samedi 21 janvier 2023

 

"Le style c’est l’homme", écrivait Buffon, Annie Ernaux l’a pris au pied de la lettre (Th. Martin)

par Thierry Martin. 7 octobre 2022

[Les tribunes libres sont sélectionnées à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Le Monde, L’Obs, 20 Minutes, le Huffington Post, Télérama, l’agence Tass, heu pardon ! France Presse, bref tous les médias de l’Etablissement ont exhumé un papier de leurs pages froides - il ne faut pas être pris de court, et la nobélisée Annie Ernaux, qui ressemble de plus en plus à Michel Houellebecq, a déjà 82 ans. Macron et Mélenchon se sont bien sûr précipités pour la féliciter.

Elle est loin l’année 1964, quand Sartre refusait le prix Nobel de littérature, devenant le seul écrivain à avoir décliné la distinction. Le jour même de sa décision, il l’expliquait dans les colonnes du Figaro : le prix Nobel l’aurait changé en « institution », ce qui n’était pas en accord avec sa vision personnelle de l’écrivain. Aujourd’hui, la gauche n’a plus ce genre d’état d’âme, et Madame Ernaux un sujet du bac definitely du côté du manche.

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Annie Ernaux "casse les codes de l’écriture « féminine »". Il faut casser les codes. Elle « est connue, écrit LSD : Liberté, Sororité, Diversité, pour avoir été la première femme à écrire dans un style que l’on pensait “masculin”, c’est à dire sans fioritures, sans émotions personnelles. Bref loin de ce style qui « ne peut être que d’amour » pour les femmes. » Lisant « Le style c’est l’homme » [1], l’écrivaine a pris la phrase du naturaliste Buffon au pied de la lettre, oubliant qu’en français l’homme veut dire aussi la femme.

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C’est vrai que les Hussards, mouvement littéraire français des années 1950 et 1960, qui portaient en étendard l’amour du style et l’impertinence, n’étaient que des hommes. Blondin, Nimier, Déon...

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Dès l’incipit du Traité du style que le jeune Aragon avait publié en 1926, ne pouvait-on pas lire (avec cette faute qu’on comprend volontaire) : « Faire en français signifie chier. Exemple : Ne forçons pas notre talent : Nous ne FAIRONS rien avec grâce. La carte postale représentait un petit garçon sur le pot. Sujet de plaisanteries inépuisables, cependant une moitié de la population dépérit pour ce que tant de bons mots sont au rencart depuis que la chaise percée passa de mode » ?

Annie Duchesne naît au même moment que la chanson "En mille-neuf-cent-quarante, j’ai renversé le pot de chambre".

La sociologie bourdieusienne de la domination - qui a ravagé l’esprit français - lui a permis, dit-elle, dans les années 1970, d’identifier le « mal-être social » qui la ronge dès son entrée dans une école privée dans les années 1950. Elle vit jusqu’à ses 18 ans dans le café-épicerie « sale, crado, moche, dégueulbif » de ses parents à Yvetot en Haute-Normandie, oubliant que ce café-épicerie « sale, crado, moche, dégueulbif » permet à ses parents de lui payer une école privée.

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L’héroïne des Armoires vides décrit les deux mondes dans lesquels l’adolescente évolue : « l’ignorance, la crasse, la vulgarité des clients ivrognes, les petites habitudes minables de ses épiciers de parents » - oubliant encore que c’est ceux-là même qui lui paient son école - et « la facilité, la légèreté des filles de l’école libre ».

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En 1984, La Place lui vaut d’emblée le prix Renaudot. « On parle à son sujet d’écriture minimaliste, qui vise un certain « degrés zéro » de l’esthétique pour dépasser ce que la littérature ne parvient pas à capter : la réalité la plus banale. Cette écriture plate, pour reprendre un terme de l’auteur, vise à capter la vie avec la neutralité d’un objectif. On est donc loin de l’écriture fleurie - soit disant [sic] féminine », écrivent les sisters LSD « défoncé.e.s à la liberté » qui farcissent leur écriture inclusive de fautes involontaires. « Le "je" ici est neutre, un pur capteur, différent du je autobiographique habituel gorgé d’émotion. Il est un support pour saisir le réel : rien d’autre. C’est pourquoi l’expérience personnelle se transforme dans ses romans en une expérience collective et du même coup en expérience dé-genrée. »

