samedi 18 février 2023

On a volé le cercueil du maréchal Pétain !

 

Le vol du cercueil du maréchal Pétain à l'Île d'Yeu : un coup très bien monté

Dans la nuit du 18 au 19 février 1973, il y a cinquante ans, un commando de cinq hommes s'emparait du cercueil du maréchal Pétain, inhumé à l'Île d'Yeu (Vendée) en 1951. Minutieusement préparée, l'opération s'est déroulée sans accroc jusqu'au retour sur le continent où l'équipe est contrainte de dévoiler son jeu plus tôt que prévu. Le chef donne une conférence de presse en exigeant du président Pompidou l'assurance que le maréchal Pétain serait inhumé à Douaumont, sur le site de la bataille de Verdun, comme il l'avait souhaité.

Selon un sondage réalisé peu de temps avant par la Sofres, la majorité de l'opinion de l'époque aurait été favorable à ce transfert. Il n'aura pas lieu.

Récupéré au troisième jour de la cavale, le cercueil est renvoyé à l'Île d'Yeu et de nouveau inhumé dans son caveau vendéen.

C'est cette histoire que nous vous avons racontée la semaine dernière dans la rubrique Histoires d'Ouest et que vous pouvez retrouver ci-dessous.

Depuis la parution, un lecteur qui a participé au rapatriement du cercueil, nous a contactés pour rectifier l'information donnée par la télévision au moment de l'affaire. Contrairement à ce qui a été expliqué à l'époque, le cercueil du maréchal Pétain est parti de la région parisienne en hélicoptère Puma et s'est rendu directement à l'Île d'Yeu sans passer par Lann-Bihoué comme annoncé. Voilà pour la petite précision.

Olivier Renault et Didier Gourin, journalistes à Ouest-France

Histoires d'Ouest

RÉCIT. On a volé le cercueil du maréchal Pétain !  

Il y a cinquante ans, dans la nuit du 18 au 19 février 1973, un commando de cinq hommes s’emparait du cercueil du maréchal Pétain, sur l’Île d’Yeu, en Vendée. Objectif de cette opération spectaculaire : conduire le corps du défunt à Douaumont où il souhaitait être inhumé.

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Remise du cercueil du maréchal Pétain dans son tombeau de l’Île d’Yeu, en Vendée. Cette image a été colorisée.
OUEST-FRANCE

Lundi 19 février 1973. Il est environ 8 h 45 quand Jean Taraud pousse la porte du petit cimetière de Port-Joinville, sur l’Île d’Yeu (Vendée). Le fossoyeur, surnommé « Ratata », est chargé de l’entretien de la tombe du maréchal Pétain, déjà deux fois dégradée depuis la cérémonie d’inhumation du 25 juillet 1951.

En juillet 1953, des inconnus avaient piétiné l’inscription funéraire et recouvert la dalle d’inscriptions injurieuses. Le 11 novembre 1968, deux jeunes gens avaient arraché le ruban d’une couronne offerte par le général de Gaulle, alors président de la République​. Ces profanations seront loin d’être les dernières.

On a volé le cercueil du maréchal Pétain

Comme il le fait quotidiennement, l’employé municipal jette un coup d’œil à la tombe du célèbre pensionnaire du cimetière, histoire de s’assurer que tout est en ordre. Un visiteur lambda n’y aurait sans doute vu que du feu mais « Ratata », lui, remarque immédiatement qu’il y a quelque chose qui cloche.

Le pourtour de la tombe a été ratissé et il n’y a aucune empreinte de pas dans le sable. Et ça, mon p’tit gars, au lendemain d’un week-end, ce serait du jamais vu. C’était tellement propre que j’en ai été stupéfait, confie le fossoyeur à Ouest-France, le jour de la disparition du cercueil. ​J’ai regardé de plus près et j’ai vu que la pierre avait été descellée. Elle était déplacée de plus d’un centimètre. Le travail de camouflage pour reboucher les trous faits était soigné mais visible.

