TEMOIGNAGE



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Le 15 avril 1944, notre départ de Tost pour le camp IV D, départ entraîné par l’avance des troupes russes, a eu lieu dans des conditions mémorables. Appel dans la cour à 6 heures du matin dont je me souviens d’autant mieux qu’à l’appel de mon nom "Oberleutnant KLEIN" prononcé à l’allemande, je n’ai pas bougé, ni au second. Au 3e appel je m’avance tranquillement en disant que je m’appelais KLEIN prononcé à la française. L’officier allemand faillit attraper une attaque. Ceci simplement pour caractériser la situation tendue entre les gardiens et nous.
A la gare, les S.S. nous obligèrent à enlever nos chaussures et nous poussèrent dans des wagons à bestiaux où des soldats allemands nous passaient des menottes aux poignets, ce qui ne s’était jamais fait jusque là. Je dois dire que l’armée allemande régulière nous a toujours traités convenablement (je ne parle pas de la nourriture).
A la gare de Tost, beaucoup de trains militaires venant du front ou se dirigeant vers l’est, passaient à côté de notre train qui resta immobilisé durant plusieurs heures. Les troupes allemandes étaient abattues. Ostensiblement, je leur montrais mes menottes. Gênés, tous détournaient le regard. Dans chaque wagon de notre train, il y avait des sentinelles armées. Au bout d’un quart d’heure, j’avais trouvé le moyen d’enlever mes menottes et mes compagnons en faisaient autant. Les sentinelles n’ont aucunement réagi.
OFLAG IV D à HOYERSWERDA (100km au nord de DRZSDE)
 
Avril 1944 à février 1945 -
 
Immense camp existant depuis 1940, composé d’une douzaine de grandes baraques en bois de chaque côté d’une large allée centrale. Double enceinte de barbelés électrifiés avec miradors, tous les cinquante mètres. Sas d’entrée et de sortie à chaque bout de l’allée centrale avec poste de garde important.
L’oflag IV D s’était distingué, en 1941, (bien avant notre arrivée) par une évasion spectaculaire. Dans le plus grand secret, 30 officiers (toute une "section") s’étaient confectionné des uniformes allemands teintés en feldgrau dans des draps de lit et autres tissus et fabriqué des casques allemands an carton-pâte, parfaitement imités. En plein jour J, la colonne s’était mise en marche dans la grande allée centrale du camp sous le commandement de l’un d’eux qui hurlait les ordres, tout à fait à la prussienne. Arrivés devant la grille d’entrée (les "sas" n’existaient pas encore), il ordonna aux sentinelles d’ouvrir la porte, ce qu’elles firent aussitôt, tant les apparences de la régularité étaient respectées. Une fois dehors et hors de vue, la troupe se dispersa, passa toujours en uniforme les montagnes séparant le Brandebourg-sud de la Slovaquie. De là, ils passèrent par la Hongrie jusqu’en Bulgarie, pays qui n’était pas en guerre.
Pour arriver jusque là, fait extraordinaire, chaque petit groupe s’adressait exclusivement dans les églises aux prêtres catholiques, en leur demandant sous le sceau de la confession aide et renseignements Aucun de ceux-ci ne les a trahis, mais secourus de leur mieux. En Bulgarie, après s’être déclarés, ils ont été internés, mais dans des conditions infiniment meilleures qu’en Allemagne.
Avec les 1.200 prisonniers arrivant de Tost, l’effectif s’est élevé au camp IV D à quelque 6.500 officiers prisonniers. Paysage : plaine de Saxe absolument plate sans abri ni relief. Localité : HOYERSWERDA, invisible, à 2 ou 3 km du camp.
Tous les prisonniers de Tost appréciaient, comme il convient, le retour dans un camp organisé de longue date, doté d’une université, d’une bibliothèque, de salles de conférence, de lieux de culte (catholique et protestant) absolument remarquables. Parmi tant de prisonniers, on trouvait d’éminents spécialistes dans tous les domaines imaginables : scientifiques, littéraires, artistiques, etc.
Les prisonniers venus de Tost étaient cependant les plus montés contre les Allemands par ce qu’ils avaient enduré dans ce camp. Dans la baraque voisine de la mienne, un certain nombre d’officiers commençaient à préparer une grande évasion. Ayant décloué les planches du sol de la baraque, ils se mirent à creuser avec de simples cuillères, un boyau permettant à un homme de passer. La distance jusqu’au réseau de barbelés entourant le camp était d’environ 25m auxquels il fallait ajouter la largeur du réseau de barbelés d’environ 8m; le tout, jour et nuit, sous la surveillance des miradors.
Or, le sol était de sable peu consistant risquent de s’effondrer à chaque instant et d’ensevelir l’équipe en train de creuser à la lueur d’une bougie. De place en place, le boyau était étayé de planches des lits prises sur les couchettes superposées. La difficulté était d ‘évacuer le sable extrait et qui fut répandu au-dessous du plancher de la baraque. Chaque jour, il fallait reconstituer entièrement l’aspect des lieux parce que les fouilles étaient incessantes, mais en captivité, le temps ne compte pas !
Si incroyable que cela puisse paraître, ce travail périlleux avait progressé jusqu’à la ligne des barbelés qui non seulement étaient électrifiés mais comportaient en outre des postes d’écoute acoustique qui se sont déclenchés lorsque le boyau atteignit cet endroit. Ce fut un beau tollé dans le camp : enquêtes, fouilles, appels prolongés à l’extérieur à titre de sanction.