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Annie, celle qui vient de publier Le Jeune homme dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard - un récit de 37 pages pour quand même 8 euros - l’a dit à plusieurs reprises dans ses interviews, « Si elle devait choisir sa mort, ce serait pendant des ébats ardents avec un amant... même si elle reconnaît que ce serait un peu "éprouvant" pour l’amant », s’émoustillent les sisters du Salon des Dames, qui se présentent comme une ONG qui repense la place des femmes dans la société et réintègre les femmes dans les manuels scolaires de l’Education nationale. Tout un programme. Voilà qui plaira à notre ministre wokiste de l’Education nationale.

Pierre Jourde écrivait dans son blog de L’Obs le 24 août 2021 : « Vous vous souvenez certainement de cette tribune qui, à l’initiative d’Annie Ernaux, a permis de débusquer de son trou le nazi Richard Millet (alias M le maudit). Ce fut un lynchage organisé. L’abject individu en a d’ailleurs perdu son emploi. […] J’aime bien les comités d’épuration, ils aident à rendre la justice. La même Ernaux a d’ailleurs appelé depuis au boycott d’Israël ». A l’époque, Marc Cohen avait écrit dans Causeur, le 21 septembre 2012 : « Affaire Millet : Patrick Besson scalpe Annie Ernaux », alors qu’Annie Ernaux vient d’écrire dans Le Monde "Le pamphlet fasciste de Richard Millet déshonore la littérature". »

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« La lettre-pétition d’Annie Ernaux contre Richard Millet dans Le Monde du mardi 11 septembre 2012 a paru accompagnée de 109 noms de personnes que le journal, par une sorte de prudence atavique gagnée au fil des années, se garde bien de qualifier d’écrivains, écrit Patrick Besson dans Le Point. Surprise : Didier Daeninckx absent de cette liste exhaustive de dénonciateurs qui restera dans l’histoire des lettres françaises comme la liste Ernaux. Je ne vois qu’une explication : Didier est décédé. Je présente toutes mes condoléances à sa veuve. » 

"Qui fait l’ange fait la bête", écrivait Blaise Pascal, voilà où mène la bien-pensance, et l’écrivain progressiste Annie Ernaux au prix Nobel de littérature.

Thierry Martin

[1Discours de Buffon lors de sa réception à l’Académie française, 25 août 1753 (note du CLR).

Mis en ligne : 7 octobre 2022

 

Gérald Bronner, une transclasse contre le "la douleur" par Annie Ernaux



Enfants d’ouvriers ou de femmes de ménage, ils sont devenus des écrivains, des intellectuels ou des hommes politiques de premier plan. La France se distingue par ses inégalités scolaires, mais les « transfuges de classe », ou « transclasses », sont en vogue dans l’édition. Avec Et tes parents, ils font quoi ?, Adrien Naselli, fils d’une secrétaire et d’un chauffeur de bus, a interrogé des nomades sociaux (Rokhaya Diallo, Aurélie Filippetti…). Dans Restez chez vous…! Sébastien Le Fol a également rencontré des personnalités confrontées au mépris de classe, de Michel Onfray à François Pinault. L’an dernier, le prix Nobel de littérature récompensait Annie Ernaux, véritable sainte des « transclasses ». Comme si passer de parents de petits commerçants normands à l’enseignement du français équivalait à un chemin de croix…

Dans Les Origines, Gérald Bronner revient à son tour sur ses origines modestes. Mais, loin d’un coming out misérable, son récit, qui mêle expérience personnelle et réflexions sociologiques, interroge la douleur qui accompagne souvent les livres de ces transclasses. Pourquoi l’ascension sociale doit-elle inévitablement être douloureuse ? Le sociologue a grandi dans une banlieue HLM de Nancy qui serait aujourd’hui qualifiée de « sensible ». Pendant longtemps, il s’est cru issu d’un milieu aisé. Jusqu’à ce que les vêtements portés par ses camarades, leurs destinations de vacances ou les professions de leurs parents lui ouvrent les yeux : « A un moment, j’ai compris : ma famille et moi, nous étions pauvres. » Qui connaît un peu l’université peut certifier qu’il n’y a là aucune coquetterie consistant à surjouer les origines populaires. Caricature de ce snobisme inversé, la chanteuse autrefois connue sous le nom de Christine and the Queens avait invoqué « un souvenir de muscles ouvriers », lorsque ses parents étaient enseignants dans le secondaire et le supérieur…