Affolé, Jean Taraud alerte la brigade de gendarmerie voisine ainsi que le propriétaire de l’Hôtel des voyageurs, représentant de l’Association nationale pour la défense de la mémoire du Maréchal, sans se douter un instant que ce dernier en sait beaucoup plus qu’il ne le laisse paraître…

Le commissaire divisionnaire Kergoet, de la P.J. d’Angers (toque de fourrure, derrière le pilote) vient de prendre place à bord de l’hélicoptère qui va l’emmener à l’Île d’Yeu. Photographie colorisée. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

Un coup de fil au continent et le commandant Moulin, chef de la compagnie des Sables-d’Olonne, saute dans un hélicoptère en direction de l’île. Il demande l’autorisation de déplacer la dalle. Accordée ! Mais seulement en présence des autorités du Parquet. Messieurs Roger Hauret, procureur de la République, et Louis Calvet, juge d’instruction aux Sables-d’Olonne, descendent à leur tour du ciel et sont accueillis par les notables de l’île : le premier adjoint au maire, Jean Collinet, et une poignée de conseillers municipaux.

Il est maintenant 15 h 30. À l’aide de barres à mine, les employés de la commune se mettent à l’œuvre et déplacent la dalle de ciment sur la moitié du caveau. L’espace est suffisant pour permettre au gendarme Godard, un expert en relevé d’empreintes, de descendre dans le caveau. Alors ? C’est vide ! Le cercueil a disparu !

Une opération commando réussie

Là, ça devient sérieux. Les enquêteurs n’ont pas une minute à perdre. Les « ravisseurs » ont, au moins, un train d’avance et ce sont manifestement des pros. Combien sont-ils, d’après vous ? Quatre ? Cinq ? Peut-être six, estime-t-on sur-le-champ. Ce qui est certain c’est que l’opération a été très bien préparée et qu’elle ne manque pas d’audace. Arriver sur l’île incognito, faire jouer la dalle de ciment de nuit, dans un cimetière en bord de route, à proximité d’habitations, sur lequel donnent les fenêtres des étages de la gendarmerie qui se dresse à 150 mètres de là, exhumer un lourd cercueil de chêne, replacer la dalle, refaire les joints et repartir fissa par le bateau, c’est gonflé !

Tombe du maréchal Pétain à l’Île d’Yeu. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

L’information ne reste pas longtemps confidentielle… Très vite, l’île d’Yeu, d’habitude tranquille en cette saison, est prise d’assaut. Ce ne sont plus les quais déserts, écrit Ouest-France. ​On se croirait aux approches de l’été, les hôtels regorgent de monde : presse, enquêteurs, ORTF, agences diverses étrangères, etc. etc. ​

Mais, côté enquête, pour le moment, rien de neuf. On a bien remarqué une estafette immatriculée dans le 92, ce week-end sur l’île. Mais il s’agit très probablement de marchands itinérants venus pour la foire du 16 février. Du moins, c’est ce que fait fuiter une « source proche de l’enquête ». Gardez tout de même cette information en mémoire. On ne sait jamais…

Les revendications des ravisseurs

Cela dit, un cercueil, ça ne passe pas inaperçu. Et les nombreux barrages mis en place sur les routes de France compliquent sérieusement la mission des ravisseurs qui préfèrent changer de stratégie.

Le chef, Hubert Massol, sort du bois et organise une conférence de presse au café Cristal, avenue de la Grande-Armée, à Paris, dans l’après-midi du 21 février. Ce n’est pas une date comme les autres, le 21. C’est l’anniversaire du début de la bataille de Verdun en 1916.

Le cercueil est en notre possession… annonce le chef du commando qui a « délivré la dépouille mortelle du maréchal Pétain », écrit Ouest-France. ​Nous le garderons jusqu’à ce que le président de la République nous fasse parvenir une lettre où il s’engage formellement à ce que le corps soit déposé dans une crypte des Invalides dans l’attente de la réhabilitation et du dépôt de ses cendres à Douaumont ».

Le chef du commando, Hubert Massol, au centre, au moment de son arrestation. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

Le mobile qui ne faisait guère de doute est confirmé : les « ravisseurs » souhaitaient exaucer le vœu du maréchal Pétain d’être inhumé à Douaumont, sur le site de la bataille de Verdun. Et, à l’époque, ils semblent avoir l’opinion avec eux. Selon un sondage de la Sofres, réalisé un an et demi plus tôt, le 14 septembre 1971, pour le journal Sud-Ouest72 % des personnes interrogées étaient favorables à la translation des cendres du maréchal Pétain à Douaumont, 11 % contre, et 17 % sans opinion.

