Constitution de 1958:
55 ans, déjà ! Qui l'eut crû?
La Constitution du 4 octobre 1958 s'inscrit dans la durée, et pour longtemps. Les pourfendeurs de la Ve République d'hier et aujourd'hui en sont pour leurs frais. La réussite de ce régime n'est pas le fruit du hasard, même si les circonstances politiques l'ont bien servi. La longévité de notre Constitution était inscrite dans ses gènes.
La Ve République, solidement assise, traverse toutes les épreuves qui se présentent à elle et qui auraient pu la mettre à genoux plus d'une fois: alternances, cohabitations, construction européenne, décentralisation, justice politique défaillante, crises sociales et économiques, scandales politico-financiers, nouvelle donne internationale... Rien ne semble l'atteindre ou plutôt tout semble être digéré par ce régime, le prévisible comme les imprévus. Deux explications principales à cette longévité: la stabilité gouvernementale et l'adaptabilité du texte constitutionnel.
Un acquis fondamental: la stabilité gouvernementale
C'est assurément le premier et le plus précieux des acquis de "la Cinquième". Certaines recettes du parlementarisme rationalisé (notamment le fameux article 49 alinéa 3 de la Constitution, imprudemment amendé lors de la révision constitutionnelle de 1958 en en réduisant son assiette) servies par l'installation durable du fait majoritaire (à partir de 1962) y ont fortement contribué. D'autres mécanismes de nature constitutionnelle ou législative ont également assuré la sérénité de l'exercice du pouvoir exécutif. Les modalités du scrutin législatif ont permis de dégager des majorités stables et solidaires de l'exécutif, même relatives ou traversées par des tensions entre groupes majoritaires.
Cette permanence dans la puissance de l'exécutif a toujours dérangé. Mais il faut être honnête sur cet aspect tant pointé du doigt par la doctrine et les responsables politiques. La Constitution a été bâtie sur l'idée d'un exécutif fort et respecté, soustrait aux joutes parlementaires. En conséquence, le gouvernement présidentiel a reçu tous les moyens nécessaires pour accomplir au mieux sa tâche constitutionnelle: conduire et déterminer politique de la nation sans craindre les parlementaires.
Ces derniers par lassitude, par un investissement total dans leur mandat exécutif local et l'acceptation de la discipline de vote rarement prise à défaut ne pouvaient assurément qu'influencer à la marge le contenu des politiques nationales. L'interdiction prochaine du cumul du mandat parlementaire et d'une fonction exécutive locale valorisera leur mandat national sans pour autant mettre à mal la stabilité exécutive.
En contrepoint, l'exécutif ne cesse d'étendre sa sphère d'influence et d'intervention. Avec la construction européenne et par le truchement du conseil des ministres européen, le gouvernement devient un acteur décisif dans toute une série de matières qui relevaient, avant transfert de souveraineté, du domaine de la loi. La complexification de la gestion des dossiers, la technicité croissante des normes, l'internationalisation des règles dépossèdent aussi immanquablement le Parlement, privé d'une réelle capacité d'expertise comparable à celle de l'exécutif. Pour toutes ces raisons, le pouvoir exécutif est dominant en France, comme il l'est dans les autres démocraties majoritaires. Mais la révision constitutionnelle de 2008 qui a revalorisé le Parlement, du moins permis que la majorité parlementaire devienne un vrai partenaire du Gouvernement, et la fin annoncée du cumul des mandats et fonctions sont de nature à instaurer un nouvel équilibre entre l'Exécutif et le pouvoir parlementaire sans saper l'acquis de la stabilité.
