vendredi 18 novembre 2022

CENTENAIRE PROUST

 

Marcel Proust : cinq choses à savoir sur l'écrivain pour le 100e anniversaire de sa mort

Écrivain
Marcel Proust : cinq choses à savoir sur l'écrivain pour le 100e anniversaire de sa mort
L'écrivain Marcel Proust mort le 18 novembre 1922 à Paris. © Fine Art Images/Heritage Images/Getty Images

Il y a tout juste 100 ans, le 18 novembre 1922, Marcel Proust, succombait à une bronchite dans son appartement de Paris à l'âge de 51 ans. Habitué des salons mondains, l'écrivain a laissé une oeuvre complexe dont il n'est pas forcément aisé de discuter en société. Voici cinq anecdotes à connaître même sans l'avoir lu.

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Seize heures de lecture pour le centenaire de la mort de Marcel Proust

À la minute même où cela fera cent ans que Marcel Proust a rendu son dernier souffle, le 18 novembre à 16h, Ivan Morane débutera la lecture intégrale du Temps retrouvé, le dernier volume de la Recherche du temps perdu. Cela représente 16h de lecture... qui s’achèveront le dimanche 20 novembre à 16h. Une façon de perpétuer le souffle et le génie de cet auteur incomparable à l’aube de la 101e année de sa disparition.





La BnF François-Mitterrand analyse la vie et l'œuvre de l'écrivain à travers ses manuscrits jusqu'au 22 janvier 2023, tandis que Plon réédite le 3 novembre son épaisse correspondance.


Comment ça s'écrit

Marcel Proust, jusqu’à «Zut, zut, zut, zut»

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Le cahier Livres de Libédossier

A la Bibliothèque nationale de France, une exposition explore la «Fabrique de l ‘œuvre» de l’écrivain, à l’occasion du centenaire de sa mort, dont les livres sont construits comme «une robe», entre ses multiples ratures et «feuillets supplémentaires».
par Mathieu Lindon
publié le 28 octobre 2022 à 17h46

A Paris, en cette année du centenaire de la mort de Proust (le 18 novembre exactement), il y a déjà eu deux expositions consacrées à l’auteur d’A la recherche du temps perdu. La première, au musée Carnavalet, sur les liens entre Proust et Paris, et la deuxième, au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, sur Proust du côté de sa mère. En voici donc une troisième, «la Fabrique de l’œuvre», thème qui se défend dans la mesure où c’est quand même plus comme écrivain que comme Parisien ou juif que Proust a acquis sa renommée. Et cette troisième exposition de l’année est aussi la quatrième pour la BNF, puisque Guillaume Fau, commissaire de l’expo avec Antoine Compagnon et Nathalie Mauriac Dyer, précise dans le dossier de presse que Proust est le «seul auteur de la littérature française» à y avoir été montré aussi régulièrement, à savoir en gros «une fois par génération» (1947, pour le vingt-cinquième anniversaire de sa mort, puis 1965 et 1999). L’exposition suit l’ordre chronologique de la Recherche, c’est-à-dire s’ouvre avec une animation visuelle montrant les différentes versions de «Longtemps je me suis couché de bonne heure», et se clôt sur une autre animation visuelle, permettant de saisir au milieu des ratures l’apparition de la dernière phrase, dont la légende veut qu’elle ait été écrite bien des années avant la mort de Proust. Il y a aussi des manuscrits et surtout des placards d’épreuves dont il ne reste plus une ligne, toutes étant barrées de la main de Proust qui ne laisse pas un centimètre carré de blanc autour pour y écrire sa nouvelle version, laquelle n’est pas forcément la définitive.

