mercredi 26 octobre 2022

ANNIE ERNAUX

 

Les transfuges de classe dans la littérature : le cas d’Annie Ernaux

Annie Ernaux, lauréate du prix Nobel de littérature 2022, s'entretient avec l'auteur Kate Zambreno chez Albertine Books, le 10 octobre 2022 à New York.

Écrivaine au succès public grandissant en dépit des controverses critiques qui accompagnent régulièrement la parution de chaque nouveau récit, Annie Ernaux vient d’obtenir le prix Nobel de Littérature 2022. Publiée dans la collection Blanche chez Gallimard depuis le premier opus, un roman autobiographique paru en 1974 (Les Armoires vides), elle avait auparavant déjà été plusieurs fois distinguée par des prix littéraires : par exemple du Renaudot et du prix Maillé-Latour-Landry en 1984 pour La Place, du prix Marguerite-Duras et du prix François-Mauriac pour Les Années en 2008, ainsi que le Prix de la langue française (2008) et le prix Marguerite Yourcenar (2017) pour l’ensemble de son œuvre.

Née en 1940, fille d’ouvriers normands devenus petits commerçants propriétaires d’une épicerie-café à Yvetot, elle est devenue, grâce au capital culturel acquis par le biais de l’école, « une métis sociale », une « déclassée par le haut », ou encore une « transfuge de classe », comme elle aime souvent à se définir elle-même.

« Venger sa race »

Se fondant sur sa propre expérience d’une trajectoire sociale improbable de très forte mobilité sociale ascendante, nourrie de lectures sociologiques, notamment celle des travaux du sociologue Pierre Bourdieu, ou encore du britannique Richard Hoggart, elle décrit dans ses récits autosociobiographiques le monde et les représentations des petits commerçants en zone rurale dans la période de l’après-guerre, et cherche à rendre « la culture du monde dominé » dont elle est issue, pour « venger sa race ».

Elle tend aussi à saisir les effets des déplacements – parfois de grande ampleur – dans l’espace social sur les perceptions que les personnes concernées par la mobilité sociale ascendante ont du monde social et politique au sens large du terme, les effets de la confrontation à la culture légitime diffusée par l’école, la rupture souvent douloureuse que la scolarisation introduit avec le milieu familial d’origine, enfin les conversions d’habitus et les malaises que de telles trajectoires créent chez les individus qui les expérimentent : tiraillés entre deux fidélités irréconciliables, toujours « déplacés », ces « transfuges » ont le plus grand mal à trouver leur place dans l’espace social.

Toutefois, écrire sur les effets d’une telle posture de « l’entre-deux », et sur la honte sociale qu’elle génère (honte des origines sociales, honte des parents, honte d’avoir honte) ne va pas de soi : ayant intériorisé « l’indignité » culturelle de ses origines populaires, Annie Ernaux a ainsi longtemps estimé que la réalité triviale qu’elle vivait était indicible, inconvenante et qu’elle ne méritait pas d’être racontée, de devenir « objet littéraire » :

« Quand j’étais enfant et adolescente, je nous sentais (ma famille, le quartier, moi) hors littérature, indignes d’être analysés et décrits, à peu près de la même façon que nous n’étions pas très sortables. »

Trouver la forme juste

Qui plus est, elle n’a pas su immédiatement comment en rendre compte littérairement sans trahir ses origines. La quête de la « forme juste » sera donc placée au cœur de sa réflexion stylistique tout au long de son œuvre, et l’amènera, à partir de La Place, à privilégier une « écriture au couteau », qu’elle qualifie de « plate » ou de « blanche », une « langue des choses », dépouillée des attributs habituels en littérature, la seule tenable selon elle pour rendre compte d’existences « soumises à la nécessité ».

