L'INTERVIEW PREMIÈRE FOIS

 

France Inter : une courte interview de Marine Le Pen diffusée sur les réseaux provoque la colère des journalistes

La pastille politique participe de la « peopolisation » de la vie politique, selon la Société des journalistes de la station. La directrice de l’information assume le format.


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« Nous assumons ce choix. » A France Inter, on est droit dans ses bottes. Qu’importe la rumeur désapprobatrice qui a accompagné la diffusion sur les réseaux sociaux, le 20 janvier, d’une interview de Marine Le Pen tout sourire, sur fond rose, dans un module vidéo d’environ deux minutes et demie. Baptisé l’« #InterviewPremièreFois », l’exercice consiste, pour le ou la candidat(e) à l’élection présidentielle, à répondre très brièvement à des questions basiques, retranscrites sur l’écran. « Première personne que vous appelez si vous êtes élue ? »« Première pensée, si vous êtes élue le 24 avril, à 20 heures ? », mais aussi « Première fois où vous avez réalisé que vous aviez une famille… un peu à part ? » ou « Premier chat ? ».

Accompagnée d’une musique dynamique, souriante et badine, la candidate du Rassemblement national à l’élection présidentielle répond, par exemple : « Mon père. J’espère qu’il ne sera pas présent, ça m’évitera qu’il me tanne toute la soirée », dans un sourire complice avec la caméra.

Ou : « Oui, je suis éleveuse de chats professionnelle. Oui, je suis agricultrice, en quelque sorte, puisque je dépends du ministère de l’agriculture. » Une séquence « plus proche d’une émission de M6 que de l’antenne de France Inter », selon la formule d’une journaliste. « Je conçois que les formats diffusés sur le Web soient différents de ce que l’on fait à l’antenne, mais celui-ci ressemble à un publireportage », ajoute un reporter. « Eh, t’as vu ça, Pascal Praud [journaliste sur CNews] ?, a lancé l’humoriste Guillaume Meurice, lundi 24 janvier, sur son compte Twitter. Nous aussi, on peut rendre l’extrême droite cool et funky !! »

« Moins de buzz »

Marine Le Pen n’était pas la première à se prêter à cet exercice pensé pour les réseaux et destiné à séduire un public jeune. Interviewée dans les mêmes conditions (au sortir de la matinale de la station) quelques jours plus tôt, le 13 janvier, bras croisés dans le dos et masque rouge sur le visage, Anne Hidalgo (PS) s’y était montrée peu à l’aise. Et la vidéo avait été diffusée dans l’indifférence générale, au contraire de celle de son adversaire d’extrême droite.

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« Le service public se doit de donner la parole à tous les candidats, mais il nous semble que notre rôle est de rester dans un travail journalistique, sans se prêter à ce type de “peopolisation” de la politique ; quitte à faire moins de buzz », regrette la Société des journalistes (SDJ), dans une interpellation à la direction envoyée à l’ensemble de la rédaction, en fin de journée, mardi 25 janvier. « Ce n’est pas Marine Le Pen le problème, mais le format lui-même », insiste Corinne Audouin, la présidente de la SDJ de Radio France. Au printemps 2021, déjà, la suggestion faite par la direction de France Inter à Frédéric Pommier de demander aux politiques d’évoquer leur chanson préférée, à l’occasion de sa chronique diffusée dans le « 13 Heures » (ainsi que l’avait raconté Mediapart), avait provoqué une certaine réprobation dans la rédaction.

« On ne peut pas rougir de ce travail »

Interpellée par son équipe, mardi matin, à l’occasion d’un point d’information hebdomadaire, la directrice de l’information, Catherine Nayl, a défendu cette pastille. « On n’a pas à rougir de ce travail, on ne peut pas soupçonner la rédaction de France Inter de ne pas être sérieuse », a-t-elle soutenu, selon un témoin. « Elle nous a dit qu’elle n’avait de leçon à recevoir de personne », ajoute un autre. Tout juste a-t-elle admis qu’« on n’aurait peut-être pas dû laisser la question sur les chats ». Aucun regret, en revanche, sur la question au sujet de la « famille un peu à part », qui n’a pas manqué de faire bondirsans toutefois qu’ils interpellent leur directrice de l’information, ceux qui se souviennent que le père de la candidate a été maintes fois condamné pour contestation de crime contre l’humanité, provocation à la haine, à la discrimination et à la violence raciale, antisémitisme, injures publiques, etc.

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Une séquence vidéo pensée sur le même modèle avait été fabriquée lors des élections européennes, en 2019. Mais, à l’époque, les questions ne revêtaient aucun caractère personnel. Attendu pour la fin de semaine, le prochain module devrait mettre Yannick Jadot (EELV) en vedette, en attendant Valérie Pécresse (LR), Eric Zemmour (Reconquête !), ou Jean-Luc Mélenchon (LFI). Et désormais, il ne sera plus question d’aller sur le terrain de l’intime. « Dans un exercice comme celui-là, nous ne devons poser des questions qui n’ont trait qu’à la politique, ou à la campagne, et ne pas toucher à des questions privées », précise mercredi matin Catherine Nayl au Monde, reconnaissant « une erreur » déjà admise devant sa rédaction.*




*Mardi après-midi, soit avant la parution de notre article, la direction de France Inter faisait savoir par son service de presse qu’elle « ne s’exprimait pas » et « assumait ce choix ».

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