Œuvres en rapport avec l’œuvre

Mais le fétichisme est si attaché à Proust qu’il le dépasse, puisque c’est l’ensemble de l’œuvre qu’il concerne. Il y a un plaisir particulier à découvrir le fameux tableau de James Tissot le Cercle de la rue Royale où se tient Charles Haas que Proust, dans une phrase qui ne tient grammaticalement pas debout de la Prisonnière et malgré ses dénégations dans la correspondance quant à la possibilité de faire entrer une personne réelle dans un personnage de roman, assimile lui-même en partie à Charles Swann en le plaçant explicitement dans cette œuvre où il est identifiable. L’exposition propose aussi l’huile sur toile de Giovanni Boldini, qu’on voit dans tous les livres sur Proust, représentant Robert de Montesquiou, celui-ci étant un modèle présumé du baron de Charlus (après l’avoir été de Des Esseintes, dans A rebours, de Joris-Karl Huysmans). Et, dans les œuvres en rapport avec l’œuvre, sont exposés un tableau d’Hubert Robert et un de Constantin Guys – puisque, à la fin de Du côté de chez Swann, les deux chevaux qui emportent la victoria de Mme Swann au Bois sont «minces et contournés comme on en voit dans les dessins de Constantin Guys». Pour ce qui concerne l’écrivain sur son lit de mort, il y a à la fois la photo de Man Ray et la pointe sèche de Paul Helleu. Des tableaux de Monet et Turner sont également présents, au motif que Proust les aimait (et il n’est pas le seul).

«Les pavés mal équarris» de la cour des Guermantes

Le catalogue se présente comme un abécédaire, d’A l’ombre des jeunes filles en fleurs jusqu’à «Zut, zut, zut, zut» (qui, avec «Rah» et «Pif», plus marqués sexuellement dans le roman, couvre le maigre champ des interjections proustiennes), et l’introduction cite immédiatement le Temps retrouvé quant à la conception de «l’œuvre à venir» : «Car, épinglant ici un feuillet supplémentaire, je bâtirai mon livre, je n’ose pas dire ambitieusement comme une cathédrale [expression employée par Proust quelques lignes auparavant et dans sa correspondance, ndlr], mais tout simplement comme une robe.» L’exposition se pose là question «feuillet supplémentaire», puisqu’on voit Proust en ajouter partout, dans ses carnets, sur les manuscrits, les dactylographies et les épreuves. Mais elle est là aussi quand il s’agit d’une robe, puisque sont exposées plusieurs de Fortuny, ce créateur qu’Elstir vante dans le roman, convaincant le narrateur qu’on peut retrouver en elles la Venise des grands peintres vénitiens – et c’est aussi la ville que retrouve le narrateur sur «les pavés mal équarris» de la cour des Guermantes. Le catalogue va parallèlement à l’exposition dans «l’atelier» de l’écrivain, souhaitant proposer «une sorte de lecture d’ensemble de la démarche et de l’œuvre proustienne, dont ce livre se propose d’être à la fois le point d’accès et le répertoire de quelques interprétations possibles».

Marcel Proust. La Fabrique de l’œuvre, jusqu’au 22 janvier, Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand.
Catalogue sous la direction d’Antoine Compagnon, Guillaume Fau et Nathalie Mauriac Dyer. Gallimard-Bibliothèque nationale de France, 240 pp., 39€.


350 pièces manuscrites, imprimées ou graphiques, dont certaines rares ou inédites, composent cette exposition érudite qui accueillera jusqu’à fin janvier proustiens fervents comme néophytes

Exposition Marcel Proust, un plongeon passionnant dans la genèse de “La Recherche”

Nathalie Crom

En 1911, alors qu’il cherche un éditeur pour l’œuvre à laquelle il se consacre depuis près de quatre ans, Marcel Proust (1871-1922) se tourne notamment vers la maison d’Eugène Fasquelle, pour lui proposer un roman d’environ 1 200 pages, qui pourrait peut-être tenir « en un fort volume », ou, plus probablement, en deux tomes. Le premier s’intitulerait Le Temps perdu, le second Le Temps retrouvé, « et au-dessus de ces titres particuliers j’inscrirai le titre général […]  : Les Intermittences du cœur ». S’appuyant sur quelque trois cent cinquante pièces, essentiellement des documents manuscrits ou imprimés appartenant au Fonds Proust déposé en 1962 à la Bibliothèque nationale par les héritiers de l’écrivain, et enrichi depuis par de précieuses acquisitions, l’exposition « Marcel Proust. La fabrique de l’œuvre » entreprend de raconter comment, de ce projet initial, Marcel Proust en est venu à bâtir son grand œuvre, À la Recherche du temps perdu – en huit volumes selon la tomaison voulue par lui, mais en sept seulement en a décidé la postérité, après sa mort survenue il y a tout juste cent ans, le 18 novembre 1922. Bienvenue au plus profond des arcanes de l’œuvre, au plus intime de sa genèse – au plus près du processus d’élaboration, par l’écrivain, d’un cycle romanesque dont il connut très tôt le début et la fin, mais dont il ne cessa d’alimenter, d’accroître, de prolonger, d’étoffer la prodigieuse matière développée dans l’entre-deux. 


