vendredi 3 février 2023

DRAPEAU DE LA MARTINIQUE


Martinique: le drapeau de la discorde


Serge Letchimy : « Ce drapeau, cet hymne sont des actes politiques majeurs que nous léguons désormais à la postérité »

FA

Serge Letchimy a lu un discours évoquant "la fin du sentiment d'infériorité des Martiniquais".
Serge Letchimy a lu un discours évoquant "la fin du sentiment d'infériorité des Martiniquais". • 

Au bout de deux heures de débats, les élus de l'Assemblée de Martinique ont adopté en plénière, jeudi 2 février, le drapeau rouge, vert et noir " historique ". La bannière " au triangle " a recueilli une écrasante majorité des suffrages : 45 voix pour, 0 contre, et une abstention dans l'hémicycle de la Collectivité territoriale. Serge Letchimy a salué, à l'issue du vote, un " acte collectif majeur ". Voici l'intégralité de son intervention.

"Mes chers collègues, 

Par cet acte collectif majeur,

Par votre vote,

Par ce choix libre de l'assemblée de Martinique,

Nous venons de distinguer notre époque et de marquer notre Histoire ! 

Ce jeudi 2 février 2023 nous vivons un moment historique de prise de conscience, de dépassement et d'unité du peuple martiniquais. 

En vérité, ce drapeau, cet hymne, ces symboles, sont des actes politiques majeurs que nous léguons désormais à la postérité. 

Que signifie ce que nous venons de faire ? 

Nous avons rappelé des siècles d'attentats, d'injustices, de souffrances, et de crimes dont une grande partie de notre population porte encore les traces. 

Nous avons honoré des siècles de luttes et de résistances menées par nos ancêtres pour que la liberté, la dignité et le respect des droits humains ne soient pas des calebasses vides. 

Nous nous sommes inclinés au-dessus du sang qui a coulé. 

Nous avons salué les héroïsmes et le courage de nombreuses générations d'hommes et de femmes qui ont fait ce que nous sommes, et qui aujourd'hui nous remplissent d'un sentiment très fort que rien ne pourra nous enlever : nous sommes un peuple avec une histoire, une culture et une identité. 

 

 

"La continuité historique de notre peuple et de sa conscience"

Mais avec ces deux gestes symboliques nous avons ensemble et sans exclusion de quiconque, quelle que soit sa couleur de peau ou son origine, signifié au monde :

La fin d'une époque ! 

La fin du sentiment d'infériorité.

La fin de la passivité.

La fin de l'asservissement mental, moral, inculqué au plus profond de notre conscience.

La fin d'un sentiment d'impuissance qui ne mène qu'à la violence et au ressentiment stérile. 

Ces symboles sont aussi la force d'imaginer un autre monde, sans asservissement, sans domination, sans exploitation : un monde de solidarité, d'échange et de respects mutuels, dans une république unie qui respecte les différences. 

Ces symboles rappellent aussi sans ambiguïté, la continuité historique de notre peuple et de sa conscience ; affirme notre droit, et même notre devoir, d'en assurer le devenir sans nationalisme archaïque, sans esprit communautariste, sans violence, sans racisme, sans haine envers quiconque, sans exclusion de ceux qui ont fait le choix de partager le destin de Notre pays. 

Ces symboles expriment encore notre ouverture fraternelle au monde dans le respect de la nature et du vivant. 

Aux côtés des drapeaux de la République française (bleu, blanc, rouge) ; de l'Europe (des 12 étoiles de la paix) ; de l'OECO (qui nous rappelle le vert et le jaune de notre maison commune, la Caraïbe) ; de l'AEC (dont le bleu nous rappelle nos racines ancestrales amérindiennes) flottera désormais une dignité reconquise, une fraternité universelle portée dans la sérénité, et qui s'engage à respecter toutes les différences. 