Évidemment, Hubert Massol et sa moustache souriante qui n’étaient pas franchement en position de négocier, sont arrêtés juste après leurs déclarations et conduits au 36, quai des Orfèvres. C’est qu’on a quelques questions à leur poser…

Le cercueil est retrouvé

Il reste à mettre la main sur les membres du commando et à retrouver le cercueil du maréchal Pétain. Ce n’est plus qu’une question d’heures. Un peu après minuit, les policiers le retrouvent dans un garage parisien, dissimulé sous un tas de matelas. Et il est intact. On le recouvre d’un drapeau tricolore et ainsi revêtu et il est transporté à l’hôpital du Val-de-Grâce à 1 h 30 du matin. Nous sommes donc maintenant le 22 février. La télévision annonce que le cercueil est installé à bord d’un Mystère 20 à destination de la base de Lann-Bihoué d’où un hélicoptère le ramène à l’Île d’Yeu.

L’appel d’un lecteur qui a participé au rapatriement du cercueil sur l’Île d’Yeu nous permet aujourd’hui de corriger cet itinéraire. En réalité, le cercueil a été transporté par un hélicoptère Puma - escorté par un second dans lequel un neveu très éloigné du maréchal Pétain avait pris place - de l’Aviation légère de l’Armée de Terre (ALAT) du GALDIV 8 de Margny-lès-Compiègne depuis la région parisienne jusqu’à l’Île d’Yeu.

Le cercueil voyageur est replacé dans son caveau après une messe dite en présence d’un petit-neveu du maréchal Pétain et de nombreux habitants et officiels. Plusieurs gerbes ont été envoyées. L’une d’elles vient du président de la République, Georges Pompidou. Le 22 février, à 15 h, le caveau est de nouveau scellé.

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Aucune poursuite judiciaire

Les quatre autres membres du « commando » sont identifiés. Parmi eux, se trouve un marbrier de Thiais, en région parisienne, Michel Dumas, qui racontera toute l’opération dans un livre paru chez Albin Michel, en 2004 : La permission du Maréchal, trois jours en maraude avec le cercueil de Pétain.

Avant de les embarquer dans l’aventure, le « cerveau », resté dans l’ombre, de ce coup minutieusement préparé, avait assuré aux membres de sa petite équipe qu’ils ne risquaient pas grand-chose. Un an de prison – probablement avec sursis – tout au plus. Ce ne sera même pas le cas.

Arrêtés. Placés en garde à vue puis remis en liberté, les cinq hommes n’ont fait l’objet d’aucune poursuite, l’État ayant décidé d’abandonner l’action publique. Ce qui est confirmé par la cour d’appel de Poitiers après la contestation d’une branche de descendants du maréchal Pétain. L’affaire est donc définitivement close le 27 avril 1976.

Que s’est-il réellement passé le 19 février ?

Dès le début de l’enquête, le procureur de la République, Roger Hauret, avait souligné la qualité de la préparation et de l’exécution de l’opération. Il semble, avait-il dit au journaliste d’ Ouest-France, le 20 février​, que l’on soit en présence d’un coup particulièrement bien monté et étudié dans ses moindres détails.

Ce coup, Michel Dumas en dévoile tous les secrets dans son livre paru trente ans après les faits. Voici l’histoire. Tout commence par un après-midi pluvieux de janvier 1973 quand maître Jean-Louis Tixier-Vignancour – le véritable « cerveau » de l’opération – pousse la porte du magasin funéraire du marbrier.

Ce n’est pas inhabituel car les deux hommes se connaissent depuis longtemps. Après s’être renseigné sur l’art et la manière d’ouvrir un caveau, l’avocat propose à l’expert de participer à une folle opération : exhumer le corps du maréchal Pétain, enterré sur l’Île d’Yeu, et de le transporter à l’ossuaire de Douaumont afin d’exécuter ses dernières volontés.​.

Par défi plus que par opinion politique, Michel Dumas accepte. Mais à trois conditions : obtenir une attestation de la famille du maréchal Pétain autorisant l’exhumation ainsi que l’assurance que le cercueil ne serait pas ouvert et la promesse qu’il ne serait pas déplacé si son état ne le permettait pas.

Plus tard, il exigera également qu’aucun des membres du commando ne soit armé. Me Tixier-Vignancour accepte et, quelques jours plus tard, remet à sa recrue une lettre qu’il me dit être de la famille de Philippe Pétain ​qui approuvait sans réserve l’exhumation et le transfert du corps du Maréchal à Douaumont​.

