lundi 24 janvier 2022

ENTRETIEN

 

Reines, guerrières ou résistantes : pourquoi les femmes ont-elles disparu de l’Histoire ?




Elles s’appellent Brunehaut, Catherine Bernard ou Pauline Léon. Elles ont été de puissantes reines, de courageuses résistantes ou de « preuses » chevaleresses. L’Histoire est pleine de grandes femmes. Pourquoi, alors, en a-t-elle retenu si peu ? Une question à laquelle répond l’autrice Titiou Lecoq dans l’essai « Les grandes oubliées : pourquoi l’Histoire a effacé les femmes ».



Dans son essai très documenté Les grandes oubliées : pourquoi l’Histoire a effacé les femmes (éditions L’Iconoclaste, 326 pages, 20,90 €), l’autrice Titiou Lecoq redonne à des femmes leur place dans l’Histoire. Un ouvrage très facile d’accès, truffé d’humour et qui donne envie, une fois sa lecture terminée, d’en apprendre plus sur les innombrables femmes évoquées.

On a longtemps pensé que les femmes n’avaient pas participé à l’Histoire. D’où vient cette fausse idée ?

J’ai le souvenir d’avoir demandé à mes professeurs pourquoi les femmes n’étaient pas présentes dans les livres d’histoire. Ils me répondaient que cela ne faisait pas si longtemps qu’elles avaient des responsabilités politiques. Il y avait cette idée que les femmes ont toujours été au foyer avec les enfants, que c’était leur place naturelle. Ce que les historiens appellent le « mythe de l’empêchement ».

Or, l’idée qu’on se fait de la famille, avec un père qui travaille et une mère au foyer qui s’occupe des enfants, ne date « que » du XIXe siècle. Ce qui, à l’échelle de l’Histoire, est très récent. Certaines anthropologues avancent qu’au Paléolithique, les groupes ont survécu grâce à la solidarité et l’alloparentalité, c’est-à-dire le fait que tout le groupe s’occupe des enfants.

Vous reprenez de récents travaux d’historiennes qui remettent en cause le fait que, à la Préhistoire, seuls les hommes chassaient le mammouth ou peignaient des grottes. Y a-t-il eu un biais sexiste des historiens ?

Dans les manuels d’histoire, les hommes ont découvert le feu, chassent, peignent, et les femmes sont présentées de manière très secondaire. Les historiens ont longtemps eu tendance à calquer les stéréotypes de leur époque sur cette période. On attribuait par exemple systématiquement les sépultures de guerriers à des hommes. Or, des recherches récentes ont permis d’identifier aussi des restes de femmes. Il y a une évolution aujourd’hui, qui consiste à faire preuve de plus de prudence quand on ne sait pas.

Les représentations que les hommes (et probablement femmes !) préhistoriques ont tracées (ici sur les murs de la grotte de Lascaux).  | ARCHIVES NATHALIE HOPKINS

Elles sont absentes des manuels d’histoire, et pourtant, deux femmes ont régné sur le royaume des Francs durant près de quarante ans. Pourquoi les a-t-on oubliées ?

Dans les années 550, Brunehaut, mariée à l’un des rois francs assassinés, prend la régence de son jeune fils qui lui laisse ensuite le pouvoir. Elle continue pour son petit-fils et son arrière-petit-fils, eux aussi assassinés. En parallèle, elle s’affronte avec Frédégonde, la reine d’un autre territoire du royaume des Francs. Or, Brunehaut était toujours très connue des écoliers au XIXe siècle, pour montrer que quand on laisse le pouvoir aux femmes, elles se crêpent le chignon (comme si les rois ne s’étaient jamais fait la guerre…). Elle est aujourd’hui inconnue, alors qu’elle a mis en place le début d’un système judiciaire, pour mettre fin aux vengeances, et elle est toujours la sainte patronne des policiers.

Pourquoi dites-vous qu’on ne féminise pas la langue aujourd’hui, mais qu’on la démasculinise ?

Quand des historiennes commencent à chercher des femmes, elles en trouvent dans tous les métiers au Moyen Âge : artisane, jongleresse, maréchale-ferrante… C’est au XVIIe siècle qu’on a masculinisé la langue, en faisant progressivement disparaître les mots au féminin, comme autrice, l’idée étant évidemment que les femmes n’écrivent plus. Ce n’est pas une évolution naturelle de la langue qui amène à la situation actuelle. Ça a été un choix politique de masculiniser la société.

Au Moyen Âge, les femmes occupaient tous les métiers. Que s’est-il passé pour qu’elles en disparaissent progressivement ?

L’historienne Éliane Viennot a travaillé sur cette question. Elle explique qu’au Moyen Âge, la société est régie par les classes sociales et que les femmes nobles valent plus que les hommes des rangs inférieurs. Or, beaucoup d’hommes qui vont à l’université sans être nobles veulent obtenir du pouvoir politique et le prennent aux femmes nobles : tout un mouvement d’intellectuels très misogynes se met en œuvre.

À la renaissance, on arrive à la chasse aux sorcières, on diabolise les femmes. Lors des Lumières et de la Révolution, on acte l’égalité de tous les hommes entre eux, et de toutes les femmes entre elles. Elles n’ont alors plus aucun pouvoir politique. Même les femmes nobles qui avaient encore un pouvoir de vote le perdent.

Au Moyen Âge, les femmes occupent tous les métiers : charpentière, jongleresse, chevalière, autrice, bâtisseuse de cathédrales… | ARCHIVES PHILIPPE CHEREL, OUEST-FRANCE

Votre livre s’intitule Pourquoi l’histoire a effacé les femmes. C’est donc qu’elles ont été connues, puis effacées ?

Ma première surprise a été de découvrir que les femmes ont fait des choses ; la deuxième, c’est qu’elles avaient été connues en leur temps. Comme l’immense dramaturge Catherine Bernard, première femme dont une œuvre a été jouée à la Comédie française et autrice de Brutus. Elle a eu un vrai succès à son époque mais a très vite été effacée après sa mort, en 1712, par Voltaire. Qui plagie sa pièce et se justifie en disant qu’elle aurait elle-même plagié un auteur masculin. Ce que tout le monde a cru. Et Catherine Bernard n’a pas été une exception.

Vous dénoncez la « biologisation » des femmes et des hommes. C’est-à-dire ?

Il est intéressant de voir comment, à travers les siècles, ce qui est considéré comme masculin et féminin a évolué. Or, si c’était « biologique », donc « naturel », cela n’aurait pas changé… Au Moyen Âge, la supériorité masculine reposait sur le fait que l’homme savait contrôler son corps et ses pulsions, tandis que la femme serait dominée par son animalité, ses règles et cette « dégoûtante humidité intime ». Ce qui est totalement inversé par rapport à notre vision actuelle. La preuve que tout cela est purement social.

Le livre de Titiou Lecoq, aux éditions L’Iconoclaste. | D.R.

L’histoire étant un éternel recommencement, comment ne pas oublier à nouveau ces femmes que l’on redécouvre à peine ?

L’école est le moule qui construit une culture générale sur tout le territoire. Pour cela, il faut que les femmes entrent dans les programmes scolaires, pour faire une vraie histoire de France mixte. Il est temps que la moitié de la population apparaisse dans les manuels d’histoire. C’est une question de rééquilibrage et ce serait plus juste historiquement.

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