 

  "Notre drapeau et notre hymne chanteront dans tous les alizés, une détermination"

Je formule le vœu que ces symboles que nous nous sommes donnés, garantissent à tous la force de bannir toutes les hiérarchies de race, de culture, ou de civilisation ; qu'ils nous assurent que la seule richesse qui vaille c'est celle d'une humanité qui se respecte et qui respecte le vivant. 

Notre drapeau et notre hymne chanteront dans tous les alizés, une détermination. Celle d'un peuple, d'un peuple exerçant pleinement sa dignité de penser, d'initier, de créer, d'inventer, de bâtir sans aucune limite à ses capacités. 

Ils chanteront, sans exactions et sans violences, notre volonté d'aborder le futur sans complexe, avec fierté, avec audace, avec l'esprit de création. 

Ils chanteront à la face du monde, de l'Europe, de la France, notre appartenance aussi à cette géographie cordiale que sont la Caraïbe et les Amériques, et notre volonté de nous y construire sans renoncer aux soli- darités que nous ont offertes nos histoires partagées, nos espérances conquises, nos combats fondateurs. 

Notre drapeau flottera au-dessus de notre cheminement vers l'émancipation, la responsabilisation et le progrès, à partir des ressources instituantes que sont notre culture, nos patrimoines et notre identité. 

 

 

Il flottera au-dessus d'une solidarité pleine, saine et féconde, entre l'Europe, la France et la Martinique ; il rappellera, à qui voudra l'oublier, que l'égalité n'est pas l'ennemi du droit à la différence ; que si l'égalité s'inscrit dans les droits universels de l'humaine condition, la différence est le signe d'une richesse construc- tive et la base de la créativité utile à l'épanouissement d'une société et à ses rapports aux autres. 

C'est dans ce sens que ce symbole est pour nous un refus de la passivité, du pathétisme inculqué, du dolorisme, de l'autoflagellation, voire de l'auto-aliénation que nous nous infligeons au quotidien.

Il est l'étendard de valeurs de dignité, de principes et de luttes où se fera notre destin. 

Une fois qu'il sera hissé au-dessus de nous, nul ne saurait plus désormais accepter que les singularités soient gommées,

que la diversité soit bafouée, 

que les capacités d'initiatives soient contrôlées

que notre force de création soit limitée,

que notre puissance écologique, géostratégique et maritime soient ignorées et que nos valeurs instituantes du respect et de la dignité soient abîmées. 

Il ne s'agit en aucune manière d'un acte d'indépendance, d'autonomie, ou d'un abandon stérile à du séparatisme. Il s'agit au contraire d'associer, de relier, de rassembler, de mettre ensemble des ferveurs nouvelles pour permettre à notre jeunesse de mieux regarder demain. 

Il s'agit de conquérir une plus large fraternité.

Il s'agit d'ouvrir une nouvelle page pour notre pays. 

Voilà le paysage que nous avons décidé aujourd'hui.

Il n'y a rien de facile là-dedans.

L'obscurantisme nous guette, la régression nous fixe.

Il nous faudra avancer pas à pas, et tenir gagné chaque pas. Il y aura sans doute des sacrifices à endurer. 

Je suis prêt à les assumer tous, car ma conviction la plus profonde est celle-ci : ce que nous avons commencé à faire aujourd'hui est notre mission la plus exacte, et c'est notre devoir le plus impératif. 

Je livre mon sacrifice à la postérité. Je vous remercie. Chers collègues, sœurs et frères martiniquais, je suis fier. Très fier de notre Martinique !"


 Le drapeau officiel à la croix-blanche et bleue, est orné de quatre serpents fer de lance, qui sert de symbole à cette île des Caraïbes depuis le XVIIe siècle.




Ce drapeau est le  témoin du passé esclavagiste de la France en Martinique (il était notamment arboré sur les navires négriers).

Cédant aux demandes du Mouvement international des réparations et du Conseil représentatif des associations noires (Cran) de France, qui avait déposé plainte contre la présence de ce symbole « raciste » au sein de la République, dans un souci d’apaisement, le président Emmanuel Macron avait consenti à faire retirer l’écusson martiniquais controversé des uniformes des gendarmes représentant l’État dans ce département d’Outre-mer. 

