Jamais, depuis George Washington, un ancien chef de l’État n’avait été inculpé pour des faits criminels. En l’occurrence, d’avoir ordonné des versements frauduleux en pleine campagne présidentielle 2016, sous couvert de frais juridiques, pour acheter le silence d’une actrice de X, Stormy Daniels, alias Stephanie Clifford, avec qui il entretint une brève liaison en 2006 - et bien sûr, éviter le scandale qui lui coûterait la victoire.
La falsification de documents commerciaux n’est qu’un délit mineur au regard de la loi new-yorkaise, mais la charge s’alourdit considérablement s’il est prouvé que la loi électorale a été violée au passage. Tarif présumé: un à quatre ans de prison ferme. Donald Trump, 77 ans, compte bien esquiver le couperet. Mais, pour l’heure, il mesure l’épreuve qui l’attend: six à huit semaines de procès, à compter de la convocation initiale du 15 avril, consacrée à la sélection initiale de douze jurés et huit remplaçants ; obligation de présence jusqu’au dernier jour ; relâche les week-ends et chaque mercredi. Surtout, des frais somptuaires d’avocats, détournés du trésor de guerre censé initialement inonder les campagnes américaines de publicités télévisées à sa gloire.
Et que dire des locaux. Vétustes, tout en boiseries sombres et marbres élimés, une climatisation excessive. Le contraste est saisissant. À l’en croire, il attendait avec impatience ce «showdown (tomber de rideau)», ce duel impitoyable avec une justice accusée d’être otage des démocrates. Et pourtant, malgré la certitude que «son» mouvement MAGA (Make America Great Again) sortira revigoré de cette «chasse aux sorcières», l’homme abhorre visiblement l’expérience.
Début du calvaire
Le calvaire ne fait que commencer. Il lui faut écouter la plaidoirie liminaire du procureur. Celui-ci explique la raison de ce procès, et les faits que l’accusation se fait fort de prouver: en août 2015, Donald Trump, son avocat personnel Michael Cohen et David Pecker, ex-patron du tabloïd National Enquirer auraient fomenté un complot criminel par lequel Pecker s’engageait à intercepter et à enterrer toute histoire susceptible de nuire au candidat présidentiel afin d’aider sa campagne. Trump aurait par la suite tenté de camoufler cette conspiration en faisant passer pour des frais juridiques le paiement de 130.000 dollars effectué par Michael Cohen au profit de Stormy Daniels.
« Catch and kill. » C’est ce qui s’est produit dans le cas de Stormy DanielsMardi matin, deuxième jour d’audience. Donald Trump se pelotonne, gagné par le froid ambiant et la monotonie des débats. Le juge Merchan parle de façon monocorde et à peine audible. Bercé par le ronron, le prévenu dodeline de la tête, puis la baisse carrément pour éviter de s’exposer aux regards scrutateurs. Un artifice qui ne dupe personne, surtout Maggie Haberman, la journaliste du New York Times qui le connaît par cœur.
«Le boss s’en occupera»
Mais le voilà qui se réveille, quand un visage familier s’avance à la barre. David Pecker lui-même, premier témoin convoqué par l’accusation, ressemble à un grand-père bonhomme et souriant, à qui on donnerait le bon Dieu sans confession. En 2016, il s’est mis au service de Donald Trump. Outre les calomnies sur les rivaux de celui-ci, il s’agit d’alerter son réseau de correspondants, déceler les scandales potentiels, intervenir pour les étouffer à temps.
Catch and kill. C’est ce qui s’est produit dans le cas de Stormy Daniels. Lorsqu’il en entend parler, le patron de l’Enquirer alerte l’équipe Trump. Suggère à Michael Cohen de payer l’actrice. Il ne se fait pas prier, car l’idée de titrer sur une star du X ne l’enchante guère: le magazine est distribué dans le réseau des supermarchés Walmart. Il ne s’agirait pas de choquer outre mesure la «soccer mom». Catch and kill, donc!