Finalement la moitié des occupants de cette baraque furent envoyés au camp de représailles de STETIN sur la Baltique où se trouvait le propre fils de STALINE, un ivrogne et un propre à rien. Bientôt, on sut au camp IV D que la nourriture et le traitement dans ce camp dit de représailles étaient bien meilleurs qu’au IV B parce que la Croix Rouge Internationale réservait des faveurs spéciales à ces camps spéciaux. Voir ci-après mon séjour au camp de COLDITZ -
Chaque baraque au IV D logeait 250 prisonniers en lits à 2 places. Le premier soin consistait à cloisonner l’espace intérieur grâce aux lits, en petites cellules de 8 à 12 personnes, effectif des diverses popotes dans lesquelles jouait une solidarité totale, sans oublier les inconvénients de la promiscuité, totale elle aussi.
La liaison avec les autorités du camp était assurée par un "Conseil d’Administration" de 10 membres portés à 12 par l’entrée de 2 nouveaux membres représentant Tost. Par la "vox populi" (sans aucun vote), je fus désigné comme l’un des deux. Le Conseil était présidé par un inspecteur des Finances, De MONTREMY. Le rôle du Conseil était, en fait, moins que consultatif, mais la fonction revendicative et protestataire n’était pas négligeable.
La nourriture "officielle" était la même qu’à Tost, mais les colis arrivaient régulièrement. Jusqu’à juillet-août 1944 où à la suite des destructions par les bombardements aériens, les envois de colis s’espacèrent de plus en plus jusqu’à leur disparition totale. A ce moment, les difficultés sérieuses ont commencé.
Nous étions parfaitement renseignés sur l’évolution de la situation militaire. Les Allemands avaient installé des haut-parleurs pour la diffusion des ordres intéressant tout le camp et les communiqués du Grand quartier Général allemand. En dehors de cela, il existait au moins 5 ou 6 postes clandestins dont les informations étaient diffusées par relais à l’intérieur des baraques. Des fouilles, les plus acharnées, tout le monde dehors pendant des heures, n’ont jamais réussi à supprimer cette source d’informations. Il est vrai que, dans les grandes occasions, on sacrifiait volontiers un ou deux récepteurs, aussitôt remplacés par des spécialistes qui ne manquaient jamais.
Des spécialistes, il y en avait de toute sorte. Des décorateurs avaient aménagé (comme déjà à Märhrisch-Trübau) une belle chapelle avec un autel au-dessus de tout éloge et des vitraux que le maître verrier Max INGRAND avait exécutés à l’aide de cellophanes de couleur des colis. Il y avait aussi une petite chapelle pour les protestants.
A ma connaissance, depuis le début de la captivité, tous les prisonniers assistaient régulièrement aux offices et cérémonies religieuses avec beaucoup de ferveur. Le camp IV D comptait plusieurs dizaines de prêtres, officiers de réserve comme les autres et les messes se succédaient sans arrêt. A Pâques et à la Toussaint, les messes étaient parfois célébrées à l’extérieur des bâtiments.
J’étais très lié avec l’un de ces prêtres, l’Abbé Gilles BARTHE. Avant la guerre, professeur de philo et directeur diocésain des oeuvres catholiques du Tarn. Il nous a fait tout un cours de philosophie très remarquable et un jour, je lui ai dit que ‘si j’étais pape, je le nommerais Evêque'. Il a pris la chose plutôt mal, ce qui ne l’a pas empêché, quelques années après la libération, de devenir Evêque de Monaco (où il a célébré le mariage du Prince avec Grâce Kelly), puis de Toulon-Fréjus (l’atmosphère de Monaco lui déplaisait souverainement).
L’hiver 1944/1945 a été extrêmement froid. Pendant tout le mois de janvier 1945, le thermomètre descendait à moins 30° la nuit pour remonter, à midi, à moins 10°. Quand il s’est enfin fixé à zéro degré, on a eu vraiment chaud et l’on s’est débarrassé des manteaux et pulls. Pour le chauffage des baraques, on n'avait que deux seaux de lignite par jour, la chaleur animale faisait le reste.
En février 1945, devant l’avance de l’armée russe, le camp fut dispersé en plusieurs détachements. Il ne restait sur place que 600 officiers environ, considérés comme inaptes à la marche.
Je faisais partie de la colonne d’environ 3.000 à 3500 officiers dirigés sur le camp de COLDITZ, à 190 km à l’ouest de Hoyerswerda, trajet entièrement fait à pied, dans les pires conditions de fatigue et de dénuement, encadrés par des S.S. hongrois qui traitaient sans ménagement les retardataires complètement épuisés, mal nourris, passant les nuits à même le sol dans des hangars, des fermes etc. J’ai dû abandonner en cours de route tout ce que je portais sur moi linge, couverture, jusqu’au missel et une collection inestimable et unique en son genre de lagermarks (monnaie de camp) que j’avais eu beaucoup de peine à réunir pendant les années de captivité.
Mais c’est incroyable ce que le moral permet de taire dans de telles circonstances !
Souvent notre colonne croisait des colonnes de réfugiés civils allemands, chariots chargés de femmes, d’enfants, de literie, un spectacle tout à fait semblable à celui des réfugiés sur les routes de France en juin 1940.
Dans les localités traversées, la population qui restait et jusqu’aux écoliers, creusait des tranchées, charriait des munitions etc. La panique était générale et renforcée par des placards omniprésents, avec le slogan "Siegen oder Sibirien’ (vaincre ou la Sibérie)
Je ne me rappelle plus au bout de combien de jours nous arrivâmes à Colditz, qui nous apparut comme un havre de paix et de sécurité.
COLDITZ. Oflag IV C
fin février au début avril 1945
En Saxe occidentale, à environ 10/15 km à l’ouest de l’Elbe.