Pour les mouvements indépendantistes, seul le drapeau tricolore rouge (la vie et à la liberté) – vert (nature) – noir (« qui rend hommage à tous ceux qui ont été bafoués») doit être arboré en Martinique. 


Le drapeau retenu D.R.


Inventé par Victor Lessort, un militant de l’Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique (OJAM), il a fait son apparition en 1962 et est régulièrement mis en avant lors de manifestations anti-gouvernementales ou lors de grèves. Quand il n’est pas hissé en guise de provocations sur le fronton des mairies (comme en 2019, à Fort de France) ! Le choix de ses couleurs est loin d’être anodin. Selon les indépendantistes, le drapeau trouverait son origine première dans les révoltes esclavagistes fomentées par les « neg’ marrons » contre les planteurs blancs Békés et reste une référence aux thèses panafricaines. Chantre de la négritude (un mouvement littéraire), le poète anticolonialiste Aimée Césaire avait eu droit à ce drapeau sur son cercueil en 2008, agité sans complexe par le Parti progressiste martiniquais (PPM) qu’il a fondé.


Le drapeau retenu D.R.

Le 28 juillet 2022, la CTM a ressorti son projet (l’année précédente, une tentative similaire avait été annulée par la justice administrative) et a appelé les Martiniquais à se prononcer sur le sujet et sur un nouvel hymne officiel. Exit l’actuel drapeau « colonialiste », plusieurs dérivés du fameux tricolore rouge-vert-noir ont été présentés aux habitants de l’île. Mais, encore une fois, les polémiques ont ressurgi. Notamment lorsqu’on a découvert que le vote virtuel permettait toutes les fraudes possibles. La plateforme choisie pour recueillir les votes a été vite suspendue, à peine 24 heures après sa mise en ligne, le 2 janvier 2023, afin d’être mieux sécurisée. 27 000 personnes ont participé au scrutin participatif (sur une population recensée de 360 000 personnes) et 73% d’entre-deux ont choisi le fameux drapeau indépendantiste auquel on a rajouté une silhouette de colibri noir. Mais la contestation continue. Selon les détracteurs, la créatrice du nouveau drapeau, Anaïs Delwaulle, aurait plagié un logo que l’on peut voir sur la banque d’images en ligne Shutterstock ! Cette accusation est fermement démentie par l’intéressée, qui s’en est longuement expliqué dans un droit de réponse publié dans la presse locale.



Victime de cyberharcèlement, la créatrice du drapeau au colibri se retire

Rédaction web
C'est donc ce drapeau, le n°891, qui sera soumis au vote des élus de l'Assemblée les 2 et 3 février prochains.
C'est donc ce drapeau, le n°891, qui sera soumis au vote des élus de l'Assemblée les 2 et 3 février prochains. • DR

La Collectivité Territoriale de Martinique annonce, ce lundi soir (23 janvier) prendre acte de la décision de la gagnante de la consultation populaire pour le « Drapeau de Martinique ». Dans un communiqué, Anaïs Delwaulle explique retirer sa proposition.

Anaïs Delwaulle, gagnante de la consultation populaire du vote pour le drapeau censé représenter la Martinique lors des compétitions sportives et culturelles, retire sa candidature. Elle l'annonce ce lundi dans un communiqué de presse, publié sur ses réseaux sociaux. 

Cette « Martiniquaise engagée et cheffe d'entreprise » assume son choix par « la violence de la controverse et des débats qui ont suivi le choix du drapeau au colibri ». Dans son communiqué, elle explique également être victime de cyberharcèlement et menace tous ceux qui continueront de poursuites pénales.

 

 

Peu après cette première communication, la Collectivité Territoriale de Martinique affirme à son tour « prendre acte » de ce choix, dont le président du conseil exécutif a été directement informé par des emails officiels.