Un plan sans accroc

Le 18 février 1973, au soir, quatre hommes du « gang », dont Hubert Massol et Michel Dumas, arrivent au port de Fromentine dans la voiture de Me Tixier-Vignancour, via Le Mans et Angers (entre lesquels ils font une pause) puis Nantes.

La camionnette transportant le matériel nécessaire à l’opération est déjà sur l’île depuis quelques jours. Elle y a été conduite par une commerçante de prêt-à-porter et un membre du commando. Vous vous souvenez de la camionnette immatriculée dans le 92 ? C’était elle !

Le commando laisse la puissante conduite intérieure couleur sable sur le continent, embarque pour l’île d’Yeu et se rend à l’Hôtel des voyageurs où ils sont accueillis par le propriétaire, dans le secret de l’opération.

Ils y dînent, y dorment quelques heures puis, à minuit, les cinq hommes grimpent dans l’estafette et se rendent au cimetière. Après une heure de travail et quelques frayeurs (un chien qui aboie, une lumière qui s’allume…) le cercueil est embarqué dans le véhicule.

Michel Dumas nettoie la tombe et ratisse le sable autour afin de faire disparaître nos traces et les éclats de ciment que l’énergique coup de barre à mine du chef avait éparpillés sur le sol.

Retour sur le continent

Les cinq hommes rentrent alors à l’Hôtel des voyageurs. Ils y prennent une coupe de champagne, puis embarquent à Port Joinville avec l’estafette, à 4 h 45. Une fois sur le continent, trois membres du commando prennent place dans la voiture et deux autres dont Michel Dumas, embarquent dans l’estafette.

Alors qu’il pensait filer d’une traite à Douaumont, le marbrier découvre qu’une étape est prévue dans un château vendéen où le convoi attendra plusieurs heures l’arrivée d’un contact qui ne se présentera jamais.

Ces heures d’attente pour rien compliquent l’opération car le soleil se lève et la course contre la montre est lancée. Le commando reprend finalement la route en direction de Douaumont. Mais, à Paris, il fait une autre pause chez une huile parisienne qui tient à féliciter ses « héros ». Michel Dumas avoue dans son ouvrage ne pas avoir compris cette décision qui les mettait une nouvelle fois en difficulté.

Nous sommes toujours le 19 février. L’après-midi est déjà avancé. Le commando a repris la route en direction de Douaumont sans savoir que le vol a été découvert et que les autorités – jusqu’à l’Élysée – sont au courant. Ils ont quitté Paris depuis longtemps quand la voiture de tête fait signe à l’estafette de s’arrêter.

Le chef a la radio dans son véhicule et il a entendu que le vol du cercueil a été découvert. Il faut faire demi-tour. On rentre à Paris. Un immense filet se tendait et la question était de savoir si nous parviendrions à passer au travers des mailles​, écrit Michel Dumas. Après plusieurs arrêts, la camionnette est conduite dans un garage à Saint-Ouen où elle est découverte par les enquêteurs, un peu après minuit.

LE COIN DES CURIOSITÉS

 

Installation de Francis Marshall, ancien instituteur qui eut à sa disposition une salle entière pour mettre en scène ses grandes poupées.

Installation de Francis Marshall, ancien instituteur qui eut à sa disposition une salle entière pour mettre en scène ses grandes poupées.

Photo Halle Saint-Pierre

En 1983, Caroline et Alain Bourbonnais ouvraient une maison-musée à Dicy, dans l’Yonne, pour y exposer leur collection d’œuvres d’art brut et d’art populaire. Une partie de ce trésor est présentée à la Halle Saint-Pierre, à Paris, jusqu’au 28 août.