Grand château fort du Moyen-Age (genre Haut Koenigsbourg en Alsace) , mais sur une colline moins élevée qu’en Alsace, puissamment fortifié.
Ce camp servait de lieu de détention à des prisonniers-otages parmi les plus précieux que les Allemands avaient réussi à capturer (le Comte Lascelles, neveu de la Reine d’Angleterre, Randolph, le fils de Churchill, des aristocrates anglais, des aviateurs anglais, américains, canadiens, le Général Bor, héros de la résistance polonaise, etc. ) Tout ce beau monde, au total environ 200 personnes, était royalement installé dans les immenses pièces du château.
Au moment où notre colonne affamée, loqueteuse, épuisée, arrivait à Colditz, chacun des occupants antérieurs possédait une armoire pleine de conserves, de chocolat, de café, de cigarettes, etc., car le camp considéré comme "camp de représailles" était particulièrement soigné par la Croix Rouge.
La première mesure prise fut de partager le camp en deux, une moitié pour les "200 familles", l’autre pour les 3.500 officiers français, chacun de ceux-ci recevant un emplacement au sol de 2 mètres carrés, bien entendu, sans lit ni couverture ni quoique ce soit d’autre.
Je n’oublierai jamais d’avoir assisté, un soir, le ventre creux, à la préparation du dîner par le Comte Lascelles lui—même et ses intimes, avec des pommes de terre (fraîches) sautées au lard et tout ce qu’il fallait pour un repas simple, mais substantiel.
Du côté français, la situation était dramatique. Près des poubelles, il y eut des bagarres autour des tas d’épluchures de rutabaga. Pour s’alimenter coûte que coûte, de nombreux prisonniers assaillaient sans cesse les gardiens allemands, en leur proposant tout ce qu’ils possédaient (alliances comprises).
Pour les autorités allemandes, comme pour les prisonniers anglais, la conduite des officiers français -c’était d’ailleurs mon avis en partie- manquait de dignité et devenait choquante (chocking) et intolérable. Car avant comme après notre passage au camp, tout se passait à merveille du coté anglais. Un des gardiens allemands m’a expliqué le système, en me demandant d’intervenir pour essayer d’appliquer une méthode analogue pour les prisonniers français.
De longue date, les Anglais avaient chargé un seul des leurs de traiter avec un seul allemand, tout le monde feignant d’ignorer ce qui se passait à l’ombre. Le café, nescafé, chocolat, cigarettes américaines s’échangeaient, à un cours fixé d’un commun accord, contre des pommes de terre, des fruits et des légumes et tout ce que les Anglais pouvaient désirer (à l’exception évidemment des récepteurs radio et de matériel d’évasion).
Du coté français, on avait rien à offrir. Dans ces conditions, il était inévitable que le pire allait se produire entre les deux groupes de prisonniers. L’incident majeur éclata en mars 1945, alors que fut annoncée l’arrivée d’un wagon chargé de vivres de la Croix Rouge à la gare proche du camp. Un immense espoir s’était aussitôt levé chez les prisonniers français de voir leur cauchemar prendre fin.
Avant d’en arriver là,, il faut insister sur l’exploit que représentait le fait d’avoir fait parvenir de Suisse à Colditz un wagon destiné à un oflag quand on songe aux effroyables destructions que l’aviation alliée avait causées dans la quasi totalité de l’Allemagne, à quelques mois de la capitulation.
Contrairement aux déclarations de "camaraderie de combat" faites à notre arrivée, les Anglais opposèrent un refus catégorique à partager quoi que ce soit du wagon de vivres "qui avait été expédié, bien avant notre arrivée, à leur camp tel qu’il fonctionnait à ce moment-là". Des négociations orageuses eurent lieu à la suite desquelles le Colonel commandant la partie française, réunissait tous les officiers français pour leur expliquer la situation. De son exposé, je n’en retiendrai qu’une phrase : " J’avais cru avoir à faire à des gentlemen, je n’ai rencontré que des marchands ! " (Après la guerre, les Anglais ont publié un livre dithyrambique, qui a donné lieu une série de films de télévision, sur les exploits (tentatives d’évasion spectaculaires) et le comportement héroïque de leurs chers prisonniers pendant leur captivité à Colditz. Sans nullement mettre en doute ni leur courage, ni leur patriotisme pendant cette période dont j’ignore tout, je crois pouvoir dire qu’ils se sont conduits vis-à-vis de nous comme les derniers des "salauds’. Dans le livre en question, les cinq semaines de "cohabitation" sont passées pratiquement sous silence.
La suite n’a pas traîné. Puisque les Français étaient manifestement trop mal logés et qu’ils étaient "invivables’ aux yeux des Allemands comme des Anglais, le mieux était de faire partir la moitié d’entre eux, le plus tôt possible, vers un autre camp.
C’est ainsi que le 9 avril 1945, environ 2.000 officiers français, dont je faisais partie, prirent la route, à pied, pour le camp de Zeithain, vers l’est, situé à prés de 10 km de Riesa sur l’Elbe, à l’est de ce fleuve qui, peu de temps après, deviendra la frontière entre deux mondes. Si la distance à parcourir n’était pas bien grande, la marche sur 20 à 30 km n’était pas moins pénible.
ZEITHAIN - du 10 au 24 avril 1945 - 
Grand camp composé de baraques pourries, sales, dans lesquelles il pleuvait. Outre celles qui nous étaient réservées et qui étaient séparées des autres par des barbelés, il y en avait, à une distance de 20 à 30 mètres, de nombreuses autres où étaient hébergés les survivants du ghetto de Varsovie, au nombre d’un millier environ, vieillards, femmes et même quelques enfants.
