Au Mémorial de Verdun, dans la Meuse, la volonté de transmission se matérialise par des images saisissantes de la bataille, et des objets légués par les poilus.
Ce jeudi 11 novembre, Hubert Germain, décédé le 12 octobre à l’âge de 101 ans, est venu reposer en paix au caveau du Mémorial de la France combattante au Mont-Valérien, à Suresnes (Hauts-de-Seine), après la traditionnelle cérémonie à l’Arc de Triomphe, à Paris, célébrant l’armistice qui mit fin à… la Première Guerre mondiale ! Comme si la mémoire des conflits majeurs du XXe siècle se confondait alors que disparaissent leurs témoins.
« Le dernier poilu de 1914-1918, Lazare Ponticelli, est décédé en 2008, rappelle Nicolas Czubak, responsable du service éducatif du Mémorial de Verdun1 . Depuis, nous transmettons la mémoire de la Première Guerre sans le témoignage direct de ceux qui l’ont faite, alors même que notre époque désire comprendre les événements à hauteur d’homme. Les gens sont demandeurs d’une histoire incarnée. » Pour résoudre ce paradoxe, il estime qu’il faut s’appuyer sur la force des récits de poilus qui voulaient « laisser une trace », à commencer par l’ouvrage de Maurice Genevoix, Ceux de 14. Correspondances et entretiens enregistrés permettent aussi d’approcher le « ressenti » de ces soldats.
Stéphane Grimaldi, directeur du Mémorial de Caen, en Normandie, précise que son musée collecte depuis plusieurs années des enregistrements audio ou vidéo, anticipant la disparition des témoins de la Seconde Guerre mondiale. Et pas seulement auprès de combattants, comme Hubert Germain. Ainsi, à Falaise, une campagne a permis de recueillir les récits de quarante personnes qui n’avaient pas osé raconter leurs souffrances sous les bombardements alliés puisque le discours dominant qualifiait ces destructions de « mal nécessaire ». « Les mémoires familiales de la Seconde Guerre mondiale sont différentes selon qu’elles viennent de civils ayant été bombardés, de résistants, de victimes de la Shoah… ajoute Stéphane Grimaldi. Et les témoins ont aussi dû composer avec un récit collectif national qui s’est construit autour du glorieux débarquement allié. »
Guerre d’Algérie : le silence…
La pluralité de mémoires antagonistes explique aussi le silence qui perdure concernant la guerre d’Algérie, bien que de très nombreux témoins soient encore vivants : les récits des appelés du contingent, des soldats de métier, des membres du FLN, de l’OAS, des pieds-noirs, des harkis… ne coïncident pas. « Il est encore impossible de tendre vers une histoire commune apaisée », regrette Serge Drouot, président de la commission « Mémoire-Histoire » à la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc, Tunisie (Fnaca ). Il souhaiterait que les témoins soient davantage sollicités dans les lycées. De son côté, la Fnaca n’a pour l’instant recueilli que 200 témoignages écrits d’appelés, ce qui est peu sur ses 255 000 adhérents. Et espère que l’Office national des anciens combattants accélérera la « grande collecte » d’enregistrements promise mais qui tarde à se concrétiser.
Parallèlement, l’organisation veut léguer ses archives et collections d’uniformes ou d’insignes au Service historique de la Défense. Un pis-aller, car contrairement à 1914-1918 ou à 1939-1945, « il n’existe aucun musée racontant au public ce qu’a été cette guerre qui ne disait pas son nom. Pas même une salle au musée de l’Armée, aux Invalides ! » s’indigne Serge Drouot. Alors qu’en effet, au Mémorial de Verdun – fondé sur cette idée même de transmission –, une foule d’objets significatifs de leur vie dans les tranchées ont été légués par les anciens poilus. Indispensables, notamment aux yeux des plus jeunes « qui ont besoin d’images », explique Nicolas Czubak.
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Verdun : des traces visibles
Enfin, surtout à Verdun, « le terrain parle ! Il suffit d’emmener les visiteurs sur le champ de bataille bosselé de trous d’obus et de leur lire un témoignage de poilu à l’endroit exact où il se trouvait pour que cette époque ne paraisse tout à coup pas si lointaine », précise-t-il. Même chose sur les plages du Débarquement ou dans les cimetières militaires des deux guerres.
En revanche, là encore, quand les derniers témoins auront disparu, « aucune nécropole militaire ne rappellera les morts de la guerre d’Algérie, enterrés discrètement dans leur famille », insiste Serge Drouot. Reste à favoriser la transmission de la mémoire : « En général, constate-t-il, ce sont les petits-enfants qui posent des questions à leur grand-père quand il est presque trop tard. » Stéphane Grimaldi y voit une certaine logique : « C’est au moment des deuils que l’on ouvre les malles à souvenirs, que l’on réinterroge les lettres et les photos… »
Le Mémorial de Caen compte donc sur les visites familiales pour susciter des échanges entre les générations. Pour marquer les esprits, les anciens combattants de la guerre d’Algérie souhaiteraient défiler en nombre aux Invalides, le 19 mars prochain, pour les soixante ans de la fin du conflit. « Ce sera la dernière occasion, estime Serge Drouot, d’être des témoins visibles et de transmettre la mémoire de cette guerre qui nous a volé notre jeunesse. »
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