Une telle tension entre les deux mondes était déjà perçue par Annie Ernaux enfant à l’école, bien avant l’entrée en écriture. On trouve notamment dans La Place des indications qui permettent de reconstituer l’univers familier de références de l’autrice à l’époque, et les contradictions dans lesquelles la fillette scolarisée était prise :

« Dans les rédactions, j’essayais d’utiliser ce qui fait bien, c’est-à-dire ce qui se rapprochait de mes lectures, “tapis jonché de feuilles”, etc. […] Et comme la littérature que je connaissais ne parlait pas d’une mère qui s’endormait à table de fatigue après souper ou de repas d’inhumation où l’on chante, je jugeais qu’il ne fallait pas en parler. […] Quand j’ai commencé à écrire, je me désespérais de ne pas faire de la beauté à chaque phrase. » (p. 10)

Fascinée et déférente envers ce nouveau monde, c’est dorénavant à son aune que l’enfant va jauger et juger toutes les valeurs et pratiques en vigueur dans le milieu familial d’origine. L’école symbolise en effet le basculement dans l’univers des livres et de la culture, avec le cortège de contraintes que ce mode d’accession aux études implique : contrôle de l’hexis corporelle et des affects, déni des goûts, des comportements et du langage qui ont cours dans la famille, bannissement de l’accent et du patois, rectification de l’intonation…

Ainsi s’exprime Denise Lesur, le « double » d’Annie Ernaux dans Les Armoires vides :

« [J’ai] la tête bruissante de mots, dominus, le maître, the cat is on the table, à côté les dettes des clients, les livraisons d’huile en retard font figure de choses sans importance. […] Comment aurais-je pu faire pour ne pas retenir, jusqu’à l’intonation même, ces mots de la maîtresse qui ouvraient à deux battants sur l’inconnu, sur tout ce qui n’était pas la boutique couverte de pas boueux, les criailleries du souper, les humiliations… […] Chez moi, j’étais libre de puiser dans les bocaux et les pots de confiote, d’agacer les vieux soûlots, de parler comme les mots me venaient, du popu et du patois […]. Toutes ces remarques, ces ricanements, non, les choses de mon univers n’avaient pas cours à l’école. […] Les profs […] ils ne tiendraient pas une journée chez moi, ils seraient dégoûtés, continuellement ils disent qu’ils ont horreur des gens vulgaires, ils font les dégoûtés si on éternue fort, si on se gratte, si on ne sait pas s’exprimer. […] Il n’y a peut-être jamais eu d’équilibre entre mes mondes. Il a bien fallu en choisir un, comme point de repère, on est obligé. Si j’avais choisi celui de mes parents, de la famille Lesur, encore pire, la moitié carburait au picrate, je n’aurais pas voulu réussir à l’école, ça ne m’aurait rien fait de vendre des patates derrière le comptoir, je n’aurais pas été à la fac. Il fallait bien haïr toute la boutique, le troquet, la clientèle de minables à l’ardoise. […] Étrangère à mes parents, à mon milieu, je ne voulais plus les regarder. […] Le pire, c’était que la classe […] ce n’était pas non plus mon vrai lieu. Pourtant, j’y aspirais de toutes mes forces. […] Il faut encore creuser l’écart, semer définitivement le café-épicerie, l’enfance péquenaude, les copines à indéfrisable… Entrer à la fac. » (p. 66, 67, 75, 78, 83, 94, 100, 119 et 161).

Le langage des dominants

C’est donc essentiellement le langage qui vient cristalliser la rupture entre les deux mondes – et lui qu’il faudra sans cesse travailler pour rendre compte littérairement de cette dernière : celui de l’école, châtié et constamment contrôlé, qui invalide brutalement les pratiques linguistiques qui ont cours dans le milieu familial. « Tout ce qui touche au langage est dans mon souvenir motif de rancœur et de chicanes douloureuses, bien plus que l’argent », note ainsi Annie Ernaux dans La Place (p. 64).