promesse de l’aube

Premier de sa famille (« toutes lignées confondues ») à décrocher le bac, Gérald Bronner est aujourd’hui comblé d’honneurs : professeur à la Sorbonne, essayiste à succès, président d’une commission contre les fake news à la demande d’Emmanuel Macron, à laquelle on peut ajouter une rubrique bimensuelle dans L’Express. Chez lui, jure-t-il, il n’y a pas de honte, contrairement à d’autres transclasses imprégnées de sociologie. De Pierre Bourdieu à Annie Ernaux en passant par Didier Eribon, beaucoup ont raconté leur embarras de ne pas avoir eu les codes des classes dominantes dans leur façon de s’habiller, de parler ou de manger, mais aussi leur culpabilité d’avoir trahi leur milieu social d’origine.

« Autant dire que ce n’est pas la honte qui me semble – même au départ – caractériser mon parcours et celui de beaucoup de mes amis d’enfance que j’ai gardés et qui, pour certains, sont devenus, eux aussi, des transclasses, assure Gérald Bronner. Ce n’est pas que le sentiment de honte soit absent de nos vies. Certes, il arrive parfois que nous n’ayons pas les codes d’un dîner ou d’une pratique culturelle (quand faut-il exactement applaudir à l’opéra ?), mais non plus. ni moins que tout autre individu qui traverse un univers culturel qui n’est pas le sien. Bien sûr, j’ai parfois ressenti une certaine gêne comme le Camus du Premier Homme, roman autobiographique inachevé, qui se rend compte que le travail de sa mère est domestique, quand J’ai dû remplir, comme lui, la rubrique ‘profession des parents’ dans mon parcours scolaire, surtout au lycée je devais mentionner ‘femme de ménage’ quand d’autres écrivaient sans même y penser ‘médecin’ ou ‘ingénieur’. encore une fois, quand l’âge de l’amour est venu, mon out-of-f Les vêtements de mode m’ont un peu rendu un mauvais service, et tout ce que quelqu’un veut dire ou écrire à ce sujet est un peu vrai. Mais seulement un peu, je pense. C’est l’histoire de la douleur qui transforme ce « peu » en « beaucoup ». Il transforme de minuscules embarras en amertume incontrôlable. »

Pour le sociologue, l’attractivité de l’habitus bourgeois est souvent surestimée. Il rencontra des ministres et des présidents de la République, et ne put s’empêcher de penser que, jeune, dans une cour de récréation, lui et ses camarades auraient sans doute maltraité ces rejetons de bonnes familles, considérés comme des dominateurs. « Souvent, quand on rencontre des bourgeois, grands ou petits, on ne peut pas toujours les voir autrement que comme des êtres faibles. C’est exagéré d’imaginer qu’on a profondément envie de leur ressembler », ironise-t-il. Si les riches méprisent les goûts des pauvres, l’inverse peut aussi être vrai.

Gérald Bronner concède avoir grandi à une époque, les années 1970 et 1980, où la richesse matérielle des autres était moins visible. Les réseaux sociaux, sur lesquels les influenceurs affichent leur lifestyle clinquant, multiplient désormais les passions égalitaires. Mais, dit-il, venir d’un milieu modeste peut aussi avoir ses avantages et ses récompenses. Le baccalauréat, pour un fils de médecin, est un non-événement. Pour un fils d’ouvrier, c’est une fierté, une promesse naissante qui peut vous convaincre d’un destin. Comme le racontait notre confrère Emilie Lanez dans Même les politiciens ont un père, Pierre Moscovici, alors qu’il venait de sortir sixième de l’ENA, n’avait droit qu’aux railleries de son père Serge, mandarin universitaire : « Sixième dans ton école de plomberie ? a travaillé. » En décrochant son bac, Gérald Bronner a été fêté par une maman aux anges.

