On a classé les films de Clint Eastwood, du nanar au chef-d’œuvre
Penchons-nous sur la filmographie hétéroclite de Clint Eastwood. Il y a du très bon. Mais aussi du très mauvais.
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Publié le 18 décembre 2023 à 20h15
Et si on revisitait l’œuvre passionnante de Clint Eastwood, depuis son passage derrière la caméra, en 1971, jusqu’à aujourd’hui ? L’acteur devenu cinéaste ayant aussi joué pour les autres, nous nous sommes limités aux seuls longs métrages de fiction qu’il a réalisés – soit trente-neuf en cinquante ans, belle régularité. Alors, quels sont les meilleurs films de Clint Eastwood ? Verdict, du plus raté au chef-d’œuvre absolu.
Clint Eastwood s’intéresse aux héros ordinaires de l’attentat manqué du Thalys en août 2015, trois d’entre eux jouant même leur propre rôle. Un film anecdotique, superficiel, et rendu encore plus lisse par l’interprétation de ces acteurs d’un jour. Le pire ? Les séquences de voyages touristiques à Berlin ou Venise, où les gars en goguette font des selfies à la chaîne…
Les Soviétiques ont inventé un avion mégasophistiqué, même qu’il fonctionne tout seul, relié au cerveau du pilote. Trop fort ! Les États-Unis envoient big Clint voler cette merveille. Une publicité géante – et gênante – pour l’aviation US autant que pour la « grandeur de l’Amérique » à la mode Reagan… La dernière heure ressemble à un jeu vidéo, façon simulateur de vol, où l’on attendrait avec impatience le « game over ».
On voit bien ce qui a pu séduire Eastwood dans cette histoire de cow-boy rangé des rodéos qui retrouve un peu de sa dignité en allant récupérer à Mexico, et en toute illégalité, un adolescent pour le convoyer jusqu’au Texas. On comprend moins, en revanche, comment il a pu bâcler à ce point son affaire. Le plus embarrassant étant sa performance de vieux croulant encore vert, à la limite de l’autocaricature. Le rôle de trop ?
Un flic dur à cuire perd son équipier dans une fusillade. On lui en assigne un nouveau, fils de bonne famille un peu naïf… Le « buddy movie » ne sied guère à Clint Eastwood, vraiment pas inspiré. Même si on peut quand même retrouver son légendaire penchant masochiste.
Tueur à gages la nuit, professeur d’art à l’université le jour, Jonathan Hemlock est une machine à tuer efficace et insensible, rappelé par les services secrets pour éliminer un mystérieux alpiniste boîteux. Malgré de belles séquences d’alpinisme, c’est un Clint Eastwood mou du genou, qui serre les mâchoires plus fort que jamais. Pour ne pas bâiller ?
Clint en toute petite forme. McCaleb, profiler, a le cœur qui flanche. Grâce à une greffe, il reprend du service et aide la sœur de sa « donneuse », assassinée, à retrouver le tueur. C’est bien d’honorer ses dettes, Clint, c’est bien d’honorer tes fans aussi.
Trois histoires d’outre-tombe qui finissent par se croiser, pour une une méditation sur la mort qui n’évite pas toujours le prêchi-prêcha pseudo-mystique. Ça commence comme un film-catastrophe à la Roland Emmerich (le tsunami en Asie du Sud-Est avec… Cécile de France !), c’est (un peu) mieux par la suite, notamment grâce à Matt Damon, mais ça ressemble aussi, parfois, à du mauvais Lelouch…
Drôle d’objet, belliciste et patriotique dessus, fragile et moqueur dessous. En se donnant le rôle d’un sergent instructeur hurleur, maso et grossier, Clint nous rassure : tout ça est au second degré. Le souci est que, lors de la sortie du film en pleine ère Reagan, beaucoup de spectateurs l’ont pris au premier…
À travers un miroir sans tain, Luther, en plein cambriolage, est le témoin impuissant d’un meurtre qui met en cause le président des États-Unis. La scène en question est formidable, le thriller pseudo-hitchcockien qui suit, beaucoup moins. Eastwood y défend des idées grosso modo républicaines en politique et classiques côté mise en scène.
Los Angeles, 1928. Une mère dont le garçonnet a disparu se laisse convaincre par la police de reconnaître un enfant qui n’est pas le sien… Composite, sinon bancal (Eastwood loupe complètement la scène clé de son récit), le film reste intéressant pour ses zones d’ombre et pour son interprète inattendue, Angelina Jolie, qui exprime une vulnérabilité de plus en plus émouvante.
Un condamné à mort, un journaliste usé et porté sur le bourbon pour le sauver. Intrigue pas neuve, suspense nonchalant et course contre la montre finale sans originalité. Quel intérêt trouver alors à ce petit thriller ? Justement, qu’Eastwood prenne élégamment son temps.