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Les remarques sur l’apprentissage du langage normé des dominants, sans référent dans l’expérience réelle – « pire qu’une langue étrangère », écrit-elle dans Les Armoires vides (p. 53) –, et la séparation d’avec « le monde d’en bas » qu’il signifie, abondent dans l’œuvre de l’écrivaine : « Enfant, quand je m’efforçais de m’exprimer dans un langage châtié, j’avais l’impression de me jeter dans le vide », se souvient-elle dans La Place (p. 64) ; ou encore :

« Il se trouve des gens pour apprécier le “pittoresque du patois” et du français populaire. Ainsi Proust relevait avec ravissement les incorrections et les mots anciens de Françoise. Seule l’esthétique lui importe parce que Françoise est sa bonne et non sa mère. Que lui-même n’a jamais senti ces tournures lui venir aux lèvres spontanément. Pour mon père, le patois était quelque chose de vieux et de laid, un signe d’infériorité. […] Il lui a toujours paru impossible que l’on puisse parler “bien” naturellement. Toubib ou curé, il fallait se forcer, s’écouter, quitte chez soi à se laisser aller. […] Toujours parler avec précaution, peur indicible du mot de travers, d’aussi mauvais effet que de lâcher un pet. » (p. 62-63)

Dans La Honte (1997) en particulier, Annie Ernaux évoque longuement les effets ataviques du premier langage :

« Parler bien suppose un effort, chercher un autre mot à la place de celui qui vient spontanément, emprunter une voix plus légère, précautionneuse, comme si l’on manipulait des objets délicats. […] Mon père dit souvent “j’avions” et “j’étions”, lorsque je le reprends, il prononce “nous avions” avec affectation, en détachant les syllabes, ajoutant sur son ton habituel, “si tu veux”, signifiant par cette concession le peu d’importance qu’a le beau parler pour lui. En 52, j’écris en “bon français” mais je dis sans doute “d’où que tu reviens” et “je me débarbouille” pour “je me lave” comme mes parents, puisque nous vivons dans le même usage du monde. » (p. 54-55)

Parlant comme ses parents, elle intériorise pourtant progressivement le modèle linguistique dominant, qu’elle décrit dans Les Armoires vides comme un « système de mots de passe pour entrer dans un autre milieu » (p. 78).

Soumise aux catégories d’entendement professoral, elle commence à écrire « comme ses lectures » :

« Je comprenais à peu près tout ce qu’elle disait, la maîtresse, mais je n’aurais pas pu le trouver toute seule, mes parents non plus, la preuve, c’est que je ne l’avais jamais entendu chez eux. […] [Les livres de lecture, de vocabulaire et de grammaire] ne parlent pas comme nous, ils ont leurs mots à eux, leurs tournures qui m’avertissent d’un monde différent du mien. […] Langage bizarre, délicat, sans épaisseur, bien rangé et qui prononcé, sonne faux chez moi. […] C’est pour ça que je n’employais mes nouveaux mots que pour écrire, je leur restituais leur seule forme possible pour moi. Dans la bouche, je n’y arrivais pas. Expression orale maladroite en dépit de bons résultats, elles écrivaient, les maîtresses sur le carnet de notes… Je porte en moi deux langages. […] La faute, c’est leur langage à eux [ses parents], malgré mes précautions, ma barrière entre l’école et la maison, il finit par traverser, se glisser dans un devoir, une réponse. J’avais ce langage en moi […]. Toutes les humiliations, je les mets sur leur compte, ils ne m’ont rien appris, c’est à cause d’eux qu’on s’est moqué de moi. Leurs mots dont on me dit qu’ils sont l’incorrection même, “incorrect”, “familier”, “bas”, mademoiselle Lesur, ne saviez-vous pas que cela ne se dit pas ? […] Maintenant, j’ai l’impression que je ne pourrai plus revenir en arrière, que j’avance, ruisselante de littérature, d’anglais et de latin, et eux, ils tournent en rond dans leur petit boui-boui. […] Même si je voulais, je ne pourrais plus parler comme eux, c’est trop tard. » (p. 53, 76, 77, 115, 158 et 181)

Symboliser l’expérience du « transfuge de classe »