BNF

Bienvenue au plus profond des arcanes de l’œuvre, au plus intime de sa genèse – au plus près du processus d’élaboration, par l’écrivain, d’un cycle romanesque dont il connut très tôt le début et la fin, mais dont il ne cessa d’alimenter, d’accroître, de prolonger, d’étoffer la prodigieuse matière développée dans l’entre-deux. « Marcel Proust n’a pas écrit son œuvre de façon linéaire du début à la fin, mais par séquences isolées au départ, qu’il a montées, démontées, remontées parfois des années plus tard dans un vaste travail de placement du texte et des épisodes », analyse, dans le passionnant et original catalogue, en forme d’abécédaire, le professeur émérite au Collège de France et académicien Antoine Compagnon, commissaire de l’exposition – en compagnie de Nathalie Mauriac Dyer, directrice de recherche au CNRS, et de Guillaume Fau, conservateur en chef à la BnF.

Invitation à la relecture infinie

Développer, corriger, assembler, défaire, réagencer et déployer sans fin, jusqu’à voir s’élaborer ces huit volumes (parus entre 1913 et 1927) qui constituent finalement l’intégralité de l’œuvre et architecturent aujourd’hui le parcours de l’exposition. Huit salles auxquelles s’ajoutent, en guise de prologue et d’épilogue, deux gros plans sur la première et la dernière phrase de La Recherche : le « dans le Temps » final faisant écho au « Longtemps » inaugural, et la résonance entre l’un et l’autre « invitant au labyrinthe d’une relecture infinie », suggèrent les commissaires.

Paperole du fonds Proust

Paperole du fonds Proust

BNF

Proust lui-même le soulignait, dans une lettre à son ami et cousin Benjamin Crémieux datant de janvier 1922 : « On méconnaît trop que mes livres sont une construction, mais à ouverture de compas assez étendue pour que la composition, rigoureuse et à qui j’ai tout sacrifié, soit assez longue à discerner. On ne pourra le nier quand la dernière page du Temps retrouvé se refermera exactement sur la première de Swann. »

Les plus pointus et fervents parmi les proustiens se délecteront des pièces peu ou jamais montrées au public jusqu’à ce jour : les épreuves NRF de À l’ombre des jeunes filles en fleurs, invraisemblable assemblage de placards imprimés et d’ajouts de la main de l’écrivain ; le manuscrit grand format des Soixante-quinze feuillets, connu aussi sous le nom de « roman de 1908 », réapparu en 2018 après la mort de l’éditeur Bernard de Fallois qui le gardait dans ses archives depuis 1954 ; acquis par la BnF il y a neuf ans, l’agenda de 1906 qui, entre 1909 et 1910, servit de carnet de travail à Proust tandis qu’il écrivait « Combray » ; entrée dans le Fonds Proust de la BnF l’an dernier, l’édition originale de Du côté de chez Swann appartenant à son amie Marie Scheikévitch, dans laquelle il ajouta en 1915 une lettre-dédicace de huit pages afin de lui révéler en avant-première les destins de Charlus et d’Albertine tels que les raconteraient les volumes suivants (« Prêtez-moi votre exemplaire et je vais vous résumer la suite »)…

Marcel Proust, Agenda 1906.

Marcel Proust, Agenda 1906.

BNF

Parcourant l’itinéraire proposé par l’érudite, mais accueillante et judicieuse exposition, les amateurs (plus ou moins) éclairés et les néophytes verront, eux, se déployer avec clarté l’arc narratif de La Recherche, repéreront ses principales articulations et remonteront à la source de ses épisodes emblématiques.

