujours d’autres, cette belle organisation ne résista pas longtemps et la
débandade à la recherche d’un logement commença.
D’ailleurs, la Mairie, intacte à l’extérieur, avait
été complètement pillée et dévastée, mobilier cassé, renversé, papiers d’état
civil, livres fonciers, recette municipale et autres services, répandus sur plus d’un
mètre d’épaisseur sur la so1. À deux ou trois, nous essayons vainement, en travaillant
du matin au soir, de sauver les pièces essentielles et de faire le nettoyage.
Dans la nuit du 7 au 8 mai, violent incendie dans
un grand immeuble de commerce de droguerie face à la Mairie, pour une cause restée
inconnue. Beaux actes de courage de la part des Russes et des requis français : 8
officiers qui logeaient dans le magasin furent difficilement sauvés, 5 autres brûlés vifs
devant de nombreux témoins impuissants.
Dans la nuit du 8 au 9 mai, vers 1 heure du matin,
éclatent brusquement des tirs de tous les soldats russes dans la ville en même temps que
se déclenche un feu d’artifice extraordinaire de fusées de toutes couleurs. Des soldats
tirent sans arrêt, vidant chargeurs sur chargeurs de leurs fusils, mitraillettes,
mitrailleuses. On devine que c’est la fin de la guerre, mais c’est seulement le
lendemain que l’on apprend la capitulation sans condition de l’Allemagne dans la
journée du 8 mai.
Pour nous autres, ex-prisonniers, la joie est immense,
mais nous savons que nous ne sommes pas rentrés dans nos foyers et que plus de 150
km nous séparent de la rivière de l’Elbe et que les moyens de communication pour y
parvenir sont détruits, que nous restons coupés du monde extérieur : les Russes ne
montrent aucun signe de libération prochaine ; les camarades restés à Cölditz avaient
été libérés fin avril dans de meilleures conditions par les américains.
11 mai : je fête, non sans une certaine
inquiétude, le 9ème anniversaire de mon mariage.
12 mai, : je donne ma
démission du commandement du camp de la mairie et me mets à la recherche d’un logement
plus confortable. Je le trouve dans l’immeuble de la Reichsbank, 12 Bahnhofstrasse.
Désordre indescriptible, pillage complet, coffres-forts ouverts au chalumeau, tous les
tiroirs répandus par terre, meubles fracturés, etc. L’évacuation par le personnel avait
dû être précipitée. L’appartement du directeur est cependant pratiquement intact beaux
tableaux au mur, salle de bains intacte. Je prends un bain et me pèse pour la première
fois : 39 kg..
20 mai, : Pentecôte. Belle
messe dans l’église catholique absolument intacte. Nombreuse assistance d’ex-prisonniers.
Eglise richement décorée, de style baroque a11emand -
21 mai, : réveil à 5
heures du matin. Ordre de se préparer immédiatement pour le départ. Constitution de
compagnies de départ. 17 heures, départ pour la gare. Entassement à 57 par wagons à
bestiaux. Départ du train à 4 heures le lendemain matin. Le train roule jusqu'à 6h30, s’arrête
à Kohlfur. Arrêt jusqu’à 17 heures, puis marche normale jusqu’à 6 heures. Arrêt
définitif à Beutersitz (près de Falkensberg).
23 mai : On reprend la
marche à pied à 9 heures du matin, direction Torgau s/Elbe. Après une vingtaine de
kilomètres, direction Mühlberg, marche très pénible sous une pluie battante. Après
reprise de notre route à 21 heures, arrêt à 24 heures dans une petite localité où les
russes nous offrent un bon repas chaud. Je tombe de fatigue.
La région que nous traversons n’a pas beaucoup souffert
de la guerre, elle est occupée par des troupes russes très disciplinées. Pas de pillage,
pas de vexation de la population, rien de comparable avec la région précédente,
pratiquement dépeuplée et pillée sans merci.
24 mai : Le camp de Mühlberg
étant surchargé, on nous met en rouge et l’on tourne en rond pendant toute une journée
jusqu’au village et camp de Kôssdorf.
Depuis notre départ de Zeithain, nous sommes sur les
routes, sans ravitaillement régulier, sans cantonnement préparé, mangeant et logeant à
la bonne fortune. On est à 30 km de Torgau, parqués dans un camp russe où des camions
américains déversent des ex-prisonniers (ou travailleurs) russes et chargent, nombre pour
nombre des ex-prisonniers français.
Les ex-prisonniers russes sont immédiatement repris en
main par des commissaires militaires qui les haranguent et les traitent comme déserteurs.
Sous d’immenses portraits de Staline et de Koniev. Pour beaucoup d’entre eux, c’est le
début d’un nouveau vrai calvaire.