On saisit bien toute l’importance sociale et les implications politiques de ces thèmes, rarement abordés de manière aussi directe et systématique en littérature. Récits réflexifs d’une expérience individuelle, mais aussi et surtout narration d’une forme de destin épistémique, celui de la mobilité sociale ascendante de celles et ceux qui sont nés dans les années 1940-1950, les livres d’Annie Ernaux constituent une offre singulière de symbolisation de l’expérience du « transfuge de classe », fondée sur un pacte de lecture lui-même spécifique, « littéraire » mais sociologiquement instruit. Ils vont rapidement trouver un écho important chez des lectrices et lecteurs caractérisés par des formes d’identification projective avec l’autrice, leur permettant de mettre en mots, en particulier dans les lettres qu’elles-ils adressent en nombre à l’écrivaine, leur propre trajectoire et les déchirures sociales qui lui sont liées, souvent vécues jusqu’à lors sur le registre du cas singulier, de l’isolement et de la honte.

Au-delà de l’œuvre de la lauréate du prix Nobel de Littérature 2022, marquée par l’influence de ses connaissances sociologiques, il semble que les trajectoires de migration de classe prédisposent celles et ceux qui les expérimentent – et qui décident de les publiciser en les publiant sous forme de textes littéraires – à développer une sensibilité et une lucidité sociales aiguës, qui les amène à devenir de (très) bons « sociologues spontanés » d’eux-mêmes et d’un monde social où, pour eux, rien « ne va de soi ». Une sorte de « privilège de classe » inversé…


Cet article reprend des réflexions initiées dans une thèse de doctorat de science politique portant sur les conditions de production et sur les réceptions de l’œuvre d’A. Ernaux. Voir Charpentier (I.), Une Intellectuelle déplacée. Enjeux et usages sociaux et politiques de l’œuvre d’Annie Ernaux (1974-1998), Amiens, Université de Picardie–Jules Verne, 1999.

mardi 25 octobre 2022

QUIZ

 Les hippocampes sont-ils des poissons ? Les éponges font-elles partie du règne animal ou végétal ? Le requin-lézard existe-t-il ? Et savez-vous quel est le repas préféré de la tortue luth ? Voici dix questions sur les animaux marins. À vous de jouer !

CHAUNU

 










LA FOLLE JOURNÉE DU 24 OCTOBRE 2022

 Récit

Budget, les coulisses d'une étrange journée à l'Assemblée : des motions de censure... pour rien 

Le piège de Marine Le Pen, l'embarras de la Nupes, les illusions de la majorité... Les motions de censure ont toutes été rejetées lundi soir 24 octobre.


La Première ministre Elisabeth Borne à l'Assemblée nationale à Paris le 24 octobre 2022

La Première ministre Elisabeth Borne à l'Assemblée nationale à Paris le 24 octobre 2022

Ils sont une vingtaine d'enfants, enfoncés dans les sièges rouges de la tribune "visiteurs" de l'hémicycle. Ils ont dix ou douze ans, tout au plus. Régulièrement, des groupes d'élèves viennent découvrir l'Assemblée nationale, ses coulisses, son fonctionnement, cet amphithéâtre qu'on appelle assemblée. Et ils ont de la chance. Ce lundi 24 octobre n'est pas une séance comme les autres. C'est jour de "motions de censure", et deux sont débattues dès 16 heures.  

L'une venue des bancs de la gauche et déposée par la Nupes, l'autre des bancs de l'extrême droite, déposée par le Rassemblement national. Elles seront soumises au vote des députés, après que la Première ministre, Élisabeth Borne, a engagé la responsabilité du gouvernement en déclenchant l'article 49.3 de la Constitution pour que son projet de loi de finances (PLF) soit adopté sans l'aval du parlement. Un vote à l'issue très certaine tant les motions pour renverser le gouvernement avaient peu de chance d'aboutir, mais qui décompose un peu plus l'Assemblée nationale. 