Trente-cinq, au total, ont été choisis, qui jalonnent les huit volumes du cycle proustien et la vie du narrateur : le « drame du coucher », aux premières pages de Du côté de chez Swann, déjà esquissé dans Jean Santeuil (1905) ; la madeleine (qui n’était, dans des manuscrits préparatoires, qu’une modeste biscotte, voire un simple morceau de pain grillé…) et la révélation de la mémoire involontaire ; la première rencontre avec le baron de Charlus, puis avec Albertine, sur la plage de Balbec ; l’apparition d’Elstir, le peintre ; la mort de Bergotte, l’écrivain, devant le tableau de Vermeer ; l’irruption sonore du quatuor du compositeur Vinteuil ; les mondanités tant convoitées chez Mme de Villeparisis ou dans le salon de la duchesse de Guermantes ; la mort de la grand-mère et la découverte de l’homosexualité de Charlus – véritable pivot de La Recherche, analyse Guillaume Fau. Le roman d’apprentissage du narrateur, poétique et chatoyant, bascule, alors qu’on quitte Le Côté de Guermantes pour entrer dans Sodome et Gomorrhe (qui incluait initialement La Prisonnière et Albertine disparue), dans « l’approfondissement de la réalité » la plus clandestine et ténébreuse, « l’envers du monde ».

Tableaux, photos et somptueux manteaux

Au milieu des centaines de pages manuscrites ou imprimées, agrémentées ou non par les fameuses paperoles (ces bandes de papier collées et pliées au moyen desquelles Proust opérait des ajouts sur les épreuves de ses livres), les photographies, dessins, affiches et toiles offrent des respirations bienvenues, autant qu’elles éclairent l’époque, la biographie de l’écrivain et ses inspirations.

Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain de Turner Joseph Mallord William (1775-1851). Paris, musée du Louvre.

Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain de Turner Joseph Mallord William (1775-1851). Paris, musée du Louvre.

Mathieu Rabeau / RMN-GP

Certains tableaux sont plus que célèbres : le portrait de Proust par Jacques-Émile Blanche, Le Cercle de la rue Royale, de Jacques Tissot, Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain, de Turner, Le Comte Robert de Montesquiou peint par Boldini Giovanni, l’écrivain sur son lit de mort dessiné par son ami Helleu… Moins connu, et prêté par l’Élysée : Le Jet d’eau, d’Hubert Robert, toile que le narrateur contemple dans l’hôtel de la princesse de Guermantes. Somptueux, les manteaux Fortuny (l’un, de taffetas et de velours vert, appartenait à la comtesse Greffulhe, une des aristocrates dont Proust nourrit le personnage d’Oriane de Guermantes) voisinent avec une robe de chez Doucet, luxueuse autant que symbolique – « épinglant ici un feuillet supplémentaire, je bâtirais mon livre, je n’ose pas dire ambitieusement comme une cathédrale, mais tout simplement comme une robe… », dit le narrateur du Temps retrouvé.


À voir
s« Marcel Proust. La fabrique de l’œuvre », BnF, site François-Mitterrand, jusqu’au 22 janvier 2023. bnf.fr

À lire
sMarcel Proust. La fabrique de l’œuvre, catalogue établi sous la direction d’Antoine Compagnon, Guillaume Fau et Nathalie Mauriac Dyer, coéd. BnF / Gallimard, 240 p., 39 €.



À la recherche de Marcel Proust, tome après tome

 

ActuaLitté


À la recherche de Marcel Proust, tome après tome  

2022 ne marque pas seulement le centenaire de la naissance de Jack Kerouac, mais également de la mort d’un des géants du XXe siècle, Marcel Proust. Après le Musée Carnavalet ou encore le Musée de l’Histoire du Judaïsme, la BnF propose une exposition autour de l’auteur d’À l’ombre des jeunes filles en fleur. Près de 350 pièces sont réunies – inédits jamais révélés au public, tableaux de grands maîtres ou robes somptueuses prêtées par la Palais Galliera. 

« Le malheur, c’est qu'il faut que les gens soient très malades ou se cassent une jambe pour avoir le temps de lire ce livre. » Réflexion de Robert Proust, frère de l’auteur, évoquant À la Recherche du temps perdu.

« D’abord on voulait faire une exposition nouvelle », confie l'un des trois commissaires, Antoine Compagnon, à ActuaLitté, rappelant à juste titre que ce Proust, la fabrique de l’œuvre est le troisième événement autour de l’écrivain monté par la BnF, après des précédents en 1947, 1965 et 1999. S'il est parfois difficile d’arriver en dernier quand on traite d’un même sujet, force est de constater qu’aucune redondance, quasiment, avec les deux autres propositions sur Proust, n’est à soulever.