EXPO

Les 40 ans de la Fabuloserie, musée de l’art “hors les normes”

À Dicy, un village de Bourgogne, se cache la Fabuloserie : une surprenante maison-musée et un jardin habité par des œuvres d’art dit « hors les normes », dont le fameux manège de Petit Pierre. Plus d’un millier de peintures, de dessins, de sculptures, d’installations d’art brut, d’art naïf et d’art populaire, réalisés par des artistes en marge de la scène officielle, ont trouvé refuge dans ce lieu, ouvert au public en 1983. Une partie de ce fabuleux trésor, constitué par Caroline et Alain Bourbonnais, est aujourd’hui présentée à la halle Saint-Pierre. Lui, architecte, dessinateur, sculpteur, s’intéressait non seulement à cet art, mais aux histoires personnelles de chacun des auteurs. Motivé par la curiosité, et sans doute par une certaine compassion, il a révélé ces artistes hors les normes et ce qu’ils cherchaient à garder secret. Le collectionneur commence à acheter des pièces au début des années 1970. Puis, en septembre 1972, il ouvre l’Atelier Jacob, au 45 de la rue du même nom, pour les exposer. On s’y précipite. Mais on n’achète pas, l’art brut effraie. Bourbonnais reste le seul acquéreur de ces objets étonnants, qui s’accumulent dans sa galerie. La situation devient intenable.



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Des personnalités à la folie créatrice

Alain Bourbonnais est sans cesse à l’affût de possibles rencontres avec des personnalités qui expriment leur folie créatrice. Lors d’un séjour dans le Lot, il découvre les assemblages de racines d’arbre de René Guivarch, un retraité de la marine marchande. Une autre fois, le couple part à la recherche d’Alain Genty dans le Sancerrois pour voir sa cohorte d’animaux fabuleux en terre cuite, que l’artiste offrira – car, dit-il, « je ne vends pas ma vie » – à la Fabuloserie en déclarant : « Ici, c’est ma maison. »

Autre parcours atypique, celui de Francis Marshall, qui bénéficie d’une pièce pour lui tout seul afin d’y installer de grandes poupées aux grosses cuisses, les bras ballants. Ancien instituteur, il s’est inspiré d’une jeune fille, Mauricette, qu’il avait croisée dans un village de Normandie touché par la pauvreté et l’alcoolisme, et qu’il décrit en ces termes : « Regard trouble de l’adolescence en campagne, mal coiffée, mal maquillée, mal soignée, mal aimée… »

Les œuvres réunies à la Halle Saint-Pierre, signées de cinquante artistes, sont inimitables, incopiables ; chacune est d’une fantastique qualité plastique, résultat d’une pulsion sincère et libre.

La Fabuloserie en quelques dates
1925

Naissance d’Alain Bourbonnais. 
1988
Décès d’Alain Bourbonnais.
1989
Inauguration du gigantesque manège de Petit Pierre dans le parc de la Fabuloserie.
2014 
Décès de Caroline Bourbonnais et reprise de la Fabuloserie par ses filles, Agnès et Sophie.



LA MORT DE MOLIÉRE

 

1673 : l'enflammée « oraison funèbre » à la mort de Molière

le 16/02/2023 par Jean Donneau de Visé

Le 17 février 1673, à la fin de la quatrième représentation du Malade imaginaire au Palais royal, Molière meurt. Dans le Mercure Galant son ami Jean Donneau de Visé, fondateur de la revue, se livre à un long et lyrique exercice d'adieu à l'« illustre défunt ». Nous publions ici son début.

On apprend l'histoire à l'école : à peine les rideaux tombent que Molière, arrivé chez lui, est pris d'une violente quinte de toux. Elle lui est fatale.

Malgré l'émoi que suscite sa mort et l'immense célébrité dont il jouit, Molière est dramaturge et comme tous les gens de théâtre, il est de fait excommunié. On l'enterre donc de nuit au Père Lachaise, sans cérémonie. Et s'il échappe à la fosse commune, ce n'est que grâce à l'intervention expresse du roi Louis XIV. A son inhumation, parmi nombre de proches, on y croise le « sieur » Jean Donneau de Visé, célèbre polémiste mondain, critique et fondateur de la première revue mensuelle en langue française Le Mercure Galant, qui deviendra bientôt Le Mercure de France.

Dans celle-ci, de Visé se livre à une longue supplique, une véritable « oraison funèbre » en l'honneur du disparu, mêlant réalité et fantaisie, douleur et joie, et utilisant, comme un dernier hommage au maître, la trame narrative d'une pièce de théâtre.

[...] Toute la compagnie se preparoit à parler d'autre chose, lorsqu’un homme qui avoit accoustumé de venir dans cette ruelle parla de la mort de Molière, dont on s'estoit déjà entretenu quelques jours auparavant.  Il estoit illustre de plusieurs manières, et sa réputation peut égaler celle du fameux Roscius, ce grand comédien si renommé dans l'antiquité, et qui méritoit cette belle harangue qu'il récita dans le sénat pour ses intérests.