Nourriture très insuffisante et détestable. La situation devenait si critique et dangereuse qu’à partir du 20 avril et jusqu’au 29 mai 1945, j’ai pris des notes au jour le jour que j’ai mises au net pendant mon séjour à Bunzlau, je n’avais jamais pris de notes auparavant. Je les résume de la manière suivante :
20 avril : anniversaire de Hitler. Très gros bombardement américain d’un dépôt de munitions situé à 3km du camp et sur la gare de Zeithain, explosions formidables qui se succèdent jusqu’à 3 heures du matin le lendemain.
21 avril : Dans la journée, pas d’appel. Les officiers allemands quittent clandestinement le camp, ne laissant qu’une garde réduite qui se retire discrètement pendant la nuit suivante. Le camp s’organise en "unités de combat-sans armes-. Je suis désigné, à toutes fins utiles, comme interprète d’allemand, le lieutenant de Lipski (d’origine polonaise) comme interprète pour le russe. Toute la journée, d’interminables colonnes de réfugiés allemands passent à proximité du camp.
22 avril : Au réveil, plus de garde allemande. Drôle d’impression pour des prisonniers pendant cinq ans. Les contacts s’organisent avec les groupes voisins russes (350 travailleurs, nombreux malades), avec les polonais de Varsovie (environ 1.000 hommes, femmes et enfants en état pitoyable), avec le groupe italien (environ 1.700 dont beaucoup malades). Les quelque 1.700 italiens internés dans ce camp étaient d’anciens soldats ou travailleurs qui, après la défection de l’Italie, avaient refusé de combattre ou de travailler pour l’Allemagne et qui étaient aussi maltraités que les Polonais de Varsovie. Le Colonel Gaillard prend le commandement de l’ensemble (2.000 officiers + 3.000 étrangers). Pillage de dépôts allemands : chaussures, linge de mauvaise qualité, dont les prisonniers n’avaient jamais rien perçu. Réserve 4 jours de vivres —pommes de terre uniquement -
Le soir, les combats se rapprochent, passage de chars allemands, tirs de mitrailleuses toute la nuit.
23 avril : A l’aube, vers 4 ou 5 heures du matin, apparition de nuées de cosaques appuyés de chars russes (1er corps automécanisé de Sibérie dit "Garde de Staline"). Petits chevaux rapides, toujours au trot vif. De nombreux cosaques viennent au camp. Une sentinelle allemande qui ne s’était pas sauvée et s’était cachée dans une dépendance du camp, fut découverte et séance tenante abattue par une rafale de mitraillette d’un cosaque. Leurs officiers sont des russes blancs, tous très grands en uniformes impeccables.
Nous avions la chance d’avoir parmi nous un lieutenant nommé Lipski, agrégé de littérature, un homme de grande culture, d’origine polonaise et qui parlait parfaitement la langue russe. Auparavant il nous avait fait des cours de littérature anglaise de haut niveau suivis par de très nombreux auditeurs au camp IV D . Au moment de l’arrivée des Russes et pendant tout le trajet, il nous a rendu de grands services. En 1988, j’ai appris, par le Figaro, son décès alors qu’il était devenu un personnage important dans les services des Nations Unies à New-York.
Toute la matinée, défilé ininterrompu d’unités d’artillerie, de cavalerie cosaque, de colonnes de ravitaillement. Vers 7 heures du matin, passage des premiers prisonniers allemands, suivi du reflux de colonnes de réfugiés allemands qui n’avaient pu passer l’Elbe au pont de bateaux ou au bac de Strehla à 5 km du camp. Des colonnes de déportés polonais commencent a se former et à partir vers l’est, avec les attelages et les chargements des réfugiés allemands qui en sont dépouillés.
A 8 heures, passage de femmes ukrainiennes ou juives polonaises (Varsovie) qui avaient bivouaqué depuis janvier, en plein air, dans un petit bois à 300 ou 400 mètres du camp. Figures rendues méconnaissables par la crasse, la maladie et la sous-alimentation. Je m’entretiens avec deux d’entre elles, d’un excellent milieu, parlant un très bon français.
Vers 17 heures, un fort groupe de soldats allemands (chars et infanterie) qui n’avait pu passer l’Elbe se retranche dans un petit bois à 1 km du camp. Les Russes n’arrivent pas à les réduire. Une heure plus tard, les Allemands essaient de s’emparer du camp, mais un "orgue de Staline", arrivé entre temps, réussit à les anéantir.
Peu à peu, on arrive à mieux connaître la situation dans laquelle nous nous trouvons. Nous avons été libérés par l’extrême pointe de l’avance russe. Après la percée réussie après de durs combats à Spremberg-Forst, la cavalerie russe et quelques régiments de chars ont foncé rapidement à 100 km de là, jusqu’à l’Elbe, mais laissant en derrière eux de nombreuses unités allemandes.
A 20 heures, l’ordre arrive pour tous les occupants du camp de se replier d’urgence vers l’est. Départ précipité, mais en bon ordre, à pied. Toute la nuit, tirs saccadés, à droite et à gauche, lueurs d’incendie partout à l’horizon, des Cosaques mettent le feu à tous les villages. Dans une forêt, des femmes allemandes se terrent, une jeune femme pleure son bébé mort dans sa voiture d’enfant, etc.
Vers 1 heure du matin, arrivée à Gröditz où nous passons la nuit, mais la colonne s’étend déjà sur des kilomètres.
24 avril : 9 heures, départ de Gröditz, jolie petite ville qui n’a pas souffert. Vers midi, arrivée à Elsterwerda, traces de durs combats dans toute la ville. Pont détruit. Tous les autres villages traversés abîmés et pillés.