L’exemple des enfants d’Asie du Sud-Est

Bien sûr, il y a le manque de capital culturel, l’autocensure consistant à ne pas viser trop haut en termes d’études, ou l’injonction de rester à sa place sociale. Les Grandes Ecoles accueillent majoritairement les enfants des classes aisées (64 % des effectifs), alors que les enfants des classes inférieures ne représentent que 9 % des élèves. La France est l’un des pays de l’OCDE les plus sujets aux inégalités intergénérationnelles, un scandale qui alimente la critique de la méritocratie. Mais, pour Gérald Bronner, il faut sortir du piège du déterminisme sociologique et du fatalisme social, propices aux prophéties auto-réalisatrices. Tout n’est pas régi par des variables économiques ou sociales, le récit de soi compte également. La chercheuse cite des enfants d’Asie du Sud-Est : « Dans leur milieu social, on professe – plus qu’ailleurs – qu’à l’école l’excellence est possible, mais qu’on ne l’atteint pas sans effort. Leur réussite doit beaucoup, semble-t-il, au mérite méritocratique. convictions de leurs éducateurs, pour qui les portes de l’école sont celles de l’ascenseur social. Bref, ils ont des chances de réussite que n’ont pas ceux qui commencent la vie convaincus que pour eux la partie est finie, puisque tout dans le « système » conspire pour qu’il en soit ainsi. Ces enfants asiatiques partent avec les mêmes désavantages sociaux que les autres enfants d’immigrés, mais ils ont une histoire de réussite et d’eux-mêmes très différente. »

La majorité des histoires de transclasses cachent aussi la génétique, cette loterie qui permet de rebattre (un peu) les cartes sociales. La « réussite » scolaire est multifactorielle. Elle a des origines socio-économiques, mais se joue aussi en partie dans l’ADN. Comme l’explique le grand généticien Robert Plomin, les recherches sur les jumeaux montrent qu’environ 50% de nos capacités intellectuelles sont liées à notre héritage biologique. Inné et acquis se mêlent. Pour le sociologue, ceux qui veulent tout expliquer par le social sont aussi fautifs que ceux qui avaient à tort promu le déterminisme biologique.

Par ailleurs, la psychanalyse, la sociologie ou la génétique se focalisent sur les parents, mais négligent le rôle des « pairs », c’est-à-dire les amis et les personnes que nous fréquentons. Un jeune commencera à moins fumer sous l’influence de ses parents que de ses amis, qu’il voudra imiter. Les regards, la musique, les orientations scolaires sont stimulés par les interactions que nous avons alors que nous sommes encore en pleine formation. Quiconque a fréquenté des établissements populaires sait que la réussite scolaire doit souvent y être dissimulée plutôt que revendiquée, contrairement aux écoles plus élitistes.

Pourquoi devenons-nous ce que nous sommes ? La question vertigineuse mérite mieux qu’une vision simpliste et manichéenne. C’est la force de cet ouvrage aussi stimulant qu’émouvant, invitant à puiser dans plusieurs disciplines scientifiques. « Essayer de rester ouvert à la complexité du monde est le plus bel hommage que je puisse rendre à l’héritage de mes origines », conclut Gérald Bronner, qui considère que son milieu social lui a laissé un bien plus grand souci de dignité. juste un sentiment de honte. Mais le sociologue, d’obédience boudonienne, rejoint les Bourdieusiens sur un point : la France a besoin de plus de mixité sociale, pour que chacun puisse devenir ce qu’il veut. Nos origines ne doivent pas être des destinations.

« Les Origines », de Gérald Bronner. Sinon, 186 p., 19 €. Sortie le 25 janvier.

Article original publié sur: Source

jeudi 19 janvier 2023

GASPARD ULLIEL

 

PUTAIN DE POUDREUSE


Cinéma

Gaspard Ulliel, un an après, un souvenir toujours vivace


Gaspard Ulliel dans son dernier film « Plus que jamais », sur la mort prématurée, le deuil et le temps qui reste.

Gaspard Ulliel dans son dernier film « Plus que jamais », sur la mort prématurée, le deuil et le temps qui reste.


Le 19 janvier 2022, l’acteur Gaspard Ulliel, 37 ans, décédait des suites d’une collision avec un autre skieur. Alors que sa présence sur les écrans ne s’est pas encore tout à fait estompée, il nous manque déjà.