À l’entrée, dans une première salle bleu nuit, on est accueilli par le plus célèbre tableau représentant l’auteur Du Côté de chez Swann, signé Jacques-Émile Blanche en 1892. Un visage fin 1900, à base de moustache en guidon, d’une raie au milieu et de petites lèvres charnues, et surtout, sur cette figure surannée, des yeux vagues qui évoquent le rêveur. Là-encore, comme la précédente présentation de la BnF, dédiée au déchiffreur des hiéroglyphes, peu d’informations sur le mondain génial sont révélées. « Ce n’est pas une exposition sur la vie de Proust, mais autour de son œuvre », nous confirme l'Académicien commissaire.

La BnF s’appuie ici sur le dépôt que réalisa Suzy Mante Proust, la fille de Robert Proust, à la Bibliothèque nationale en 1962. Ce fonds comprend la quasi-totalité des manuscrits de l’écrivain, de ses papiers scolaires et autres textes de jeunesse, en passant par ses articles et ses traductions des ouvrages de John Ruskin, « un de ses écrivains préférés » ; à quoi se sont ensuite ajoutées des acquisitions successives : carnets de notes, cahiers de brouillon, volumes dactylographiés, épreuves…

Sur les tables, dans les cadres, dialoguent ces archives avec des pièces prêtées, issues de collections de particuliers ou d’institutions, tels la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, la Cinémathèque française, la Fondation Bodmer, ou, entre autres, le Musée du Louvre.

Marcel Proust. Cahier 68. Manuscrit autographe Ensemble de fragments destinés à « Combray ». 1911 BnF, département des Manuscrits © BnF (Précision : Genèse de la première phrase)

Un parcours basé sur la tomaison de 1922

Le parcours de l’exposition déroule chaque volume dans l’ordre, comme si c’était une « paperolle » proustienne, du Côté de chez Swann, paru en 1913 à compte d’auteur, par l’entremise de Bernard Grasset, au Temps retrouvé publié à titre posthume en 1927. À chaque salle son tome, cependant pas dans la forme « canonique », en 7 parties, organisées par la Nouvelle Revue Française (NRF), mais dans sa tomaison de 1922, en 8 étapes. On y déterre 2 volumes du Côté de Guermantes et pas moins de 4 parties pour Sodome et Gomorrhe.

Au fil de cette déambulation, le public découvrira des pièces insolites, telle l’édition dédicacée de Du côté de chez Swann récemment acquise par la BnF, le manuscrit de grand format des soixante-quinze feuillets, plus précoce ébauche de l’œuvre, ou bien une photo inédite du diplomate et ami de l’écrivain, Bertrand de Fénelon, peu de temps avant sa mort.

On sort de cette première pièce sombre qui décrit l’esprit de l’exposition pour entrer dans La Recherche. Chaque espace s’ouvre sur une phrase manuscrite de l’auteur : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » est la première, comme celle qui lance le premier tome. Le bleu devient plus clair. Les étapes de création de l’ouvrage sont mises en lumière à travers les manuscrits. Sur l’un des murs, une vidéo projetée fait suivre, correction après correction, l’élaboration d’un des plus célèbres incipit de la littérature française. On apprend aussi que la plus illustre madeleine des lettres françaises aurait pu être de « la biscotte », et même du « pain rassis »...

L’ambition de Proust se dégage : tout sauf didactique. La Recherche se veut l’inverse d’un roman à thèse. Pour ce faire, il coupe. Resteront tout de même des milliers de pages... La salle beige qui suit dévoile une trentaine de planches : des collages d'épreuves sur de grandes feuilles, par l’éditeur d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs, deuxième tome publié cette fois-ci par Gallimard fin 1918. Précisément celui qui lui rapportera le Prix Goncourt l’année suivante grâce au soutien de Léon Daudet. Un jeu d’éclairage illumine ces imposants panneaux « à la manière d’une chapelle » confie Nathalie Mauriac Dyer, commissaire et directrice de recherche à l’Institut des textes et manuscrits modernes, qui permettent « d’entrer dans le processus d’élaboration de ce volume ».

Après le jaune plus doux du soleil tapant sur la résidence secondaire et des émois de jeunesse, le rouge des passions, ici sociales, du Côté des Guermantes : le théâtre, le ballet. S’affiche une magnifique robe verte bridée, « pour madame Swann », prêtée par le Palais Galliera et confectionnée par l’Espagnol de Venise, Mariano Fortuny. De Combray, on passe à Doncières, Balbec, Paris... Les nouvelles générations découvriront les anciennes lanternes magiques ou la première caméra du cinéma, le kinétoscope.

