Dès novembre 1944, les plages du Débarquement commencent à être nettoyées par plusieurs entreprises dont une dirigée par un Belge. Aujourd'hui encore, ce travail n'est pas terminé.

L'opération commando tourne au drame à Omaha Le major Philipps, chef du commando « Aquatint ». Saint-Laurent-sur-Mer, une des trois plages d'Omaha Beach. - Saint-Laurent-sur-Mer
Omaha Beach, l’une des plages les plus difficiles à nettoyer après la bataille de Normandie. ©Vanessa Thierrée

Les jours d’après le 7 juin 1944, sur les plages du D-Day, le débarquement allié en Normandie, le littoral est encore marqué par le chaos des batailles. La marée rejette les corps des soldats tombés au combat, et les bunkers du Mur de l’Atlantique fument. Des obus et des grenades les ont fait exploser. Les épaves des centaines de barges et de navires échoués jonchent le sable d’Omahad’Utahde Junode Sword et de Gold, ces cinq plages qui ont été le théâtre du plus imposant débarquement militaire de l’histoire de l’humanité. 


Des plages submergées d’obus, d’épaves…

Une telle activité militaire durant les mois que dure la libération de l’Europe, forcément, cela génère une quantité colossale d’épaves ou de restes d’obus. Les jetées en béton du port flottant, les douilles tirées, les éclats d’obus encombrent les plages du débarquement et particulièrement Omaha Beach, où les combats du D-Day furent plus terribles qu’ailleurs

Plus tard, l’armée américaine sabotera elle-même certains de ses bateaux à quelques dizaines de mètres de la côte pour protéger la rade d’Omaha d’attaques ennemies. Sans compter sur la terrible tempête de juin 1944, qui a fait s’échouer sur la plage plusieurs navires et morceaux de ponton, de brise-lames et de jetées. Ce sont donc des milliers de tonnes d’acier et de béton qui se sont échoués entre la mer et la falaise. 

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Le nettoyage débute cinq mois plus tard

Dès le mois de novembre 1944, les Alliés entreprennent de nettoyer les plages normandes de ces débris qui sont un danger pour les navires de guerre comme de commerce, et pour la population civile. Après 1945, c’est l’État français qui se retrouve face à ce défi de taille. L’enjeu est sécuritaire, mais aussi économique. Une telle quantité de ferraille, cela équivaut à des centaines de milliers de francs, et a des mois de travail pour des dizaines d’ouvriers. 

Dans l’immédiat d’après-guerre, la France signe divers contrats de récupération des débris avec plusieurs entreprises, pour la plupart étrangères. Le destin des épaves fait visiblement l’objet d’accords non divulgués entre la France, les États-Unis, et les entreprises. Il ne reste que peu de traces documentant ces accords. Les Américains semblent avoir légué gracieusement la propriété des épaves à la France, qui les échange avec les ferrailleurs, contre de l’armement et du matériel. 

En 1948, c’est la société de ferraillage anversoise (Belgique) Van Loo qui est chargée de s’occuper du plus complexe des secteurs, celui d’Omaha. Le deal semble lucratif, en échange de milliers de tonnes de métaux, l’État français recevra plus de 700 blindés et 2 000 tonnes d’armes et de matériel.

Les opérations sont titanesques. L’entreprise engage des ouvriers parmi la population locale et fait venir quelques Belges. Les ferrailleurs s’intéressent surtout aux métaux non ferreux : le cuivre, le bronze, le laiton que l’on trouve dans la machinerie et les chaudières des navires. Ils ne s’attaquent qu’aux débris les plus faciles à atteindre, ceux à moitié ensablés, ceux qui ne se trouvent pas trop loin dans l’eau. 

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Un travail risqué pour les ouvriers

Cependant, le travail reste risqué et de nombreux accidents arrivent. Plusieurs ouvriers perdre la vie durant les opérations. Quatre d’entre eux meurent noyés ou écrasés par 15 tonnes de ferrailles qui s’écroulent à cause d’une vague subite, en 1951. À certains moments, ce ne sont pas moins de 200 personnes qui s’affairent pour démanteler ou renflouer les carcasses. 

Certains navires sont en effet démontés sur place. Mais parfois, cela s’avère trop complexe. Alors, Victor Van Loo, le directeur de l’entreprise, remet à flot certains d’entre eux pour les acheminer vers les chantiers navals de Gand (Belgique) où le recyclage pourra s’entreprendre dans de meilleures conditions. Cela lui permet également de gagner plus d’argent, car le cours des métaux est plus élevé en Belgique qu’en France. 

Van Loo quitte le chantier en 1958, ayant pris ce qui l’intéressait le plus. Mais il reste encore beaucoup de travail. Le ferrailleur anversois n’a pas touché aux pontons en béton, submergés trop loin de la côté, ni aux fonds de cales de grands navires de guerre, trop compliqués à retirer. D’autres entreprises se succéderont pour continuer le travail, qui perdura jusque dans les années 1990. De plus, des interventions de déminage sont entreprises dans une certaine urgence. Le travail de déminage est intense jusqu’en 1947.

Aujourd’hui, est-ce que ce nettoyage continue ? 

Aujourd’hui encore, le Centre de déminage interdépartemental de Caen a une activité importante, assurant en moyenne chaque année plus d’un millier d’interventions dans le Calvados et la Manche. Les opérations de déminage en mer et sur l’estran sont assurées par le Groupe de plongeurs démineurs de la Marine nationale basé à Cherbourg, qui assure environ 40 interventions par an sur la zone.

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Une volonté de conserver les sites

Néanmoins, certaines traces et vestiges sont volontairement conservés. Dès le lendemain de la guerre, des acteurs locaux affirment leur volonté de préserver les traces d’un événement qui a durablement marqué la Normandie et sa population. Parmi ces acteurs, Raymond Triboulet, nommé sous-préfet de Bayeux en juin 1944, crée le 22 mai 1945 le Comité du Débarquement. 

Élu député, il fait voter, le 21 mai 1947, une loi donnant un caractère national aux commémorations du débarquement en Normandie. L’État prend désormais en charge la conservation et l’aménagement des sites historiques et la construction de musées. 

Deux lieux sont particulièrement marquants en termes de conservation : la Pointe du Hoc et la batterie de Longues-sur-Mer qui a fait l’objet d’une préservation au titre des paysages et d’une protection de cinq de ses vestiges au titre des Monuments historiques. Partout, la dynamique côtière – recul des falaises, phénomènes d’engraissement ou de régression des dunes – modifie lentement l’empreinte visuelle des vestiges dans le paysage. Sur la partie Est des Plages du Débarquement, la reprise de l’activité balnéaire a été un facteur de disparition des traces de l’événement dans le paysage.  Les aménagements se sont faits nombreux au fil des décennies, depuis la création en 1954 du premier musée du Débarquement, à Arromanches-les-Bains, à l’initiative du Comité du Débarquement. Les nations autrefois belligérantes ont pris une large part dans la préservation et la mise en valeur de ce lieu de mémoire.

La demande d’inscription des Plages du Débarquement au Patrimoine mondial s’inscrit dans la continuité d’une volonté partagée de préserver ces sites en raison de la signification de l’événement du 6 juin 1944. Au fil des ans, les plages du Débarquement sont ainsi devenues un lieu de mémoire partagé, un lieu de rassemblement mondial et citoyen autour d’un message universel de liberté et de paix. Les associations Les Plages du Débarquementet Normandie 1944 sont ainsi proposées à l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial au titre des paysages culturels, comme paysage historique portant à la fois les traces d’un affrontement et une dimension associative.