Vers 17 heures, passage à Plessa, où une femme allemande nous sert pain, lard et café. Le long de la route de Plessa à Muckenberg, nombreux cadavres S.S. allemands, déchaussés, tenant encore leur pantalon sans bretelles.
Dans une grande ferme, un sous-officier du ravitaillement russe fait emmener porcs et gros bétail, en menaçant la seule jeune femme présente, la propriétaire, de l’égorger si elle ne lui cède pas la nuit suivante.
Le lendemain, on apprend que Plessa a été attaqué pendant la nuit par un groupe de 20 chars et 300 S.S. allemands qui ont massacré tous les ex-prisonniers russes qui sont tombés dans leurs mains et emmènent quelques camarades français, relâchés par la suite. LANCIEUX, fatigué, était resté à Plessa, tandis que j’avais poursuivi ma route jusqu’à la localité suivante.
25 avril : trajet Muckenberg-Senftenberg (25km). Nous longeons les grandes usines de Schwarzheide, avec de belles cités ouvrières, toutes abandonnées et pillées. Avant d’arriver à Schwarzheide, énormes usines de lignite en feu. Grosse briqueterie. Maisons luxueuses des directeurs et chefs de service, pillées en partie.
26 au 28 avril : Séjour à Senftenberg sur l’ordre des autorités russes qui ne savent pas encore où nous diriger. Distribution d’un pain russe par prisonnier jusque-là nous avons vécu exclusivement sur le pays.
Dans une maison de Senftenberg, j’ai découvert, dans la cave, 2 bouteilles de cognac français, des stocks de draps, de linge, de chaussures, de nombreux insignes hitlériens. C’était le logement d’un nazi important que je fais visiter aux femmes restées sur place.
Le séjour à Senftenberg s’explique aussi par la situation militaire non encore stabilisée de la région. Kamenz, à une trentaine de kilomètres au sud, change plusieurs fois de main, la région est infestée de groupes allemands isolés. Seuls les grands axes sont à peu près assurés. Passage incessant de colonnes russes, énorme matériel d’artillerie, chars, unités de cosaques, etc. Dans les clairières des forêts, nous croisons des voitures typiques de cosaques avec leurs femmes et parfois des enfants qui suivent leurs maris une vingtaine de kilomètres derrière le front.
Le 26 avril, 6 italiens indisciplinés qui ne se rangeaient pas assez vite devant un convoi d’artillerie russe, sont tués sur le coup et de nombreux autres blessés.
Le 28 avril, trois femmes et plusieurs enfants habitant la maison où nous sommes installés, rentrent d’un exode très pénible, le mari de l’une d’elles a trouvé la mort dans l’affaire de Flessa. Les russes faisaient la chasse aux femmes pour les violer, celles-ci très apeurées se regroupent pour la nuit dans une pièce, condamnée par celle ou nous couchons. Irruption de soldats russes pendant la nuit, nous réussissons à les repousser. De tels incidents se sont produits plus d’une fois le long de la route. Les femmes nous suppliaient de les protéger. Je ne connais aucun cas où les officiers français n’aient assuré cette protection. Après 5 ans de captivité, nous ressentions un grand respect pour les femmes, fortement idéalisées.
29 avril : étape Senftenberg-Jessen : - 20 km.
30 avril : étape Jessen-Spremberg-Wolfshaür 29 km. Spremberg, centre des combats de la percée russe, ville terriblement abîmée.
Wolfshaür, petit hameau envahi par une foule énorme de toutes nationalités, sans cesse grossissante par l’afflux de nombreux travailleurs ou prisonniers.
1er mai : étape Wolfshaür-Muskau-Priebus -30 km. Les vivres de route commencent sérieusement à manquer. Les maisons visitées pour se ravitailler ont toutes été déjà fouillées, de nombreuses fois avant notre passage. Muskau, totalement détruite. Après Müskau, route de corniche dominant une immense vallée remplie de fumée ; il s’agit d’une usine de lignite en feu. Les installations ont plusieurs kilomètres de long.
A Priebus, arrêt pour la nuit dans une maison abandonnée et pillée, comme tout le village, et occupée par de nombreux polonais et italiens. Dans une pièce infecte, un jeune polonais est en train d’agoniser, sans que personne, dans le tohu-bohu général, ne s’en occupe. D’ailleurs, il n’y a ni service médical, ni service de ravitaillement, ni aucune liaison avec quiconque. Aucun secours à attendre pour les malades. Atmosphère incroyable, correspondant peut-être à certaines époques des grandes invasions du Moyen-Age. Une jeune femme polonaise trouve un italien à son goût et passe la nuit avec lui.
2 mai : il pleut et il neige. Je suis très fatigué et reste à Pribus.
3 mai : Priebus-Saran-Saqan-Petersdorf -35 km. Départ, seul, à 3 heures du matin. Miraculeusement, je rencontre vers 10 heures, sur la route, un groupe de trois soldats français qui descendent de la région de Cottbus. Ils avaient déniché un cheval blessé au pied et une charrette. Ce sont le brigadier Autechaud Louis, de Nanterre, les soldats Dumery Albert, d’Orléans et Gondouin Etienne d’Avignon. Très débrouillards, joyeux lurons, ce sont d’excellents compagnons de route. Ils possèdent des provisions : pain, bocaux de conserve, légumes, etc. Ils ont même un appareil photo. C’est pourquoi, chose incroyable, je possède une photo envoyée, après mon retour, de notre attelage où je figure, très amaigri, ne pesant sans doute à ce moment, pas plus de 35 kg. Arrivée à Sagan, au début de l’après-midi, ville presque entièrement détruite; on nous avait indiqué, plus ou moins clairement, Sagan comme terminus ; mais une rue de la ville désignée comme "concession française" est archi-comble et l’on nous oblige à nous diriger plus à l’est jusqu’à Bunzlau.