Le regret que le plus grand des roys a fait paroistre de sa mort est une marque incontestable de son mérite. Il avoit trouvé l'art de faire voir les defauts de tout le monde sans qu'on s’en pût offenser, et les peignoit au naturel dans les comédies qu'il composoit encor avec plus de succez qu'il ne les récitoit, quoy qu'il excelât dans l'un et dans l'autre. C'est luy qui a remis le comique dans son premier éclat, et depuis Térence personne n'avoit pû légitimement prétendre à cet avantage. Il a le premier inventé la manière de mêler des scènes de musique et des ballets dans les comédies, et il avoit trouvé par là un nouveau secret de plaire qui avoit esté jusqu'alors inconnu, et qui a donné lieu en France à ces fameux opéras qui font aujourd’huy tant de bruit, et dont la magnificence des spectacles n'empesche pas qu'on ne le regrette tous les jours.

J'eus à peine achevé de parler du mérite de cet autheur, qu'une personne de la compagnie tira quelques pièces de vers qui regardoient cet illustre défunt. Plusieurs en lûrent haut, et les autres bas.

Voicy ce qui fut entendu de toute la compagnie.

PIÈCE DE VERS SUR LA MORT DE MOLIÈRE

Si dans son art c'est être un ouvrier parfait

Que sçavoir trait pour trait

Imiter la nature,

Molière doit passer pour tel :

Michel-Ange, Le Brun et toute la peinture

Comme luy n'ont sceu faire un mort au naturel.

AUTRE

Cy gît un grand acteur que l'on dit estre mort.

Je ne sçay s'il l'est, ou s'il dort.

Sa maladie imaginaire

Ne sçauroit l'avoir fait mourir;

C'est un tour qu'il fait à plaisir,

Car il aimoit à contrefaire.

Quoy qu'il en soit, cy gît Molière.

Comme il estoit comedien,

S'il fait le mort, il le fait bien.

AUTRE

Cy gît le Térence françois,

Qui mérita pendant sa vie

De divertir, malgré l'envie,

Le plus sage de tous les rois.

Il a poussé l'esprit comique

Jusques au dernier de ses jours;

La mort en arrestant le cours,

Il a fini par le tragique.

AUTRE

Cy gît qui parut sur la scène

Le singe de la vie humaine,

Qui n'aura jamais son égal,

Qui, voulant de la mort ainsi que de la vie

Estre l'imitateur dans une comédie,

Pour trop bien réussir, y réussit fort mal :

Car la Mort, en estant ravie,

Trouva si belle la copie

Qu'elle en fit un original. 

AUTRE

Cy gît sous cette froide bière

Le fameux comique Molière.

Je ne sçay pas bien s'il y dort :

Celuy qui sceut tout contrefaire

Y pourroit bien encor contrefaire le mort.

AUTRE

Celuy qui gît dans ce tombeau,

Passant, c'est le fameux Moliere,

De qui l'esprit estoit si beau

Que rien ne faisoit peine à sa vive lumière.

Regrète son trépas si tu chéris les vers,

Car il charmoit les sens sur tous sujets divers;

Mais la cruelle Parque, en nous faisant injure,

S'accordant avecque la Mort,

L'a laissé dans la sépulture

Où cet acteur faisoit le mort.

AUTRE

Sous ce tombeau gisent Plaute et Térence,

Et cependant le seul Moliere y gît :

Leurs trois talens ne formoient qu'un esprit,

Dont le bel art divertissoit la France.

Ils sont partis, etj'ay peu d'esperance

De les revoir, malgré tous nos éforts.

Pour un long temps, selon toute apparence,

Térence, et Plaute, et Moliere, sont morts.

AUTRE

« C'est donc là le pauvre lrfoliere,

Qu'on porte dans le cimetiere ? »

En le voyant passer, dirent quelques voisins.

« Non, non, dit un apothicaire,

Ce n'est qu'un mort imaginaire

Qui se raille des médecins. »

AUTRE

Pluton, voulant donner aux gens de l'autre vie

Le plaisir de la comédie,

Ayant pour faire un choix longtemps délibéré,

Ne trouva rien plus à son gré

Que le Malade imaginaire.

Mais, comme par malheur il manquoit un acteur,

L'un d'entre eux dit tout haut qu'on ne pouvoit mieux faire

Que d'envoyer quérir l'autheur.