L'élection présidentielle au suffrage universel direct, en inversant l'ordre de la légitimité du gouvernement en période de fait majoritaire, a également et bien entendu puissamment contribué à la stabilité gouvernementale. Affaiblir l'équipe ministérielle, c'est affaiblir le Président. Elu, ce dernier a une autorité réelle et a autorité sur les députés dont la majorité d'entre eux s'est engagée à appliquer ses propositions débattues devant le peuple. Cet engagement politique devant les électeurs soude la majorité et institue une solidarité bien comprise entre le Palais-Bourbon et l'Elysée. Il institue de facto une relation de dépendance du Premier ministre vis-à-vis du chef de l'Etat, chef de la majorité parlementaire de fait. L'axe rive droite - rive gauche perd de sa belle harmonie et de sa cohérence dans le seul cas de la cohabitation. Précisément, cette désunion du couple exécutif, pour être exceptionnelle, révèle la deuxième grande caractéristique de la Constitution de 1958 : son adaptabilité.
Un atout précieux: son adaptabilité
Il n'est pas nécessaire de figer toutes les règles dans le texte constitutionnel. Les conventions de la Constitution existent et créent un espace de respiration pour les pouvoirs publics. L'exemple des questions d'actualité au gouvernement, instituées en 1974 à l'Assemblée nationale, dupliquées au Sénat en 1982 et pratiquées en marge de la Constitution jusqu'à la révision du 4 août 2005, le démontre de manière magistrale. Mais parfois la contrainte constitutionnelle est trop forte. La révision constitutionnelle est alors indispensable. Amendé à 24 reprises, le texte constitutionnel a paradoxalement autant évolué par la sollicitation du constituant que par les interprétations qu'en ont fait les juges constitutionnels et ordinaires. Ces derniers, sans jamais remettre en cause les grands équilibres institutionnels, ont pris une part déterminante à la juridicité des prescriptions constitutionnelles. La Constitution de 1958 avait mis en place un régime constitutionnel efficace. Par ses multiples et diverses interprétations, la Constitution de 1958 abrite désormais un Etat constitutionnel efficient.
La cohabitation en témoigne. La dyarchie au sommet de l'Etat est objectivement une source sérieuse de dysfonctionnement institutionnel. Or force est de constater que les trois épisodes de divergence politique entre le chef de l'Etat et le Premier ministre n'ont pas entravé fondamentalement la bonne marche de l'Etat. La Constitution a su surmonter trois cohabitations très différentes. Le secret réside très certainement dans la souplesse de ses dispositions qui donnent lieu à des interprétations ouvertes au compromis. La personnalité et la responsabilité des dirigeants, soucieux de ne pas trop instrumentaliser les institutions au détriment d'un équilibre général, ont permis également le franchissement de ces étapes délicates. "Le premier qui tire est mort". Cette formule prêtée au président François Mitterrand est devenue une loi de la cohabitation, toujours observée en dépit d'une pertinence indémontrable.
L'interprétation politique des dispositions constitutionnelles est essentielle. Elle n'est pas unique. Elle doit composer avec la lecture qu'en font les juges. Cour de cassation, Conseil d'Etat et Conseil constitutionnel ont pris une part déterminante dans l'adaptation de la Constitution aux contextes politiques et juridiques qui s'imposaient à eux. Leur interprétation de la loi fondamentale et leur participation active à la transformation de notre ordre juridique, parfois critiquées, ont rarement été désavouées. La décision du 16 juillet 1971 du Conseil constitutionnel sonne comme le premier "big-bang constitutionnel" en transformant radicalement la mission du Conseil constitutionnel, aidé en cela par le constituant en 1974. De garant de l'autorité de l'exécutif, le Conseil s'érige en garant des droits et libertés, complétant l'action des juges judiciaires et administratifs.
Par ses interprétations au laser, ses censures ciblées, le juge constitutionnel français façonne la charte des droits fondamentaux des citoyens. De façon plus générale, en faisant prévaloir finalement la norme internationale et notamment communautaire dérivée sur les lois, les juges vont ébranler définitivement la loi et par-delà la fonction législative du Parlement. Désormais, le législateur est contraint de respecter les engagements internationaux auxquels la France est liée par sa seule volonté. Le rétablissement de la fonction législative du Parlement passe donc nécessairement par une présence marquée dès le stade de la préparation des actes communautaires. Le domaine de la protection des libertés n'est pas le seul domaine d'intervention des juges.