Arrêt, le soir, à Petersdorf, 5 km de Sagan, dans une maison pillée de fond en comble. Arrivée vers 21 heures, dans cette localité, d’une colonne d’environ 3.000 prisonniers allemands. Gardes russes assez débonnaires. Nombreuses occasions de fuite dont aucun ne cherche à profiter -abattement, fatigue, peur des russes-. Ils n’ont surtout pas la mentalité de vieux prisonniers, tout comme nous en 1940.
4 mai : Petersdorf-Sprottau-Oberleschen 22 km Gros convois militaires vers l’ouest - colonnes interminables de civils polonais, russes, etc. travailleurs dans les usines et les fermes, d’ex-prisonniers vers l’est. Sur les quelque 20 millions d’étrangers envoyés de force dans le Reich, russes et polonais refluent maintenant vers l’est, consommant, pillant et cassant tout sur leur passage.
De leur côté les soldats russes que nous rencontrons, délestent à leur tour les prisonniers français de leurs montres, souvent des alliances, même des ceinturons. Des scènes cocasses se produisant : parfois certains soldats ou travailleurs français exhibent leur carte du PCF, qu’ils avaient réussi à conserver dans les usines et les fermes, chose qui aurait été impossible dans un oflag, bien entendu sans le moindre succès. L’expression "nous", employée dans ce récit depuis le début, correspond à un petit groupe formé par le lieutenant Albert BERNARD de Suippes, décédé quelques années après la Libération, le lieutenant MOULIN, mon camarade LANCIEUX de la Banque et moi-même. La colonne des officiers français s’étirait peu à peu, sur des kilomètres, mêlée à des groupements les plus hétéroclites de travailleurs déportés en Allemagne, etc..
5 mai : Oberleschen-Bunzlau - 25 km Au cours de cette ultime étape s’est produite une mesure très importante le tri, par les Russes, de la horde indescriptible qui refluait vers l’est. Dans une gare dont je ne me rappelle plus le nom, toutes les charrettes surchargées de butin : literie, linge, meubles, provisions, des Polonais et Ukrainiens rentrant dans leur pays qu’ils savaient dévasté, furent arrêtées et leurs occupants, hommes et femmes, dépouillés, entassés, sans ménagement sur des plates-formes ouvertes de wagons de chemin de fer qui n’étaient pas prêts à partir de suite.
D’autres tris ont dû être effectués, car seuls les prisonniers français ont pu entrer à Bunzlau qui se trouve à 45 km à l’est de Görlitz. La ville, assez importante, avait été volontairement épargnée de tout bombardement ou incendie. C’était, après la retraite de Russie de Napoléon 1er, le siège du Grand quartier Général du Maréchal KOUTOUSOV. Il y est peut-être mort. Je ne me souviens plus exactement. Sa statue se trouvait devant la Mairie.
Cela n’empêchait pas les soldats russes de commettre des vols individuels. Je me souviens d’avoir vu au cimetière de Bunzlau beaucoup de tombes fracturées pour voler les alliances en or.
Les Russes ne s’occupant pas de notre ravitaillement en nourriture, la grande affaire quotidienne était de trouver des vivres. Les trois soldats français qui m’avaient recueilli sur la route de Sagan à Petersdorf, me sont restés attachés pendant le séjour à Bunzlau. Le matin, chacun de nous allait explorer les caves des maisons des différents quartiers. On y trouvait des pommes de terre, parfois des pots de confiture, rarement d’autres conserves. On se croisait dans les caves avec d’autres "chercheurs".
Un jour, j’ai découvert une jeune femme seule, affamée, avec deux petits garçons, qui se terrait dans une cave et n’osait en sortir. Comme je parlais allemand, j’ai dû lui apparaître comme un sauveur, non seulement je l’ai respectée, mais pendant le reste de mon séjour, je l’ai approvisionnée aussi bien que j’ai pu.
Les prisonniers français qui avaient dépassé Bunzlau ne purent plus revenir et furent dirigés sur Odessa et n’arrivèrent en France qu’au mois d’août. Ceux qui s’étaient arrêtés à Bunzlau, devaient rester groupés en cantonnements fixes. Un recensement individuel eut lieu, tant du côté du commandement français que de celui des Russes. Comme ceux-ci n’arrivaient pas à écrire mon nom prononcé, soit à la française, soit à l’allemande, je fus immatriculé sous le nom de "Kalinine" Des incidents semblables, parfois pires, eurent lieu pour des prisonniers s’appelant Martin ou Dupont.
Les Russes, à la suite d’une visite éclair d’un aviateur français du groupe Normandie-Niemen s’étaient engagés à nous fournir un ravitaillement régulier. A part une distribution de pain pendant un ou deux jours, ils se désintéressaient complètement de notre sort ; pour les Russes staliniens, nous étions des déserteurs.
Initialement, il y avait un cantonnement d’environ 1.100 soldate et sous-officiers dans une usine ; un autre de 380 officiers dans l’immeuble de la mairie dont le commandement me fut confié, avec le Lt. Moulin comme adjoint. Comme il en arrivait toujours d’autres, cette belle organisation ne résista pas longtemps et la débandade à la recherche d’un logement commença.
D’ailleurs, la Mairie, intacte à l’extérieur, avait été complètement pillée et dévastée, mobilier cassé, renversé, papiers d’état civil, livres fonciers, recette municipale et autres services, répandus sur plus d’un mètre d’épaisseur sur la so1. À deux ou trois, nous essayons vainement, en travaillant du matin au soir, de sauver les pièces essentielles et de faire le nettoyage.