Mariano Fortuny, Manteau. Entre 1910 et 1920. Soie, velours, ottoman, impression et teinture © Paris Musées / Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris 

M. de Charlus avait l’air d’une femme : c’en était une !” 

La partie Sodome et Gomorrhe s’étire en réalité jusqu’à la fin : les dernières journées de l’écrivain. Le personnage homosexuel du Baron de Charlus, inspiré à Proust par le comte Robert de Montesquiou, amorce cette grande défense des « invertis ». « La race maudite des juifs et homosexuels » ou « la race des tantes », deux expressions utilisées par Proust, lui-même juif et homosexuel.

« Il n’était pas question pour Proust de faire de son héros et narrateur un juif ou un inverti », explique Antoine Compagnon, avant d’ajouter : « Les choses ont changé depuis : il m’est arrivé de dire que pendant longtemps, il était lu, bien qu’il fut juif et homosexuel, et puis il est arrivé une période, à partir des années 70-80, où, au contraire, on s’est beaucoup intéressé à cette œuvre, parce qu’elle était celle d’un juif et d’un homosexuel. Les sensibilités évoluent et peuvent encore évoluer. » La dissertation sur l’homosexualité, « race maudite », est conçue dès 1909, à l’époque de son essai Contre Sainte-Beuve. S’y trouve la phrase la plus longue de son roman, « rédigée comme d’un seul souffle, à la manière d’un manifeste ».          

La salle Sodome et Gomorrhe II expose plusieurs chefs-d’œuvre de la peinture : Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain, de William Turner, détenu par le Louvre, Le comte Robert de Montesquiou, par Giovanni Boldini, ou, entre autres, Le Cercle de la rue Royale, de James Tissot, tous deux prêtés par le Musée d’Orsay. Jusqu’aux parties de La prisonnière et d’Albertine disparue.

Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain. Joseph Mallord William Turner (1775-1851) © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau 

Ces deux opus, publiés à titre posthume, formaient, dans l’esprit de Proust, un tome unique : Sodome et Gomorrhe III. Ils sont profondément remaniés durant l’été et l’automne de 1922, sans être achevés. Les deux ouvrages qui se suivent, se terminent par un voyage à Venise, alors que le narrateur en rêve dans le premier volume, par l'entremise de sa lecture de John Ruskin.

Pour rendre compte de ces liens spatio-temporels, la scénographie de l’exposition aménage des rappels, « pour faire écho à la façon non linéaire de travailler de l’auteur ». Concrètement, des ouvertures font dialoguer les salles. Des dispositifs numériques ajoutent à l’expérience.

La vision et l’écoute, puisqu’un bain de musique donne une idée des créations du compositeur de La Recherche, Vinteuil, avançant vers la dissonance de la modernité. On découvre encore le Marcel Proust dessinateur de personnages oniriques, regardant souvent vers la gauche, rappelant les dessins d’un certain Franz Kafka.

Un peu de temps à l’état pur”

Enfin, la mort advient, dans une salle entièrement sombre. Parti à la recherche du temps perdu, le narrateur a trouvé comment le retrouver dans les ultimes pages : par l’écriture. D’où l’une de ces célèbres citations : « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature. » Le personnage de Bergotte, c’est l’immortalité par la littérature, et c’est ce qu’aura cherché Marcel Proust, comme tous les auteurs qui se sont sacrifiés pour le médium.

Marcel Proust sur son lit de mort par Paul Helleu. 1922. Pointe sèche. BnF, département des Estampes et de la photographie © BnF 

Ce dénouement esthétique et romanesque advient dans Le Temps Retrouvé, après que le narrateur a subi trois « épiphanies », explicitant son art d’écrire, fondé sur la sensation, la mémoire et la métaphore. Un moyen « d’un peu de temps à l’état pur ». En 1912 et 1913, dans ses lettres aux éditeurs, Proust fait état d’un ouvrage en « deux volumes symétriques » : Le Temps perdu et Le Temps retrouvé, sous le titre général, Les Intermittences du cœur. Le premier volume a explosé durant sa rédaction et les titres intermédiaires se sont multipliés, mais le dernier tome a subsisté, avec ses deux parties,  L’Adoration perpétuelle et Le Bal de têtes, fixées à partir des années 1910-1911.                    