Un an que la poudreuse a joué les faucheuses en emportant Gaspard Ulliel, à 37 ans, dans un banal accident de ski… Un an que sa brutale disparition a endeuillé le cinéma. Expérience troublante pour le spectateur, l’acteur au regard bleu nuit a pourtant continué à hanter les écrans après sa mort. Non pas seulement parce que certains de ses rôles sont inoubliables – enfant de l’exode au crâne rasé dans Les Égarés, de Téchiné, génie du style et grand écorché dans Saint Laurent, de Bertrand Bonello, revenant mélancolique et moribond dans Juste la fin du monde, de Xavier Dolan. Il est récemment apparu, comme autant d’étranges clins d’œil posthumes, dans plusieurs productions inédites, sur grand et petit écran, entre franchise hollywoodienne et cinéma d’auteur européen.

Dès le mois de mars, Moon Knight, la minisérie Marvel, arrivait sur Disney+. Dans l’épisode 3 de ce récit d’aventure, on retrouvait Gaspard Ulliel dans la peau de l’Homme de minuit, l’un des ennemis de Marc Spector (Oscar Isaac), le bras armé du dieu de la lune. De quoi nous rappeler que l’acteur avait, tout comme Léa Seydoux, une carrure internationale.

Au cinéma, c’est le 16 novembre dernier, dix mois presque jour pour jour après sa mort, que l’acteur s’est retrouvé au générique de deux films… Dans Coma, tourné en décembre 2021, Bertrand Bonello, très proche d’Ulliel qu’il avait dirigé dans Saint Laurent et devait retrouver sur son plateau au printemps 2022 (drame d’anticipation, La Bête aura finalement Léa Seydoux et George MacKay à son casting), nous fait entendre la voix du jeune homme. Le film est confiné dans la chambre d’une adolescente où des poupées dialoguent comme les personnages d’une sitcom. L’une d’elles s’appelle Scott et parle comme Gaspard Ulliel. « J’étais seul dans une salle de projection, Gaspard venait de mourir, et quand j’ai entendu sa voix résonner dans la salle, c’était comme une hantise », a confié Bonello à Variety, exprimant avec ses mots ce que les spectateurs plongés dans le noir ont dû eux aussi ressentir.

Quand la fiction devient archive

Et puis, il y eut Plus que jamais, que les critiques et festivaliers avaient déjà découvert dans la section Un certain regard à Cannes, en mai. Éprouvante projection que celle de ce film sur la mort prématurée, le deuil et le temps qui reste, réalisé par la Franco-Allemande Emily Atef : comment ne pas ressentir comme un vertige méta(physique) en voyant Gaspard Ulliel, déjà mort dans la vraie vie, incarner le compagnon aimant d’une femme (jouée par Vicky Krieps) qui se meurt d’une maladie incurable ?

La réalité a transformé la fiction en une archive précieuse : « le » dernier film de Gaspard Ulliel. Entre la noirceur de Bordeaux et la lumière des fjords norvégiens, l’acteur déploie sans fioritures toutes les variations de la douceur et de l’amour. C’est précisément cette douceur qui nous manque. Cette façon d’infléchir sa voix en une modulation plaintive et caressante qui nous rappelait parfois les accents de grâce qu’un Depardieu d’avant-cabotinage pouvait nous offrir en une phrase, en un regard.

Dans les dernières années de sa courte vie, Gaspard Ulliel, souvent brocardé pour sa plastique lisse de mannequin pour parfum (il était le visage du Bleu de Chanel) avait su apporter profondeur et relief à son jeu, plein d’ambivalences et de mystère. Son côté androgyne – corps viril et gracile à la fois, visage fin aux yeux espiègles, presque enfantins – embrassait pleinement l’époque, cette ère post-#MeToo où les genres se mêlent et se superposent. Et jusqu’au bout, il aura fait montre d’éclectisme dans ses choix, passant de la panoplie du superhéros à un mélo délicat sur la fin d’une vie.

Sur Wikipédia, on apprend que « Gaspard Ulliel » a été le quatrième terme le plus recherché sur Google en France en 2022. 

2023 commence, et l’on formule un souhait : que Gaspard Ulliel ne soit pas oublié. Qu’on le garde avec nous, du côté des vivants et des images qui bougent.