Dans la nuit du 7 au 8 mai, violent incendie dans un grand immeuble de commerce de droguerie face à la Mairie, pour une cause restée inconnue. Beaux actes de courage de la part des Russes et des requis français : 8 officiers qui logeaient dans le magasin furent difficilement sauvés, 5 autres brûlés vifs devant de nombreux témoins impuissants.
Dans la nuit du 8 au 9 mai, vers 1 heure du matin, éclatent brusquement des tirs de tous les soldats russes dans la ville en même temps que se déclenche un feu d’artifice extraordinaire de fusées de toutes couleurs. Des soldats tirent sans arrêt, vidant chargeurs sur chargeurs de leurs fusils, mitraillettes, mitrailleuses. On devine que c’est la fin de la guerre, mais c’est seulement le lendemain que l’on apprend la capitulation sans condition de l’Allemagne dans la journée du 8 mai.
Pour nous autres, ex-prisonniers, la joie est immense, mais nous savons que nous ne sommes pas rentrés dans nos foyers et que plus de 150 km nous séparent de la rivière de l’Elbe et que les moyens de communication pour y parvenir sont détruits, que nous restons coupés du monde extérieur : les Russes ne montrent aucun signe de libération prochaine ; les camarades restés à Cölditz avaient été libérés fin avril dans de meilleures conditions par les américains.
11 mai : je fête, non sans une certaine inquiétude, le 9ème anniversaire de mon mariage.
12 mai, : je donne ma démission du commandement du camp de la mairie et me mets à la recherche d’un logement plus confortable. Je le trouve dans l’immeuble de la Reichsbank, 12 Bahnhofstrasse. Désordre indescriptible, pillage complet, coffres-forts ouverts au chalumeau, tous les tiroirs répandus par terre, meubles fracturés, etc. L’évacuation par le personnel avait dû être précipitée. L’appartement du directeur est cependant pratiquement intact beaux tableaux au mur, salle de bains intacte. Je prends un bain et me pèse pour la première fois : 39 kg..
20 mai, : Pentecôte. Belle messe dans l’église catholique absolument intacte. Nombreuse assistance d’ex-prisonniers. Eglise richement décorée, de style baroque a11emand -
21 mai, : réveil à 5 heures du matin. Ordre de se préparer immédiatement pour le départ. Constitution de compagnies de départ. 17 heures, départ pour la gare. Entassement à 57 par wagons à bestiaux. Départ du train à 4 heures le lendemain matin. Le train roule jusqu'à 6h30, s’arrête à Kohlfur. Arrêt jusqu’à 17 heures, puis marche normale jusqu’à 6 heures. Arrêt définitif à Beutersitz (près de Falkensberg).
23 mai : On reprend la marche à pied à 9 heures du matin, direction Torgau s/Elbe. Après une vingtaine de kilomètres, direction Mühlberg, marche très pénible sous une pluie battante. Après reprise de notre route à 21 heures, arrêt à 24 heures dans une petite localité où les russes nous offrent un bon repas chaud. Je tombe de fatigue.
La région que nous traversons n’a pas beaucoup souffert de la guerre, elle est occupée par des troupes russes très disciplinées. Pas de pillage, pas de vexation de la population, rien de comparable avec la région précédente, pratiquement dépeuplée et pillée sans merci.
24 mai : Le camp de Mühlberg étant surchargé, on nous met en rouge et l’on tourne en rond pendant toute une journée jusqu’au village et camp de Kôssdorf.
Depuis notre départ de Zeithain, nous sommes sur les routes, sans ravitaillement régulier, sans cantonnement préparé, mangeant et logeant à la bonne fortune. On est à 30 km de Torgau, parqués dans un camp russe où des camions américains déversent des ex-prisonniers (ou travailleurs) russes et chargent, nombre pour nombre des ex-prisonniers français.
Les ex-prisonniers russes sont immédiatement repris en main par des commissaires militaires qui les haranguent et les traitent comme déserteurs. Sous d’immenses portraits de Staline et de Koniev. Pour beaucoup d’entre eux, c’est le début d’un nouveau vrai calvaire.
25 mai : Chargés sur des camions américains, nous franchissons enfin l’Elbe à Torgau sur un pont en bois qui vient d’être construit. Tout le monde pousse un immense soupir de soulagement. Du côté américain, nous passons aussitôt dans un système perfectionné de désinfection :
1ère salle : déshabillage, remise de tout vêtement, linge, objets personnels pour désinfection
2ème salle : des infirmiers habillés comme des scaphandriers nous aspergent par pulvérisation de grandes quantités de désinfectant et nous font attendre ainsi le temps nécessaire pour son action,
3ème salle : douche intense et prolongée,
4ème salle: séchage à l’air chaud,
5ème salle : reprise des vêtements et objets désinfectés et échange du linge hors d’usage,
Ensuite seulement, restauration à volonté.
27 mai : Anniversaire de mon fils Gérard. Rassemblement à 7 heures, organisation modèle en groupe de 40. A 8 heures, départ en camions pour LEIPZIG, traversons la ville. Enormes destructions par l’aviation alliée. Dans nos camps, nous ne pouvions imaginer l’étendue des dégâts.
Embarquement dans un train à une gare de la banlieue de Leipzig. Environ 4 000 partants civils et militaires. Passons par Zeitz, Weissenfels, Naumburg, Weimar, Erfurt, Eisenach. Toute ces villes avaient terriblement souffert. Le train s’arrête souvent : 200 km dans la journée.