 

La CTM condamne la « vague de haine »

« La CTM appelle au respect de ce choix définitif, apporte son soutien à la candidate et condamne avec force l'acharnement et la vague de haine dont elle a été victime ». Elle rappelle que le cyberharcèlement est un délit puni par la loi (jusqu'à 2 ans de prison et 30 000 euros d'amende).

 

 

« Face à cette situation et face au cri d'alerte de cette candidate, la CTM appelle au calme, au respect et surtout à l'unité ».

Elle soutient qu'un nouveau classement sera établi après ce désistement. C'est donc le drapeau n°891 (Ndlr : le drapeau RVN) qui prend désormais la première place.

Ce nouveau classement sera transmis à l'Assemblée de Martinique, qui délibérera « librement du choix final de l'hymne et du drapeau de la Martinique ».

Les élus de l'Assemblée de Martinique se prononceront les 2 et 3 février prochains « de manière définitive », soutient la CTM. 

 

 

Utilisateur-440748

 

C'est bien Anaïs. La prochaine fois, pensez à être moins naïve avant de faire plaisir et de prôner, juste pour Gagner, des idées et des couleurs derrière lesquelles sont louées les idées de Gauche et l'envie d'indépendance de la France .

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realite972

 

Heureusement que nous sommes encore dans une démocratie sous l'étandard fançais.
qu'en serait il dans une Martinique indépendante avec tous ces abrutits et brulés du cerveau qui nous travestissent notre histoire à leur fin .
Martiniquais soyez vigilant ne nous laissons pas entrainer dans la dérive que des mini goupuscules veulent nous y conduire

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dani972

 

Hum hum... Quand je vois les difficultés générées par le choix d'un simple drapeau "culturel" pour la Martinique, je m'interroge sur les capacités de la CTM à s'emparer de dossiers autrement plus importants pour l'avenir de la Martinique...




PLANÈTE CUNK

 Les allergiques au 32ᵉ degré ne tiendront pas dix minutes devant ce festival d’idioties. Même si, entre les lignes, on peut y déceler un propos sur la bêtise du monde et sur la façon dont l’homme a réussi à lentement s’autodétruire.

SÉRIE

“Planète Cunk”

Le créateur de Black Mirror confie à Philomena Cunk (Diane Morgan), journaliste à la bêtise abyssale, le soin de retracer l’histoire de l’humanité en cinq épisodes. De jeux de mots nullissimes en questions absurdes, un « mockumentaire » hilarant… au 32ᵉ degré.



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Netflix - BBC Two - Broke and Bo / Collection Prod DB

Le créateur de “Black Mirror” confie à Philomena Cunk (Diane Morgan), journaliste à la bêtise abyssale, le soin de retracer l’histoire de l’humanité en cinq épisodes. De jeux de mots nullissimes en questions absurdes, un “mockumentaire” hilarant… au 32ᵉ degré.

« Qu’est-ce qui a eu le plus d’impact sur l’histoire culturelle : la Renaissance ou Single Ladies de Beyoncé ? » La question, posée avec le plus grand sérieux à un spécialiste de ladite période historique, en dit long sur l’intelligence de Philomena Cunk (Diane Morgan). Cette reporter anglaise au regard vaguement bovin sillonne la planète pour retracer l’histoire de l’humanité. Des premiers humains aux réseaux sociaux, de Platon à Einstein, de la naissance du christianisme à la Seconde Guerre mondiale, elle passe d’un sujet majeur à l’autre, à grand renfort d’images d’archives et de témoignages d’universitaires et d’intellectuels tout ce qu’il y a de plus authentiques. Planète Cunk, diffusée par la BBC en septembre dernier, et désormais disponible sur Netflix, ressemble à un documentaire de la télévision publique britannique… sauf qu’il s’agit d’une vaste plaisanterie, un « mockumentaire » écrit par Charlie Brooker, le créateur de Black Mirror, chroniqueur et satiriste de métier.