Pour s'en tenir aux juges ordinaires et à une courte évocation, la Cour de cassation a défini par exemple, à plusieurs reprises, les contours du régime de responsabilité pénale des ministres et du chef de l'Etat. Le Conseil d'Etat, pour sa part, a contribué à la présidentialisation du régime en validant l'appropriation par le Président de la République de compétences réglementaires remises normalement au Premier ministre. Mais l'action des juges n'est pas toujours exempte de critiques sévères.
Une VIe République, pour quoi faire?
Il y a une règle en matière constitutionnelle que chaque citoyen devrait connaître. Toute nouvelle Constitution n'est appliquée dans le sens voulu de ses initiateurs que le premier jour de sa promulgation. Dès le lendemain ses dispositions sont interprétées et celles-ci peuvent très fortement s'éloigner avec le temps des objectifs initiaux. Les IIIe et IVe Républiques ont été interprétées dans une direction sans réel rapport avec l'esprit qui a présidé à leur rédaction. Il faut s'en souvenir. Aussi vouloir une VIe République soulève de réelles interrogations. Tout d'abord quelle République, parlementaire ou présidentielle? Ensuite, quel intérêt de changer de régime dès lors que l'actuel assure la stabilité, but ultime de l'organisation des pouvoirs pour une protection maximale des libertés?
Certes, des corrections semblent indispensables. Certains mécanismes du parlementarisme rationalisé paraissent manifestement excessifs. Des insuffisances sont toujours criantes. Des anomalies majeures méritent d'être traitées au cœur comme l'égalité des chambres en matière de révision constitutionnelle, mais autant dire que, solide sur ses fondamentaux, soumise à des interprétations responsables, ayant fait preuve à plusieurs reprises de sa faculté à franchir les obstacles, à s'adapter aux attentes des citoyens de plus en plus soucieux de leurs droits et libertés, la Constitution de 1958 est encore promise à de longues années
Anniversaire de la Constitution: Hollande fête un texte qu'il ne parvient pas à réviser
Le HuffPost | Par Geoffroy Clavel
Publication: 03/10/2013 06h43 CEST | Mis à jour: 03/10/2013 12h42 CEST
CONSTITUTION - Un anniversaire en grande pompe pour un président au bord du coup de pompe. Pour marquer le 55e anniversaire de la Constitution, Jean-Louis Debré, qui n'est autre que le fils du rédacteur de la Loi fondamentale en 1958, a eu l'idée d'inviter près de 200 ministres, anciens ou encore en fonction, pour une cérémonie au Conseil constitutionnel ce jeudi 3 octobre.
Les anciens présidents et anciens chefs de gouvernement ont également été conviés, même si Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac n'ont pas répondu présent. François Hollande, si. Il a même prononcé un discours durant lequel il a annoncé un projet de loi d'ici à la fin de l'année pour mettre en oeuvre le référendum d'initiative populaire. Et il a surtout vanté ce texte fondateur de la Ve République. "La Constitution de 1958 a fait la preuve de sa solidité et de sa plasticité", a expliqué le chef de l'Etat. Elle a en effet été révisée 24 fois en un demi siècle mais toujours pas par l'actuel locataire de l'Elysée qui, en dépit de tous ses efforts, ne parvient pas à amender
Un texte rafistolé 24 fois, dont 14 sous Chirac
Rédigée par Michel Debré en l'espace de trois mois, la Constitution du 4 octobre 1958, avait été taillée sur mesure pour De Gaulle, instaurant un monarque républicain. Mais les six présidents suivants se sont coulés aisément dans ce costume institutionnel, y compris son plus vif opposant François Mitterrand qui y fut probablement le plus à l'aise.
Combattu par l'extrême gauche et les écologistes qui réclament un régime parlementaire et une VIe République, la Constitution de 1958 bénéficie toujours de solides partisans partout ailleurs, y compris au Parti socialiste ou au Front national. Gages de "stabilité" des institutions après les remous de la IVe République, les qualités et originalités du texte sont connues: le principal est le système hybride autorisant à la fois un pouvoir présidentiel fort (renforcé par l'instauration du quinquennat) et un régime d'assemblée en cas de cohabitation.