28 mai : 8 heures du matin, arrivée à Fulda. Gare complètement détruite ; entonnoirs gigantesques, des wagons éventrés par centaines, réduits en miettes.
Déjà avant-hier, en pénétrant dans la zone américaine, nous avons pu constater la différence des conditions de vie de la population allemande dans les deux zones. Dans la russe, villes et villages dépeuplés fuyant devant l’invasion. Peu de gens (surtout femmes et enfants) restés, ou revenant. Apeurés, femmes violées, vivant dans l’anxiété. Adultes masculins de 15 à 60 ans arrêtés. Pas de ravitaillement. Anarchie et arbitraire, sauf dans la zone d’une trentaine de kilomètres à l’est de Torgau occupée par une division d’élite de russes blancs.
Chez les Américains, énormément de population civile circulant librement. Sans doute, beaucoup de réfugiés de l’est. Population endimanchée. Malgré les grosses destructions, les gens paraissent heureux de vivre. Beaucoup d’hommes valides, libres. Nous avons croisé un seul camp de prisonniers allemands d’environ 3.000-4.000 hommes. Sur 1es routes, beaucoup de jeunes en civil ou même encore en uniforme allemand. Aucune trace de pillage.
De 10 heures du matin à 21 heures, arrêt en gare de Hanau, près de Francfort. Lors d’un bombardement en mars, 10.000 des 40.000 habitants auraient péri. Pendant l’arrêt dans cette gare, passage d’un train de rapatriés russes, surtout de jeunes filles ukrainiennes, excessivement libres d’allure, boulottes, riantes, se faisant copieusement peloter par leurs compagnons de route.
29 mai - 1er juin : Le train cherche un passage sur le Rhin. A 17 heures, traversée du train à Offenbach sur un pont reconstruit par le Génie américain voie unique du Rhin à Mayence dont le quartier situé sur la rive droite du Rhin complètement rasé. Le train repart lentement vers Sarrebruck. Arrêts prolongés à Worms, Kaiserslautern et Sarrebruck.
2 juin : Arrêt forcé faute de train, d’une journée à Sarreguemines où je vais voir une partie de ma famille dont j’étais sans nouvelles depuis 5 ans. Une de mes cousines, Berthe Mosser a été condamnée à mort par les nazis pour avoir hébergé un aviateur australien. Détention dans les pires conditions pendant deux ans dans une prison de Berlin, libérée in extremis et rapatriée depuis peu de semaines.
Note : Le calvaire de ma cousine ainsi que l’exécution à la hache, par les Nazis, du prêtre et des hommes impliqués dans l’affaire de l’aviateur australien Russel NORTON sont décrits en détail dans les pages 111 à 120 du Tome I de "La Tragédie Lorraine’ de Eugène HEISER- Editions Pierron- Sarreguemines 1979.
3 et 4 juin : Démobilisation à Sarrebourg - Longues formalités (Curieusement, pour les officiers tant d’active que de la réserve, les autorités voulaient savoir s’ils avaient constaté, durant la "drôle de 3uerre", ou en captivité, quelque chose méritant d’être signalé
Ce n’était pas vrai dans mon cas. De toute façon, le fait est que la carrière des officiers d’active prisonniers a été stoppée net au profit de ceux qui avaient combattu ou fait partie de la RESISTANCE.
Formation d’un train spécial.
5 et 6 juin : arrivée à Paris très tard. Passé la nuit dans le métro et la gare d’Austerlitz, faute de train. Le lendemain, départ pour Blois. Retrouvailles avec ma famille sur le quai de la gare, avec ma femme, mes fils Gérard, 9 ans et Bernard, 5 ans que je n’avais vu qu’une seule fois, à sa naissance, en février 1940.
ATTESTATION concernant KLEIN Paul, François, classe 1923
Inspecteur de la Banque de France, Capitaine de réserve du 1.9.1949
Le Colonel retraité VEYRIER DE MURAUD Pierre, ex-Commandant du 43e R.I. motorisé (campagne 1939-40) déclare avoir parfaitement connu M. KLEIN Paul, Officier de réserve, pendant 5 années de captivité, subies à ses côtés dans divers camps d’Allemagne, de septembre l940 à février 1945, et l’avoir hautement apprécié, tant pour la dignité parfaite de son attitude irréprochable d’Officier français vis-à-vis des Allemands que pour son dévouement à la cause de ses camarades.
A su prendre sur ses compagnons de captivité la plus heureuse influence, trouvant dans l’élévation de ses sentiments et les ressources de son esprit, aussi fin que cultivé, le moyen de soutenir leur moral ; leur a donné en maintes circonstances, l’exemple d’un patriotisme ardent, puisé dans ses origines lorraines, cependant que sa famille, animée des mêmes sentiments, subissait avec courage les exactions des occupants allemands qui condamnaient l’une de ses cousines, à Sarreguemines, pour avoir caché un officier aviateur australien.
Appelé à 3 reprises devant la commission des " Alsaciens-Lorrains " comme remplissant les conditions prévues par les Allemands pour être libéré, a toujours opposé un refus formel de même qu’il rejetait, peu après, l’offre d’un Inspecteur de la Reichbank lui proposant de le faire libérer comme " Lorrain " et nommer à un poste équivalent au sien, à la Reichbank.
N’a cessé, durant 5 années de captivité, de mettre au service de ses camarades sa connaissance parfaite de la langue allemande pour les aider à préserver leurs intérêts parvenant même à convaincre un médecin allemand de la nécessité de renvoyer dans leur foyer plusieurs officiers malades qui lui doivent sans conteste, leur libération.
Paris, le 17 décembre 1949
signé : de MURAUD 2 rue de Belgrade PARIS (VIIème)

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