“Descartes a écrit ‘je pense, donc je suis’, donc si je pense que je suis Eddie Murphy, je vais devenir Eddie Murphy ?”

Personnage récurrent d’une émission à sketchs présentée par Brooker sur BBC2 entre 2013 et 2016, Philomena Cunk est une figure familière aux Britanniques. Le public hexagonal aura besoin d’un temps d’adaptation avant de rire de la stupidité abyssale de cette cousine de Raphaël Mezrahi et Ali G (autre reporter idiot incarné par Sacha Baron Cohen). Planète Cunk empile les blagues et les jeux de mots nullissimes, mélangeant à vitesse grand V satire, grotesque, absurde… D’abord assommé par la logorrhée autosatisfaite de Cunk, on finit par rire… d’épuisement – « Descartes a écrit “je pense, donc je suis”, donc si je pense que je suis Eddie Murphy, je vais devenir Eddie Murphy ? » demande-t-elle à un philosophe –, puis grâce à des questions surréalistes – « En quoi l’assassinat de Lincoln l’a-t-il empêché de gouverner ? », « La Chine a une grande muraille, mais sait-on si elle a aussi un toit ? »

“‘Dum dum dum dum’ [début de la 5ᵉ Symphonie de Beethoven]… c’est nul, comme paroles !”

Les confrontations avec les spécialistes sont particulièrement gratinées. Tous attentifs et concentrés, les experts tentent valeureusement d’apporter des réponses sérieuses, réussissant même parfois à élaborer des théories complexes à partir des sorties idiotes de Cunk. Quand elle permet à ces interviews de s’étirer un peu, que le montage nerveux se détend, Planète Cunk devient hilarante. Par exemple, quand Cunk demande à un musicologue consterné ce que signifie « dum dum dum dum », au début de la 5ᵉ Symphonie de Beethoven – « c’est nul, comme paroles ! » – ou quand, après qu’un très martial spécialiste des conflits armés lui a expliqué que la bombe atomique représente toujours une menace, elle lui propose de parler plutôt de Dancing Queen, d’ABBA, un sujet nettement moins terrifiant – ce que le colosse fait de bon cœur.

Les allergiques au 32ᵉ degré ne tiendront pas dix minutes devant ce festival d’idioties. Même si, entre les lignes, on peut y déceler un propos sur la bêtise du monde et sur la façon dont l’homme a réussi à lentement s’autodétruire. En grand fan des Monty Python, Charlie Brooker inscrit Planète Cunk dans la lignée des sketchs géniaux de la bande formée par Cleese, Gilliam, Jones et compagnie… dans leur version volontairement privée de toute finesse.




 

Pourquoi Proust est-il le plus talentueux des procrastineurs ?


Longtemps Proust a repoussé le moment de se lancer dans la carrière littéraire qu’il avait réussi à imposer à ses parents circonspects. Mais, une fois son œuvre entamée, il sut mettre à profit cette attente pour écrire, très vite, un roman d’une ampleur inédite, qui changerait à la fois la littérature et la façon dont nous la considérons.




Une soirée au Pré Catelan, par Henri Gervex (1909).
MUSÉE CARNAVALET/CC0 PARI MUSÉEVoir n plein éc


En 1898, c’est en habitué et en voisin que Marcel Proust, 27 ans, fréquente le café Weber, rendez-vous d’artistes et d’écrivains : son appartement du boulevard Malesherbes se trouve à deux pas de la célèbre enseigne. Là-bas, on le reconnaît à sa moustache tombante, à son amabilité envers le personnel, à sa pâleur de noctambule, à son œil piquant partout des détails, toujours en mouvement… « Il demandait une grappe de raisins, un verre d’eau, et déclarait qu’il venait de se lever, qu’il avait la grippe, qu’il s’allait recoucher, que le bruit lui faisait mal, jetait autour de lui des regards inquiets, puis moqueurs, en fin de compte éclatait d’un rire enchanté et restait », témoignera Lucien Daudet dans ses Souvenirs.