 L’acteur est mort, vivent ses films !

mercredi 18 janvier 2023

 

Adieu voiture, bonjour tristesse

Elisabeth Lévy présente notre grand dossier du mois

Adieu voiture, bonjour tristesse
© Patrice Cartier / AFP

Symbole de joie de vivre, de liberté et de virilité triomphante, la voiture est devenue l’ennemie à abattre, la cause de tous nos maux. Bientôt on n’aura le droit de rouler qu’à l’électrique – inabordable pour beaucoup d’entre nous. Une route hasardeuse que refusent d’emprunter Chinois et Américains.


Il est en passe de rejoindre le macho, le raciste et le populiste dans l’enfer des déplorables. L’automobiliste est le nouvel homme à abattre, y compris quand il est une femme (ce qu’il est pour moitié). Un criminel contre l’humanité et plus encore contre la planète.

La voiture, voilà l’ennemi ! Qu’elle soit dans le collimateur des écolos, on n’en attendait pas moins d’eux. Ne nous attardons pas sur le cas d’Anne Hidalgo (traité par Jonathan Siksou) dont l’obsession antibagnole relève de la religion – ou de la pathologie –, ce qui ne l’empêche évidemment pas de se déplacer exclusivement par ce moyen (les contraintes, c’est pour les autres). La voiture est aussi la cible des pouvoirs publics à tous les étages, à commencer par la Commission européenne qui ne ménage pas ses efforts pour nous gratifier d’une « mobilité » (le joli mot que voilà) propre et sûre. C’est à elle qu’on doit en particulier l’interdiction des moteurs thermiques à l’horizon 2035. Or, non seulement la fabrication des batteries est écologiquement très problématique (voir les articles de Léon Thau), mais un enfant comprendrait aisément que

 

Chagall vu par son fils

«Quelques pas dans les pas d'un ange - Une enfance avec Marc Chagall», de David McNeil (Gallimard, 2022)

Chagall vu par son fils
Au-dessus de la ville, tableau de Marc Chagall (1914-1918, galerie Tretiakov, à Moscou). (Détail) D.R.

Quelques pas dans les pas d’un ange de David McNeil donne un livre-témoignage plein de charme.


Les grands artistes sont aussi, parfois, des parents. Lire leur portrait, dressé par leurs enfants, permet de découvrir l’envers du décor, c’est-à-dire l’homme qui se cache derrière l’artiste. Le livre de David McNeil consacré à son père, Marc Chagall, ne décevra pas les amoureux du peintre originaire de Vitebsk. On n’y trouve certes aucune révélation fracassante, aucun travers caché et aucune conclusion rabaissante et conforme à l’esprit de notre époque, qui aime niveler par le bas. Au contraire, le portrait de Chagall par son fils est à l’image de l’artiste tel qu’il ressort de son œuvre, aérien, léger et attachant.

En le lisant, j’ai pensé au beau livre que Pierre Renoir avait écrit sur son père. On y trouvait la même beauté simple et tranquille et la construction

ADIEU VOITURE, BONJOUR TRISTESSE...

 

À la recherche de l’automobile perdue

L'automobile demeurera le visage de la France légère et optimiste des Trente Glorieuses

À la recherche de l’automobile perdue
Neuvième édition de "l'Embouteillage de Lapalisse", dans l'Allier, 8 octobre 2022. Plus de 750 véhicules participent à la grande reconstitution de la transhumance des vacanciers sur la Nationale 7. OLIVIER CHASSIGNOLE/AFP

La voiture a occupé une place à part entière dans notre culture commune, dans notre imaginaire collectif. Présente dans nos souvenirs d’enfance, elle est aussi indissociable de nos amours et de nos fantasmes. Iconique et glamour, à l’instar des stars qu’elle a accompagnées, elle demeure le visage de la France légère et optimiste des Trentes Glorieuses.


Aujourd’hui, je veux vous parler de l’Automobile au singulier avec un A majuscule. Oubliez les insultes et les interdictions, les ZFE vengeresses et le gazole au prix du « N° 5 », la ségrégation urbaine et la ruralité abandonnée, le peuple à l’arrêt, les élites en marche, les faux alibis écologiques et cette rage systémique qui s’est abattue sur l’objet de tous nos fantasmes, son anéantissement programmé et notre patrimoine historique amputé. Laissez tous les salisseurs de mémoire à leurs diatribes endiablées, ils emporteront avec eux le fracas d’une mobilité radicale et vaine. L’Histoire jugera leurs actes. Aujourd’hui, je veux vous parler des souvenirs, de nos souvenirs, faire remonter les « bagnoles » à la surface, raviver leurs traces, nous émouvoir ensemble et partager quelques fragments d’un monde qui sera bientôt englouti.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Adieu voiture, bonjour tristesse