"Le 49.3, l'arme des faibles"

Les jeunes visiteurs voient tout du haut de leur promontoire : les trous au sommet des crânes déplumés des députés, et d'autres trous, sur les bancs de la majorité d'Emmanuel Macron. Les élus des groupes Renaissance, MoDem et Horizons ne prenant pas part aux votes des motions de censure, certains ont préféré rester dans leurs circonscriptions plutôt que de siéger plusieurs heures. "Je les comprends tellement, ils ont été là pendant dix jours non-stop...", textote un ministre assis à quelques mètres d'Élisabeth Borne dans l'hémicycle. 

Ce fut aux présidents de chaque groupe parlementaire d'ouvrir le bal. À chacun de justifier son vote, de refaire, en dix minutes chrono, le débat qui n'a pu avoir lieu sur le PLF, et de tancer le gouvernement par la même occasion. L'écologiste Cyrielle Châtelain, tout de vert vêtue, s'adresse directement à Borne. " Vous mentez. Vous mentez aux Françaises et aux Français, mais surtout vous mentez à vous-même !", ose-t-elle dans ses premiers mots, fustigeant l'absence de discussion et "d'ambition" dans la lutte contre le réchauffement climatique. "Le 49.3, c'est l'arme des faibles", s'époumone-t-elle, dans un clin d'oeil non assumé au constat qu'avait fait Nicolas Sarkozy lorsqu'il était président : "si je l'utilise, c'est une preuve de faiblesse." 

La surprise de la cheffe

Vingt minutes n'ont pas passé que déjà les paupières se font pesantes chez les enfants en haut à la tribune, et les têtes lourdes s'allongent de fatigue sur les épaules de leurs voisins. Quand Marine Le Pen prend place, les applaudissements nourris de ses députés RN les réveillent et éteignent les brouhahas et les invectives venues des autres bancs. Elle tance, elle aussi, l'usage du 49.3 par "un exécutif barricadé dans ses certitudes", constate "la triste épopée solitaire d'un gouvernement usé avant d'avoir servi". Et à la surprise générale, elle annonce que son groupe "votera également la motion présentée en des termes acceptables de l'autre côté de l'hémicycle (par la Nupes, NDLR)". Il y a une semaine, la même Marine Le Pen expliquait pourtant l'exact inverse. Elle confiait ainsi que ses députés ne sauraient être " d'accord avec les désaccords de la Nupes ". 

Un coup de théâtre, préparé à la hâte et discuté en réunion de groupe quelques heures plus tôt. Revenant de leurs circonscriptions, plusieurs députés RN ont rapporté les pressions de certains de leurs électeurs qui ne comprenaient pas que les oppositions ne s'unissent pas contre le gouvernement. Un autre cadre du parti mariniste juge, lui, que ce changement de pied s'explique surtout parce que la motion de censure présentée par la Nupes est "très light " et dès lors "votable".  

LR piégé

L'opération surprise piège les députés Les Républicains. La droite n'a qu'à baisser le pouce pour provoquer de nouvelles législatives. Oseront-ils ? Prendront-ils leurs responsabilités ? Marine Le Pen, tout sourire, assume ne pas craindre une dissolution pour sa part. Des élections anticipées laisseraient plusieurs députés LR sur le carreau et les députés de la droite savent que leur électorat ne saurait leur pardonner de faire tomber le gouvernement. Ils n'ont d'autres choix que d'être qualifiés "d'opposition de façade" par le RN et la Nupes. 

A la tribune, leur patron Olivier Marleix chante le refrain d'une opposition responsable, hostile au "désordre" et à "l'instabilité politique". "Je préfère encore Macron au combo Le Pen-Mélenchon", juge un député LR. Pas au pouvoir, pas l'opposition la plus résolue : préserver son statut de parti de gouvernement a un prix. La droite va devoir déployer des trésors de communication pour rendre son positionnement lisible. "A nous de faire comprendre que Nupes et RN font l'alliance de la carpe et du lapin", résume un LR, quand un LFI, lui, les moque : "LR, c'est l'art de s'opposer sans s'opposer tout en s'opposant. Personne n'y comprend rien, pas même eux. Ils sont piégés". 