Le futur président d’alors est notoirement pingre, mais il pense que son accession au pouvoir calmera les rancœurs éventuelles de ses nervisAu troisième jour de son audition, jeudi, David Pecker détaille le système mis en place au profit de Donald Trump. Il est question, cette fois, d’une autre liaison extraconjugale, beaucoup plus sérieuse qu’avec Stormy Daniels. Karen McDougal, ex-mannequin chez Playboy, aurait fréquenté l’homme d’affaires pendant toute une année. Par prudence, Pecker a reçu, là aussi, instruction d’acheter également son silence en 2016. Michael Cohen lui suggère de payer les 150.000 dollars négociés avec McDougal. Pour ce qui est de rembourser la somme, aucun souci, rassure Cohen: «Le boss s’en occupera». Celui-ci ne paiera jamais. Si bien que lorsque surgit l’ombre de Stormy Daniels, David Pecker refuse tout net de payer d’avance. «Je ne suis pas une banque», tranche Pecker.
Le futur président est notoirement pingre, mais il pense que son accession au pouvoir calmera les rancœurs éventuelles de ses nervis. Erreur fatale dans le cas de Cohen, qui déclarait naguère être «prêt à prendre une balle» pour son patron mais se retournera contre lui en 2018. Bonne pioche dans le cas de David Pecker, qui conte l’invitation gracieuse reçue de la Maison-Blanche en juillet 2017, sans doute pour services rendus.
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Climat polaire
Un des avocats de Trump, Emil Bove, parvient cependant à marquer un point: cette alliance entre le National Enquirer et un candidat à la présidentielle, supposément criminelle puisque visant à fausser une élection, n’est-elle pas simplement une «procédure standard» pour ce genre de presse à scandale, qui ne publie au final que la moitié des récits achetés? En d’autres termes, le magazine n’y a-t-il pas recouru dans d’autres «cas»? David Pecker acquiesce. Oui, il a rendu les mêmes services à l’acteur Mark Wahlberg et à l’ex-gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger.
L’accusation devra trouver d’autres arguments mordants pour expliquer combien l’affaire Stormy Daniels, ou plutôt son étouffement, a interféré avec le résultat des urnes. Avantage à la défense qui n’aura besoin que d’un juré sur douze pour faire échouer l’accusation et acquitter son client. Tout verdict, au regard de la loi new-yorkaise, requiert en effet l’unanimité.
Donald Trump profitera de la prochaine pause, mercredi 1er mai, pour se rendre dans le Wisconsin et le Michigan. Rien de tel que l’adoration des foules pour oublier, quelques heures durant, le climat polaire de la salle d’audience 1530 à Manhattan.9 h 25, vendredi 26 avril. Donald Trump apparaît devant les caméras, les traits tirés. Une mèche regimbe, inhabituellement, de sa chevelure peroxydée et toujours soigneusement lissée. Il défie une nouvelle fois Juan Merchan, le juge le plus «empêtré» qu’il ait «jamais vu», et fustige un procès «truqué». Surtout, il souhaite un bon anniversaire à sa femme Melania, qui fête ses 54 ans. «Elle est restée en Floride, lâche-t-il, mais je la rejoindrai dès ce soir.»
Dans ce marathon judiciaire éprouvant, les bonnes nouvelles tombent à pic. Jeudi, les débats à la Cour suprême sur l’immunité absolue réclamée par l’ancien président laissaient entrevoir un possible renvoi du dossier à l’échelon inférieur et, par ricochet, une possibilité d’appel renvoyant un éventuel procès aux calendes grecques. Et puis Donald Trump profitera de la prochaine pause, mercredi 1er mai, pour se rendre dans le Wisconsin et le Michigan. Rien de tel que l’adoration des foules pour oublier, quelques heures durant, le climat polaire de la salle d’audience 1530 à Manhattan.