Mais pourquoi s’intéresser à Marcel Proust aujourd’hui ? Est-il encore actuel ? Antoine Compagnon répond : « L’amour, la mort, le deuil, l’écriture… Ce sont des thèmes essentiels qui nous touchent toujours. Le visiteur de cette exposition devrait être ému par beaucoup des questions soulevées dans cette proposition en forme de livre. Sans oublier la beauté qui s’y exprime, défendue par l’auteur, que l’on a tenté de rendre dans l’exposition. »

À LIRE:Charles Baudelaire, ou la mélancolie sublimée

Pour boucler la boucle, un texte est à nouveau projeté sur le mur pour suivre les modifications, nombreuses, que Marcel Proust a portées aux dernières phrases du Temps Retrouvé.

Sa servante Albertine, dans un célèbre entretien donné en 1973, confiait avec émotion : « Il me disait que, certainement, la mort le poursuivait, et qu’il voulait finir son œuvre, et qu’il serait très désolé d’avoir tant travaillé et d’avoir laissé tout inachevé. Un matin, quand je suis arrivé, il était comme un enfant à qui on aurait trouvé le plus beau jouet du monde, le bonheur le plus parfait : oh cher Céleste, j’ai une grande nouvelle à vous apprendre (...), quelque chose d’immense, de tellement bien, et il se redresse, me sourit, et me dit, j’ai mis le mot fin, je peux mourir maintenant. »  

Marcel Proust. Deux personnages du faubourg Saint-Germain Sans date. Dessin à l’encre noire sur papier. Collection particulière (Paris) 

Crédits : BnF / Domaine Public

Collectifs, Antoine Compagnon, Guillaume Fau, Nathalie Mauriac Dyer, Laurence EngelEditions Gallimard
Marcel Proust. La fabrique de l'oeuvre
06/10/2022240 pages39,00 €

CONTROVERSE

 




TRIBUNE


Pourquoi avoir encaissé les milliards du Qatar pour qu’il obtienne sa Coupe du monde de la honte ? Dès le départ on aurait dit stop et c’était réglé . Alors maintenant, boycottons, mais les ouvriers morts et maltraités ne reviendront pas et la planète continuera à flamber un peu plus. La Fifa et tous ses complices devraient être condamnés...



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par Thibaud Leplat, Philosophe et consultant pour RMC
publié le 24 septembre 2022 à 9h00

On ne renonce pas si facilement à son enfance. Invité sur un plateau de télévision français le 14 septembre, Fabien Roussel, secrétaire général du Parti communiste, fait le job : «Si j’étais footballeur professionnel, je ferais le choix de ne pas aller à la Coupe du monde au Qatar.» Avec sa toison grise, ses yeux d’aigles et ses mains posées sur le contreplaqué, il a fière allure, le prophète. Quand il évoque ensuite la déclaration d’Eric Cantona, ancien international, qui, quelques jours plus tôt, invitait à boycotter la compétition, on a même envie de se lever et de se mettre à marcher derrière lui : «J’ai entendu l’appel de Cantona qui les invite à ne pas y aller et j’y suis plutôt sensible.» Car le constat est évidemment peu réjouissant : «Il y a des milliers de morts sous les chantiers de la Coupe du monde au Qatar, il y a une gabegie de dépenses pour avoir des stades climatisés alors que nous parlons d’environnement, et le Qatar est un pays qui criminalise toujours l’homosexualité.» Jusqu’ici tout va mal. C'est vrai .


Sauf que Roussel ne s’arrête pas là. Une faille spatio-temporelle s’entrouvre tout à coup : «Fabien Roussel, vous n’êtes pas footballeur, donc vous n’allez pas y aller. En revanche, vous êtes téléspectateur et vous allez la regarder à la télé…» Demi-sourire, bruit de veste qui se retourne, le leader dit «pouce». C’est pas du jeu : «Eh bien écoutez, je suis un fan de l’équipe de France, je regarde pas beaucoup les matchs de foot [sic] mais j’ai toujours suivi les Coupes du monde, j’ai toujours soutenu mon pays, alors ça va me tarauder.» Quelques secondes après avoir appelé les footballeurs au boycott, le supporteur Roussel se félicite donc maintenant des progrès obtenus grâce à la médiatisation de l’événement. «Cette Coupe du monde est aussi l’occasion de faire progresser les droits fondamentaux, y compris au Qatar.» On résume : d’un côté, la tentation de l’aveuglement, de l’autre, l’incroyable attractivité d’une Coupe du monde de football. Et au milieu coule la taraude. Comment se fait-il qu’on n’arrive pas à boycotter le Mondial ?