25 mai : Chargés sur des camions américains, nous franchissons enfin l’Elbe à Torgau sur un pont
en bois qui vient d’être construit. Tout le monde pousse un immense soupir de
soulagement. Du côté américain, nous passons aussitôt dans un système perfectionné
de désinfection :
1ère salle : déshabillage, remise de tout
vêtement, linge, objets personnels pour désinfection
2ème salle : des infirmiers habillés
comme des scaphandriers nous aspergent par pulvérisation de grandes quantités de
désinfectant et nous font attendre ainsi le temps nécessaire pour son action,
3ème salle : douche intense et prolongée,4ème salle: séchage à l’air chaud,
5ème salle : reprise des vêtements et objets désinfectés et échange du linge hors d’usage,
Ensuite seulement, restauration à volonté.
27 mai : Anniversaire de mon
fils Gérard. Rassemblement à 7 heures, organisation modèle en groupe de 40. A 8 heures,
départ en camions pour LEIPZIG, traversons la ville. Enormes destructions par l’aviation
alliée. Dans nos camps, nous ne pouvions imaginer l’étendue des dégâts.
Embarquement dans un train à une gare de la banlieue de
Leipzig. Environ 4 000 partants civils et militaires. Passons par Zeitz, Weissenfels,
Naumburg, Weimar, Erfurt, Eisenach. Toute ces villes avaient terriblement souffert. Le train
s’arrête souvent : 200 km dans la journée.
28 mai : 8 heures du matin,
arrivée à Fulda. Gare complètement détruite ; entonnoirs gigantesques, des wagons
éventrés par centaines, réduits en miettes.
Déjà avant-hier, en pénétrant dans la zone
américaine, nous avons pu constater la différence des conditions de vie de la population
allemande dans les deux zones. Dans la russe, villes et villages dépeuplés fuyant devant l’invasion.
Peu de gens (surtout femmes et enfants) restés, ou revenant. Apeurés, femmes violées,
vivant dans l’anxiété. Adultes masculins de 15 à 60 ans arrêtés. Pas de
ravitaillement. Anarchie et arbitraire, sauf dans la zone d’une trentaine de kilomètres
à l’est de Torgau occupée par une division d’élite de russes blancs.
Chez les Américains, énormément de population
civile circulant librement. Sans doute, beaucoup de réfugiés de l’est. Population
endimanchée. Malgré les grosses destructions, les gens paraissent heureux de vivre.
Beaucoup d’hommes valides, libres. Nous avons croisé un seul camp de prisonniers
allemands d’environ 3.000-4.000 hommes. Sur 1es routes, beaucoup de jeunes en civil
ou même encore en uniforme allemand. Aucune trace de pillage.
De 10 heures du matin à 21 heures, arrêt en gare
de Hanau, près de Francfort. Lors d’un bombardement en mars, 10.000 des 40.000 habitants
auraient péri. Pendant l’arrêt dans cette gare, passage d’un train de rapatriés
russes, surtout de jeunes filles ukrainiennes, excessivement libres d’allure, boulottes,
riantes, se faisant copieusement peloter par leurs compagnons de route.
29 mai - 1er juin :
Le train cherche un passage sur le Rhin. A 17 heures, traversée du train à Offenbach
sur un pont reconstruit par le Génie américain voie unique du Rhin à Mayence dont le
quartier situé sur la rive droite du Rhin complètement rasé. Le train repart lentement
vers Sarrebruck. Arrêts prolongés à Worms, Kaiserslautern et Sarrebruck.
2 juin : Arrêt forcé
faute de train, d’une journée à Sarreguemines où je vais voir une partie de ma famille
dont j’étais sans nouvelles depuis 5 ans. Une de mes cousines, Berthe Mosser a été condamnée
à mort par les nazis pour avoir hébergé un aviateur australien. Détention dans les pires
conditions pendant deux ans dans une prison de Berlin, libérée in extremis et rapatriée
depuis peu de semaines.
Note : Le calvaire de ma cousine ainsi que l’exécution à la
hache, par les Nazis, du prêtre et des hommes impliqués dans l’affaire de l’aviateur
australien Russel NORTON sont décrits en détail dans les pages 111 à 120 du Tome I de
"La Tragédie Lorraine’ de Eugène HEISER- Editions Pierron- Sarreguemines 1979.
3 et 4 juin :
Démobilisation à Sarrebourg - Longues formalités (Curieusement, pour les officiers tant d’active
que de la réserve, les autorités voulaient savoir s’ils avaient constaté, durant la
"drôle de 3uerre", ou en captivité, quelque chose méritant d’être signalé
Ce n’était pas vrai dans mon cas. De toute façon, le
fait est que la carrière des officiers d’active prisonniers a été stoppée net au
profit de ceux qui avaient combattu ou fait partie de la RESISTANCE.
Formation d’un train spécial.
5 et 6 juin : arrivée à Paris
très tard. Passé la nuit dans le métro et la gare d’Austerlitz, faute de train. Le
lendemain, départ pour Blois. Retrouvailles avec ma famille sur le quai de la gare, avec ma
femme, mes fils Gérard, 9 ans et Bernard, 5 ans que je n’avais vu qu’une seule fois, à sa
naissance, en février 1940.
ATTESTATION concernant KLEIN Paul, François, classe 1923