Il y a 85 ans
Un nom aussi poétique semble étonnant pour désigner un pogrom. Il s’agit en réalité d’un choix intentionnel, révèle Christophe Tarricone, auteur des 100 Mots de la Shoah (éd. PUF). “L’histoire du terme est complexe à reconstituer, mais on pense qu’il a d’abord été utilisé pour se moquer du régime, tourner en dérision cette manie qu’avait le IIIème Reich de produire de la violence tout en l’euphémisant. Mais c’est exactement ce que le nazisme a fait par la suite : il s’est approprié ce nom pour cacher ce déferlement de violence derrière la simple image des bris de vitrines.”
Comme tous les pogroms, celui de novembre 1938 répond à un objectif politique : relancer l’émigration juive hors d’Allemagne. Alors que l’État nazi ne cesse de s’étendre dans les années 1930, 250 000 Juifs vivant dans les territoires conquis sont intégrés au IIIème Reich. Une population dont ne veut pas cette Allemagne antisémite, mais que refusent aussi d’accueillir la majorité des États, qui ferment leurs frontières aux réfugiés. La stratégie du Reich est donc de déclencher une vague de violence à l’échelle nationale, pour pousser les Juifs à quitter le territoire coûte que coûte.
Nuit de Cristal : que s’est-il passé lors des pogroms de novembre 1938 ?
Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, une succession de pogroms antisémites a éclaté sur l’ensemble du territoire allemand sur ordre d’Adolf Hitler. Objectif de cette que l'on appelle la Nuit de Cristal : intimider les populations juives pour les pousser à l’émigration.
L’historien préconise donc de remplacer l’expression “Nuit de Cristal” par celle, plus factuelle, de “pogroms de novembre 1938”. “Il s’agit bien d’un pogrom tel qu’on le définit en Europe : une violence coordonnée, qui relève de l’action de l'État, au bilan humain meurtrier.” Si le bilan officiel des victimes plafonne à 90, selon les chiffres communiqués par le IIIème Reich, les historiens contemporains estiment aujourd’hui que 3 000 personnes au moins ont été assassinées au cours de ces pogroms. Et ce, sans compter les milliers de Juifs déportés à cette occasion qui mourront des suites de leur internement concentrationnaire. Sans compter, non plus, les nombreux suicides qui ont lieu au cours de cette nuit. “C’est le pogrom antisémite le plus meurtrier de l’Histoire, avant la Shoah”, rappelle Christophe Tarricone.
L’événement trouve son origine dans la mort, le 9 novembre 1938, d’Ernst vom Rath, un secrétaire de l'ambassade allemande à Paris, grièvement blessé deux jours plus tôt par Herschel Grynszpan, un jeune Juif polonais d'origine allemande réfugié en France. Le prétexte est idéal. Alors qu’il est à Munich pour célébrer le Tag der Bewegung, Adolf Hitler ordonne à Joseph Goebbels d’organiser un pogrom national en mesure de représailles.
“Les institutions nazies se mettent immédiatement en branle sans rencontrer de résistance, raconte Christophe Tarricone. Les violences antisémites existaient en Allemagne depuis 1933. Des synagogues ont été détruites au cours de l’été 1938, et des humiliations publiques de couples mixtes pour “crime contre la race” avaient déjà lieu depuis 1925. Mais la spécificité du pogrom de novembre 1938 est de généraliser des violences antisémites qui jusque-là, n’étaient que locales.”
Soldats et policiers nazis brûlent les synagogues, détruisent les commerces et habitations, assassinent les Juifs à leur domicile. Christophe Tarricone détaille :
Le pogrom a gagné tout le territoire, jusqu’aux plus petites bourgades. Tout le monde en a été témoin. En Allemagne, en Autriche ou dans les Sudètes, il était impossible de ne pas y avoir assisté. Mais la réaction qui prédomine, c’est la passivité.
Or des correspondants de presse sont aussi sur place, et la presse anglaise, française et australienne s’empare immédiatement du sujet. “Le déclenchement de cette violence pogromiste a stigmatisé le régime allemand à l’étranger, explique Christophe Tarricone. Le régime nazi a alors renoncé au pogrom dans les territoires du IIIème Reich pour régler la “question juive”, et s’est mis à envisager d’autres solutions, où la violence s’exprimaient moins directement.” En 1941 ont lieu sur le front Est les premières vagues de massacre commis par des unités mobiles, les Einsatzgruppen. Les premiers camps d’extermination seront mis en service l’année suivante.