L'embarras de la Nupes

La surprise de la cheffe RN n'arrange pas les affaires de LR, et embarrasse tout autant la Nupes. Au moment où Le Pen dégaine son joker, les députés de gauche se regardent, gênés, étonnés, surpris. Marine Le Pen leur a tendu un piège, aussi : s'ils refusent le compagnonnage, même si les motions échouent, alors ils aident tacitement le gouvernement à se sauver. Quand André Chassaigne, le communiste, rappelle à la tribune que la Nupes ne votera pas la motion du RN, les députés de l'extrême droite s'égosillent : "Complice ! Complices !" 

À son tour, Aurore Bergé (Renaissance) s'en donne à coeur joie pour fustiger "l'alliance de circonstance" entre les RN et la Nupes. "Soit vous êtes ensemble dans une majorité, soit vous admettez l'évidence : il n'y a pas de majorité alternative", dit-elle. Élisabeth Borne abonde, à son tour : "Est-ce un gouvernement où sur les bancs des ministres siégeraient côte à côte Madame Le Pen, Madame Panot, Madame Chatelain, Monsieur Bardella, Monsieur Vallaud et Monsieur Chassaigne que vous proposez ?" Devant les journalistes, à l'extérieur, le président du groupe socialiste Boris Vallaud s'agace : "Élisabeth Borne joue avec le feu. Laissez penser une seule seconde qu'on pourrait être dans le même gouvernement... Ce n'est pas banal, l'extrême droite et ces mots ne font que la banaliser. Je constate qu'il y a une fissure dans le front républicain. Les seuls qui ont déposé des bulletins RN, ce sont les députés de la majorité (lors de l'élection des présidents de l'Assemblée nationale, NDLR). " 

Présence requise des ministres

Il est bientôt 18 heures et les enfants, silencieux et fatigués, quittent l'hémicycle. Lorsque la cheffe du gouvernement est montée à la tribune, les députés de la majorité sont revenus en masse pour faire la claque après les saillies retenues mais parfois goguenardes d'Élisabeth Borne. Une grosse grappe de députés macronistes s'est tout de même installée tout autour de la présidente du groupe Aurore Bergé. Il fallait faire bloc, être solidaire autour du gouvernement. Il avait donc été lourdement "conseillé" aux députés de la majorité de regagner l'hémicycle lors du discours de la Première ministre. 

Silencieux aussi, les ministres sur les bancs, au premier rang. La présence des ministres de plein exercice était "requise" pour soutenir la Première ministre. Certains pianotent quelques SMS, envoient des notes à leurs collaborateurs. On voit le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti se dégourdir les jambes. On aperçoit le ministre délégué chargé des Transports Clément Beaune arriver juste à temps mais, faute de place, s'asseoir en dehors des fauteuils réservés aux membres du gouvernement et prendre place à côté de l'ex-LR Éric Woerth. 

Sur le même sujet

Lundi soir, une troisième motion de censure, déposée par la Nupes, était débattue. Cette fois-ci pour tenter de faire tomber le gouvernement qui a engagé sa responsabilité dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Dans les couloirs du Palais Bourbon, ni enfants ni journalistes. Les députés, aussi, se font moins nombreux, mais le manège recommence : un député par groupe justifie son vote, refait le débat, fustige le gouvernement ou le défend ; puis la Première ministre Élisabeth Borne de refaire un discours qui ne dit rien de bien différent. Le sort de cette nouvelle motion est le même que celui des deux premières. Un nouvel acte dans le grand théâtre de l'Assemblée nationale, avant le prochain. 

Erwan Bruckert, Paul Chaulet et Olivier Pérou

lundi 24 octobre 2022

 

 

 

24 octobre 1929 : début du krach boursier et de la crise

New York, la Bourse et la banque Morgan, photographie de presse, Agence Roll, 1920 - source : Gallica-BnF
 

Le krach boursier de Wall Street le 24 octobre 1929 marque l’éclatement d’une bulle spéculative boursière : c’est le déclencheur d’une période de crise financière et économique qui plonge le monde dans une dépression durable durant toutes les années 1930. Toutefois la France n’est touchée qu’à partir de 1931.

 

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