Par quoi commencer ? Le sujet est immense, tentaculaire, terrifiant par son ampleur quasi mystique. Il recouvre tous les domaines de la société ; la voiture fut, tour à tour, un marqueur social, industriel, culturel, émotionnel, onirique, un objet de croyance, un vecteur d’identité, un enjeu de civilisation pour les États et de guerre économique entre les entreprises, un outil de liberté, d’émancipation, de libération, une matière brute à écrire, à filmer, à chanter, un exutoire, une échappatoire, un rêve, un songe, un mirage peut-être. Pour commencer notre voyage à la recherche de cette Automobile perdue, vitre ouverte, coude à la portière, pommeau de vitesse luisant et volant en bakélite entre les mains, je vous lance quelques images, des flashs qui me reviennent, des vapes d’essence, des instantanés d’une époque bénie. Je vous parle des Trente Glorieuses.

Mercedes-Benz 300 SL Coupé (1954). D.R.

Vous connaissez ma nostalgie lancinante. Préparez-vous à l’assaut. Comme ça, pêle-mêle, sans hiérarchie de l’information, sans volonté d’instrumentaliser le lecteur, en se laissant seulement bercer par un passé récent, encore palpable. Pour combien de temps encore ? Juste des odeurs et des bruits. Des arabesques sur les départementales et des bouchons infinis sur la nationale 7. Des mécaniques gorgées de chevaux, des lignes tentatrices, des vacances en Andalousie, un talon-pointe exécuté avec maestria, un intérieur cuir havane, une phrase de Paul Morand à plein régime, une station-service au logo branlant, des carabinieri en Ferrari, des gendarmes en Estafette, des stands du salon de Paris à l’asphyxie, Tintin en Amilcar sous la plume d’Hergé, Johnny en Mustang au Monte-Carlo, Sheila en Parisienne pour l’hebdomadaire Elle, Ric Hocheten Porsche 911 jaune, Vittorio Gassman en Lancia Aurelia, un 15 août étrangement silencieux dans les rues de Rome, une Lotus sous-marine dans un vieux James Bond, Pompidou en 356 clopant dans la cour de l’Élysée, Mitterrand en Renault 30 sortant du Vieux Morvan, la reine Elizabeth II en Land Rover et veste huilée Barbourparcourant la campagne anglaise, Christophe Lambert peroxydé et passablement énervé dans une 205 GTI, Bouvard empereur des journalistes en 604 présidentielle avec téléphone et téléscripteur à bord, Coluche en AMC Pacer prêtée par les établissements Jean-Charles (importateur American Motors), situés rue Claude-Terrasse dans le XVIe arrondissement, Claude Brasseur, le père de Vic en Matra Rancho, l’arrivée motorisée des vedettes dans l’émission « Champs-Élysées » de Michel Drucker, les Lancia

 

Statue à la Flotte-en-Ré: des laïques qui ont cent trains de retard!

Le regard libre d’Elisabeth Lévy

Statue à la Flotte-en-Ré: des laïques qui ont cent trains de retard!
Capture d'écran CNews

Sur l’île de Ré, une statue de la Vierge Marie devra être démontée, au nom de la laïcité. Le commentaire d’Elisabeth Lévy.


La statue de la Vierge Marie, qui veille à un carrefour de la Flotte-en-Ré (17), a six mois pour se trouver un autre emplacement. C’est ce que vient de décider la justice administrative.

Cette statue, qui porte la mention «vœux de guerre», a été commandée par une famille reconnaissante parce que père et fils étaient revenus vivants de la Seconde Guerre mondiale. D’abord exposée dans un jardin privé, elle a été offerte à la commune qui l’a installée à un carrefour en 1983. Suite à un accident, elle a été surélevée en 2020. Sa visibilité accrue a dû énerver la « Libre pensée Charente-Maritime ».

Dénonçant une atteinte à la laïcité, cette association a déposé un recours. Le 13 janvier, la Cour administrative

  La honte : pour Macron, les Haïtiens sont « complètement cons » et ont tué « Haïti » Emmanuel Macron affirme que les « Haïtiens sont compl...