Dans «la tente d’Indiens dressée au milieu du grenier»

C’est ici que les croûtes commencent à gratter. Le Mondial organisé dans des conditions extrêmes, en plein désert, en plein hiver, dans un pays de 300 000 habitants où la lapidation est encore au catalogue des sanctions pénales et l’homosexualité une raison de passer sept années en prison, forcément, «ça fait réfléchir», pour parler comme les footeux. Réfléchir, oui. Mais réfléchir à quoi ? Car le paradoxe de la position de Fabien Roussel est, en réalité, parfaitement symptomatique d’une controverse intime et vertigineuse. Reformulons-la : en dépit des frasques des footballeurs, de leurs salaires, des scandales à répétition, des luttes d’influence et maintenant des conditions d’organisation d’une Coupe du monde, comment se fait-il que tout cela ne nous ait pas encore dégoûtés du football ? 

D’où vient que la moitié de la population mondiale a, par exemple, suivi la dernière Coupe du monde en Russie quelques années seulement après l’invasion de la Crimée ? 

D’où vient qu’il semble plus facile de baisser le chauffage de deux degrés chez soi, de rouler à l’électrique, de se mettre au vélo plutôt que d’éteindre la télévision et de laisser tomber une bonne fois pour toutes la bande à Mbappé ? Que diront les archéologues du futur quand, dans 1 000 ans, ils se pencheront sur nos coupables atermoiements ?

Plutôt que de résoudre le dilemme (ne regarder que les matchs de son équipe de cœur, ou alors seulement le soir, ou seulement la finale, ou alors en streaming) comme un enfant promet que la prochaine fois sera la dernière, approfondissons. Michel Foucault n’a jamais parlé de football mais il nous raconte pourtant très bien l’histoire de ces lieux que les hommes ont construits dans nos esprits et dans nos villes pour s’y réfugier le temps d’un deuil, d’un film ou d’un jeudi après-midi. Ces abris disent qu’il fait bon, parfois, prendre congé de la monotonie. Le Mondial n’est pas un espace comme un autre. C’est un mois pendant lequel l’humanité se regarde dans les yeux et joue avec elle-même. Un «contre-espace», dirait Foucault. «Ces contre‐espaces, ces utopies localisées, les enfants les connaissent parfaitement. Bien sûr, c’est le fond du jardin, bien sûr, c’est le grenier, ou mieux encore la tente d’Indiens dressée au milieu du grenier, ou encore, c’est – le jeudi après‐midi – le grand lit des parents.»

Le Mondial, c’est le mois d’août en novembre

S’il est si difficile de détourner les yeux de lui, c’est que le Mondial de football n’est pas seulement un grand événement sportif consommateur d’énergies en tout genre. Il n’est pas non plus une simple compétition rassemblant une poignée de millionnaires en short. Non, le Mondial, dans sa liturgie, sa régularité, son intensité, sa limitation, dessine un lieu utopique à l’intérieur des souvenirs de celui qui le regarde. Car dès l’instant où le match débute, il réveille une foi primaire, une croyance enfantine en la magie d’un jeu plus puissant que nos questions existentielles. Le Mondial, c’est le mois d’août à la plage (au mois de novembre, en l’espèce) et l’enfance qui se réveille tous les quatre ans...

Voilà peut-être pourquoi Amnesty International n’a jamais demandé que l’on boycotte cette compétition. Voilà peut-être aussi pourquoi l’Assemblée générale des Nations unies, en avril dernier, a célébré la tenue de ce tournoi «pour la première fois organisé dans un pays du Moyen-Orient» comme un outil de promotion de «paix et de développement, de respect des droits humains». Voilà peut-être pourquoi aussi Fabien Roussel a le réel qui le taraude. Car il convient, en effet, de regarder en face les conditions d’attribution et d’organisation de ce tournoi au même titre que notre propre fascination pour un événement plus profond qu’il en a l’air. Il nous offre même une belle morale pour terminer notre histoire : un dilemme ne se résout pas en fermant les yeux. Nous ne sommes plus des enfants.

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