AUTRE

Molière à chacun a fait voir

L'inutilité du sçavoir

De ceux qui font la médecine,

Et, pour accomplir son dessein

Et nous mieux prouver sa doctrine,

Il meurt dès qu'il est médecin.

Ces vers donnèrent occasion de parler de la médecine. Quelques-uns se déclarèrent contre, et plusieurs prirent son party. Un de ceux qui la défendirent avec le plus de chaleur tint ce discours en parlant de Molière :

« S'il avoit eu le temps d'estre malade, il ne seroit pas mort sans médecin. Il n'estoit pas convaincu luy-mesme de tout ce qu'il disoit contre les médecins, et, pour en avoir fait rire ses auditeurs, il ne les a pas persuadez. Je demeure d'accord avec luy que la plus grande partie de la médecine consiste dans l'ordonnance des lavemens, saignées et purgations; mais il faut les sçavoir ordonner à propos, et sçavoir, selon les maladies qu'on a à guérir, ce qu'il faut mettre dans le premier et le dernier de ces remèdes.

On en peut faire de cent manières différentes ; mais pour cela il faut connoistre les simples et sçavoir leurs vertus.

Non, non, le monde ne peut croire ce que cet autheur a dit des médecins. Il est constant qu'il y a des remèdes; les bestes en trouvent et se guérissent elles-mêmes : hé ! pourquoy, puisque les hommes ont bien connu les herbes qui empoisonnent, ne connoistroient-ils pas celles qui ont la vertu de les guérir ? Rien n'est si commun que les salutaires effets des ordonnances des médecins. On connoist ceux des médecines et des lavemens par la bile et par les impuretez qu'elles font évacuer. On sait combien la saignée est nécessaire à un malade quand il est oppressé; et Molière, ce même Molière, pendant une oppression, s'est fait saigner jusques à quatre fois pour un jour. »

Plusieurs eurent de la peine à le croire, et, chacun ne s'accordant pas sur le chapitre de la médecine, on parla des ouvrages du défunt, qu'un défenseur de la médecine voulut traiter de bagatelles. 

« Je scay bien, repartit un autre qui n'estoit pas de son sentiment, que Molière a mis des bagatelles au théâtre; mais elles sont tournées d'une manière si agréable, elles sont placées avec tant d'art et sont si naturellement dépeintes, qu'on ne doit point s'étonner des applaudissemens qu'on leur donne. Pour mériter le nom de peintre fameux, il n'est pas nécessaire de peindre toujours de grands palais et de n'employer son pinceau qu'aux portraits des monarques : une cabane bien touchée est quelquefois plus estimée de la main d'un habile homme qu'un palais de marbre de celle d'un ignorant, et le portrait d’un roy, qui n'est recommandable que par le nom de la personne qu'il représente, est moins admiré que celuy d'un païsan, lorsqu'il n'y manque rien de tout ce qui le peut faire regarder comme un bel ouvrage. »

La conversation alloit s'échauffer, lorsqu'on vint dire à la maistresse du logis que Cléante estoit prest et qu'elle pouvoit passer dans la salle avec toute la compagnie. Comme chacun se levoit sans sçavoir pourquoy on changeoit de lieu :

« Il faut, dit la maistresse du logis en arrestant tout le monde, que je vous avertisse d'une chose qui vous surprendra fort. Cléante m'estant venu voir le lendemain que Molière mourut, nous témoignâmes le regret que nous avions de sa perte. Il dit qu'il avoit envie de faire son oraison funèbre. Je me moquay de luy. Il me dit qu'il la feroit, et qu'il la réciteroit mesme devant ceux que je voudrois. J'en demeuray d'accord, et luy dis que j'avois fait faire une chaise parce que Molière devoit venir jouer le Malade imaginaire chez moy, et qu’elle luy serviroit. Il m'a tenu parole, et nous alIons voir s'il s'acquitera bien de ce qu'il m’a promis. »

Comme Cléante estoit un homme fort enjoué et qui divertissoit fort les compagnies où il estoit, ils passèrent tous avec empressement dans la salle où on les attendoit. Elle estoit toute tendue de deuil et remplie d’écussons aux armes du défunt. Cléante n'eust pas plutost appris que toute la compagnie avoit pris place, qu'ayant pris une robe noire, il monta en chaise avec un sérieux qui fit rire toute l'assemblée. Il commença de la sorte.

