samedi 29 mars 2025

LES STACKS OU L'UTILITÉ DE L'INUTILE.,

 

retenir :
 
 
Il y a encore des mondes inconnus à défricher.
 
Sylvain Tesson, auteur des «Piliers de la mer» (Albin Michel)
Stacks de dolérite en Tasmanie (Australie).
Stacks de dolérite en Tasmanie
SYLVAIN TESSON 
Parce qu’il est un phénomène dans plusieurs sens du terme – écrivain aux semelles de vent, moraliste à l’occasion, alpiniste chevronné, sans cesse à la recherche de nouvelles cimes à escalader, qu’elles soient géologiques ou qu’elles procèdent de l’esprit –, nous avons souhaité consacrer cette semaine notre sujet de couverture à Sylvain Tesson. Cela tombe bien : l’auteur de La Panthère des neiges est un vieil ami de la maison – et pas seulement parce que son père a tenu la chronique théâtrale du Figaro Magazine pendant plusieurs décennies. Sylvain Tesson aime l’équipe du Fig Mag, où il cultive de nombreuses amitiés, et c’est ainsi. C’est beaucoup.

À l’occasion de la parution de son nouveau livre, il a accepté de nous en laisser publier des extraits en avant-première et de livrer en exclusivité sa première interview à Jean-Christophe Buisson, directeur adjoint de la rédaction et responsable des pages Culture et Art de vivre. Mais en quoi consiste exactement le nouveau livre de Sylvain Tesson ? Intitulé Les Piliers de la mer (Albin Michel), cet ouvrage expose le nouveau défi que s’est assigné l’écrivain-voyageur et relate dans le détail ses pérégrinations. Pour aller vite, Sylvain Tesson s’est lancé dans l’escalade de plus de cent stacks, qui sont ces rochers en forme de colonnes ou d’aiguilles séparés du littoral par l’érosion. De Belle-Île aux Marquises, d’Etretat à l’Écosse, en passant par l’Irlande, la Patagonie, le Vietnam ou l’Italie, c’est à une formidable et double aventure qu’il nous invite : réelle et intérieure à la fois. Dans le long entretien qu’il nous a accordé, l’auteur nous dit l’enjeu non seulement géologique mais aussi civilisationnel, littéraire voire politique, que portent les stacks.
Écoutons-le. « Quand on observe un stack depuis une falaise, on le perçoit comme un chevau-léger, une avant-garde, un hussard en première ligne partant à l’assaut. Bref, pour prendre une image militaire : Murat en tête de sa cavalerie. Or, en réalité, c’est plutôt le dernier carré ou les légionnaires de la bataille de Camerone, qui résistent quand les autres reculent ou cèdent. » Et de poursuivre son allégorie : « Le stack – les Anglais appellent les stacks des « old men » – n’est pas un rebelle, malgré les apparences, parce que le rebelle combat pour changer l’ordre du monde, afin de restaurer celui auquel il croit. C’est le corps franc, le résistant qui lutte contre l’occupant, le bandit de la forêt de Sherwood. Le stack, c’est autre chose. C’est un écartement silencieux, sans doute désespéré et inactif. Donc plutôt la figure du dandy, sans ambition, qui fait sien le vers de Walt Whitman : “Je n’ai rien à voir avec ce système ; pas même assez pour m’y opposer”. »
Conscient du reproche que l’on peut lui faire de l’inutilité ou de la vacuité du type d’entreprise qui consiste à escalader ces aiguilles marines, Tesson répond : « Mais il existe une utilité de l’inutile ! Son existence à l’écart a une valeur pour ceux qui restent sur la masse continentale. Une valeur de consolation, d’inspiration, de rêve. Savoir qu’il existe des figures du refus nous aide dans la vie, ce sont des flambeaux dans la nuit. (…) Il est sûr qu’en agissant ainsi, on ne pèse pas trop sur les affaires du monde et on n’essaie pas de le rendre meilleur, on n’œuvre pas “pour un futur plus juste” pour reprendre le vocabulaire de l’époque. Mais j’assume complètement ma stackophilie, comme j’assume qu’on me traite de bourgeois irresponsable, qui vit sur sa tour de stylite en jouissant de sa faveur sociale depuis sa colonne. Sauf que je ne nuis à personne. » On l’aura compris : comme toujours, avec Sylvain Tesson, sous les couches de géologie, dans les anfractuosités de la géographie, au cœur des mappemondes surgissent la poésie et une morale de vie. Un entretien à ne pas rater (publié sur notre site dimanche matin).
Stacks de dolérite en Tasmanie (Australie).
Stacks de dolérite en Tasmanie (Australie).  Thomas Goisque

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