Quatre astronautes à la retraite rempilent pour dépanner un Spoutnik en perdition, dont eux seuls ont gardé la notice. Clint signe une agréable quoique mineure « étoffe des rétros ». Et, accessoirement, le film le plus amusant de sa carrière.
1995 : Coupe du monde de rugby en Afrique du Sud. Mandela mise sur une victoire de l’équipe nationale et exhorte son peuple à y croire. Eastwood et son interprète Morgan Freeman sont habités par leur sujet dans ce récit enfiévré autour de la naissance symbolique d’une nation. Mais les reconstitutions des matchs ont de quoi faire hurler les fans de ballon ovale. Eh Clint, c’est du rugby, pas du foot américain !
Années 1960. Des gars du New Jersey, dont certains fraient avec la Mafia, montent un groupe vocal. Autour de l’histoire vraie des Four Seasons, Eastwood raconte par petites touches fines le destin singulier de musiciens rattrapés par leur passé. Mineur mais plaisant.
Accueilli comme un sauveur dans une petite ville du Far West, un justicier se met à bafouer les traditions et à inquiéter les habitants. Le premier western réalisé par Clint Eastwood, façon spaghetti, avec trognes patibulaires et cigares mâchouillés à la manière de son premier mentor, Sergio Leone. Un exercice de style qui vire au fantastique baroque. Inégal mais surprenant.
Tireur d’élite américain, Chris Kyle est rentré d’Irak en héros traumatisé. Le portrait qu’en donne Clint Eastwood a divisé : une biographie percutante doublée d’un sombre bilan de la guerre au Moyen-Orient, ou une propagande patriotique bas du front ? Suivant les scènes, on hésite...
Icône de l’Ouest perdu, cow-boy silencieux, minéral, à la fois héros et chimère, Clint traverse avec une classe irréelle cette épure de western, pleine de brutalité et de mélancolie. Mais, en matière de westerns, Eastwood a fait beaucoup mieux avant (Josey Wales hors-la-loi) comme après (Impitoyable).
Les mystères de J. Edgar Hoover, patron démoniaque du FBI pendant quarante-huit ans, à la vie privée mystérieuse – son beau bras droit fut-il le seul amour de sa vie ? J. Edgar avait divisé la rédaction de Télérama à sa sortie: il faut dire que ce grand film ténébreux flirte parfois avec le biopic empesé.
Ce thriller jazzy est un condensé du cinéma d’Eastwood. En se distribuant dans un personnage de disc-jockey harcelé par une auditrice fan d’Erroll Garner, l’acteur devenu cinéaste entame sa cure maso. Premier film réussi comme réalisateur, premier coup de pioche dans le mythe.
Un brave type, agent de sécurité qui a découvert une bombe lors des jeux Olympiques d’Atlanta de 1996, devient un héros… avant d’être suspecté d’avoir posé l’engin explosif. Eastwood décortique la terrible injustice médiatico-judiciaire dont a été victime Richard Jewell avec sa rigueur et sa sobriété coutumières – ce qui n’exclut pas l’émotion. Du travail de pro.
En manque d’argent et en froid avec sa famille, un vieil horticulteur se fait passeur de drogue pour un cartel mexicain. Entre sourire et émotion, le cinéaste vétéran parvient encore à surprendre en dessinant le portrait sensible d’un homme qui fait tout pour se racheter au soir de sa vie. Particulièrement touchant.
Démythification de la célèbre photo des marines plantant le drapeau sur l’île d’Iwo Jima en 1945, et hommage lucide et lyrique aux soldats qu’elle représente. Le film le plus ambitieux d’Eastwood est parfois victime de sa grande richesse thématique (des personnages tout juste esquissés) et de sa construction en flash-back inutilement complexe.
Clint Eastwood sonde avec empathie le destin du pilote qui a amerri sur l’Hudson sans faire de victimes en 2009. Un biopic vibrant, avec un Tom Hanks excellent. Le plus réussi des films d’Eastwood consacrés aux héros américains ordinaires.
Une très bonne série B, nerveuse et sèche, où Clint Eastwood malmène avec bonheur son image de flingueur violent : le masochisme de son personnage de flic chargé d’escorter une prostituée est justement pointé du doigt. Un polar faussement viril, et haletant.
Beau biopic du saxophoniste Charlie Parker, dans le New York des années 1950. Ce n’est pas une hagiographie, mais un portrait intimiste, balayé par des fulgurances qui rendent la musique inoubliable – même si les puristes du jazz ont pu faire la fine bouche. Forest Whitaker y est éblouissant.