Ma femme est morte, je la pleure; si elle vivoit, nous nous querellerions.

Acte premier de l'Amour Médecin, de l'autheur dont nous pleurons aujourd'huy la perte. Quoyqu'il semble que ces paroles ne conviennent pas au sujet qui m'a fait monter dans cette chaise, il faut pourtant qu’elles y servent ; je sçauray les y accommoder, et je suivray en cela l'exemple de bien d'autres. Répétons-les donc encor une fois, ces paroles, pour les appliquer au sujet que nous traitons :

Ma femme est morte, je la pleure; si elle vivoit, nous nous querellerions.

Molière est mort, plusieurs le pleurent, et, s'il vivoit, ils luy porteroient envie. Il est mort, ce grand réformateur de tout le genre humain, ce peintre des mœurs, cet introducteur des Plaisirs, des Ris et des Jeux, ce frondeur des vices, ce redoutable fléau de tous les Turlupins; et, pour tout renfermer en un seul mot, ce Môme de la terre, qui en a si souvent diverty les dieux.

Je ne puis songer à ce trépas sans faire éclater mes sanglots.

Je voy bien toutefois que vous attendez autre chose de moy que des soupirs et des larmes; mais le moyen de s'empescher d'en répandre un torrent ? Que dis-je, un torrent ? ce n'est pas assez, il en faut verser un fleuve. Que dis-je, un fleuve ? Ce seroit trop peu, et nos larmes devroient produire une autre mer. Non, Messieurs, il n'est pas besoin du secours de l'art pour vous faire voir ce que vous perdez ; la douleur est plus éloquente, plus éloquente, plus éloquente, enfin... plus éloquente... Vous entendez bien ce que cela veut dire, et cela suffit.

Il faut passer à la division des parties de cet éloge, dont le pauvre défunt ne me remerciera pas; mais, avant d'entrer dans cette division, faisons une pose utile à nos santez, toussons, crachons et mouchons nous harmonieusement. Il faut quelquefois reprendre haleine; c'est ce qui nous fait vivre.

La musique a, dit-on, quatre parties; mon discours n'en aura pas moins. Molière autheur et Molière acteur en feront tout le sujet. Ce ne sont que deux points, me direz-vous. Vous avez raison; mais on en peut facilement faire quatre, et voicy comment. Molière autheur fera deux points, c'est-à-dire que je parleray dans le premier de la beauté de ses ouvrages, et dans le second des bons effets qu'ils ont produits en corrigeant tous les impertinens du royaume. Molière acteur me fournira aussi la matière de deux points, et je feray voir que non-seulement il jouoit bien la comédie, mais encor qu'il sçavoit bien la faire jouer. Voilà, si je compte bien, mes quatre points tout trouvez.

Si je les traite bien, vous ne me trouverez pas trop long; mais, si je vous ennuye, ce sera trop de la moitié. Passons donc au premier et parlons de la beauté des ouvrages du défunt.

Je ne croy pas qu'il soit nécessaire de vous en entretenir long-temps : peu de gens en doutent, et ceux qui n'en sont pas persuadez ne méritent pas d'estre desabusez. En effet, Messieurs, si l'art qui approche le plus de la nature est le plus estimé, ne devons-nous pas admirer les ouvrages du défunt ? Les figures les plus animées des tableaux de nos plus grands peintres ne sont que des peintures muettes, si nous les comparons à celles des ouvrages de l’autheur dont j'ay entrepris aujourd'huy le panégyrique. Quelle fécondité de génie sur toutes sortes de matières ! Que n’en tiroit-il point ? vous l'avez vu, et vous sçavez qu'il estoit inépuisable sur le chapitre des médecins et des cocus. Mais passons outre et ne r'ouvrons point les playes de ces messieurs. Finissons donc ce point en disant que le défunt n'estoit pas seulement un habile poète, mais encor un grand philosophe. Philosophe ! me direz-vous, philosophe ! Un philosophe doit-il chercher à faire rire ? Démocrite en estoit un, chacun le sçait, et cependant il rioit toujours. C'estoit trop, il faut quelquefois pleurer. Pleurons donc, puis que c'est aujourd'huy un jour de pleurs.

Pleurons tous, pleurons, remplissons nos mouchoirs de larmes.

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