Dans ce film d’aventures inspiré du tournage mouvementé d’African Queen, Clint Eastwood s’est fait la dégaine de John Huston pour incarner un metteur en scène plus passionné par la chasse en brousse que par son film. Superbe portrait d’un homme perdu en lui-même, hanté par l’échec et la mort.
Un vétéran raciste intervient dans la guerre des gangs dont sont victimes ses voisins asiatiques… Un film testament d’Eastwood, alors âgé de 78 ans, mais très vivant. Qui mêle comédie grinçante, thriller en prise sur l’Amérique et réflexion morale.
Kelso, journaliste yankee, débarque à Savannah. Lors d’une réception, Williams, notable antiquaire, tue son gigolo. Légitime défense ? Peu importe, nous dit Eastwood avec ce film adapté du génial livre-reportage de John Berendt, qui nous entraîne dans une valse lente, sous influence vaudoue. Un polar hypnotique.
Un crime commis dans un quartier populaire de Boston ravive les plaies de trois amis d’enfance (le trio Sean Penn-Kevin Bacon-Tim Robbins). D’après Dennis Lehane, Eastwood signe un émouvant polar à la noirceur vénéneuse, qui rappelle les grands classiques hollywoodiens du genre. Et qui frôlerait la perfection sans le cabotinage insupportable de Sean Penn…
Quatrième épisode des aventures de l’inspecteur Harry, et le premier à être réalisé par Clint lui-même, impatient d’affronter son propre mythe, qu’il déconstruit avec brio. « Dirty Harry » défend cette fois une jeune femme, éliminant un à un les salauds qui l’ont violée. Efficace et brillant, avec une scène de nuit démente dans un parc d’attraction.
Un coach philosophe entraîne une boxeuse énergique (Hilary Swank). Sommet de classicisme (au meilleur sens du terme), le film repousse les limites du mélo pour exalter les valeurs chères à Eastwood : l’individualisme, le goût de l’épreuve et la réussite qui laisse un goût amer. Poignant.
Avec sa troupe de marginaux, le directeur d’un cirque « western » parcourt le pays pour chanter les louanges du rêve américain. Sans y croire lui-même… Dans un registre à la fois burlesque et sentimental qui rappelle Frank Capra et Preston Sturges, l’un des films les plus personnels et les plus sensibles, d’Eastwood.
À Los Angeles, le directeur d’une agence immobilière tombe amoureux de Breezy, une très jeune hippie attirée par sa cinquantaine séduisante. Le vieux routier William Holden et l’inconnue Kay Lenz sont parfaits. Un film délicat, méconnu, et au charme immense.
Boudé à sa sortie, c’est le film le plus fordien d’Eastwood – et l’un de ses plus beaux. Pendant la Grande Dépression, un chanteur de country vieillissant, tuberculeux et alcoolique, décroche enfin une audition à Nashville. Clint, sobre et fragile, chante vraiment, aux côtés de son fils Kyle. Ce n’en est que plus touchant.
Magnum ou colt au poing, les héros eastwoodiens sont souvent des hors-la-loi, par nécessité bien plus que par choix. La croisade du fermier Josey devenu soldat pour venger sa famille avant de fonder une communauté de marginaux prend des allures de seconde naissance. Un très grand western, admiré par Orson Welles.
Dans ce contrechamp à Mémoires de nos pères, Eastwood reconstitue la bataille d’Iwo Jima du point de vue des assiégés japonais. Un requiem élégiaque (même si, à Télérama, certains l’ont trouvé académique), d’autant plus bouleversant que le scénario donne à tous les personnages une profondeur psychologique peu commune pour un film de guerre.
La cavale d’un évadé de prison (Kevin Costner dans son meilleur rôle) avec son otage, un enfant de 8 ans. Dans ce road-movie initiatique, un hors-la-loi réapprend l’humanité et un môme rencontre un père. Eastwood, apaisé et émouvant, est au sommet de son art. Kleenex indispensables.
Brève rencontre entre un photographe bourlingueur (Clint lui-même) et une quadragénaire esseulée (Meryl Streep) dans les plaines de l’Iowa… Qui l’eût cru, Clint Eastwood se révèle un roi du mélo et un expert de l’âme féminine. Qui peut, comme lui, filmer des amants déchirés qui pleurent sous la pluie et le faire sans une once de niaiserie ?
Munny est un vieux tueur à gages qui remonte en selle une dernière fois pour venger une prostituée tailladée. Dédié à ses mentors Don Siegel et Sergio Leone, servi par l’admirable photographie crépusculaire de Jack Green, Impitoyable clôt la légende de l’Ouest par une réflexion magistrale sur la violence et la loi. Un chef-d’œuvre indémodable.