Lui, écrivain ? Ses œuvres se résument pour l’instant à des articles de critique d’art parus dans La Revue blanche et à un recueil hétéroclite, Les Plaisirs et les Jours, qui n’a connu aucun succès. Certes, il parle le français comme personne : si vous avez l’heur de lui plaire, il vous entortillera dans des compliments immérités, mais si joliment tournés que vous éprouverez bien de la peine à vous en dépêtrer – ce que ses amis de jeunesse appelaient « proustifier ».

Si vous êtes un garçon jeune et beau, cette affection évoluera peut-être en relation assidue. Prenez garde : bientôt il voudra tout savoir de vous et exigera des pactes, des comptes rendus exhaustifs. Sachez aussi qu’avec lui les amitiés amoureuses excèdent rarement un an et demi. Souvent, il feint de courtiser madame pour mieux approcher monsieur. Il dispense des cadeaux sublimes et adaptés à leur destinataire mais goûte peu d’en recevoir. On le dit très doué, mais affligé d’une indécision qui le pousse à solliciter mille conseils pour n’en suivre aucun – ce tempérament craintif que sa mère appelle ses « timosités ». Et cet asthme qui l’étouffe depuis l’enfance et contrarie son goût des sorties…

Mille raisons d’y retourner

À 27 ans, Proust paraît voué à se disperser dans les mondanités ou à se dissoudre précocement dans sa maladie plutôt qu’à marquer à jamais la littérature. Comment deviner que ce grand procrastinateur saurait se coucher à temps pour écrire, depuis son lit, un roman en sept tomes qui unirait le meilleur de ses impressions et réflexions collectées au cours de sa vie dans une cathédrale de mots, pendant littéraire des cathédrales de pierre que John Ruskin, l’un de ses maîtres, aimait tant ? Comment imaginer que cette existence oisive, sinon oiseuse, trouverait une justification dans les pages ? Car il fallait avoir vécu comme Proust, qui a longtemps repoussé le moment de se lancer dans son immense roman, pour réussir celui-ci. Proust a commencé l’écriture de La Recherche vers 38 ans, mais il l’a préparée des années plus tôt

Marcel Proust est né le 10 juillet à Auteuil. Il est le fils de Jeanne Weil et d’Adrien Proust, professeur agrégé de médecine. | BRIDGEMAN IMAGES



Cent ans après sa mort, Proust nous divise. Pour ceux qui ne l’ont pas lu, À la recherche du temps perdu paraît une forteresse intimidante dont on n’ose entamer la visite ; alors on se tient coi et un peu honteux dans son ombre, pressentant comme une menace les changements qu’elle pourrait opérer sur notre être. Mais, pour ceux qui l’ont lu, c’est un océan – pour reprendre le titre de son admirateur Charles Dantzig – où on se plaît à retourner pour mille raisons : parce que l’œuvre est trop vaste pour nos mémoires, parce que Proust se montre souvent aussi drôle à l’écrit qu’à l’oral – une vie de mondanités lui a donné le don pour la comédie sociale, le sens de la réplique qui tue, et, puisqu’il est sensible, la capacité de saisir les douleurs souvent muettes des salons. Parce que Proust, féru de philosophie et d’esthétique, a semé son œuvre de réflexions où l’on peut s’engouffrer des heures – sur notre incapacité à analyser l’amour quand on est amoureux, sur le regard de l’artiste capable de repérer dans la réalité des vérités que lui seul peut voir… Et, bien sûr, parce que personne n’écrit comme lui.

C’est ce style – ou plutôt la réputation qu’on lui a faite – qui, aujourd’hui, retient bien des lecteurs de se lancer dans Proust : on le dit plein de beautés mais compliqué, tissé de phrases interminables… Certes, lire Proust en grammairien, c’est risquer une belle migraine et un beau contresens, qui vous fera dire que Proust écrivait mal puisque ses phrases ne retombent pas toujours sur leurs pieds…

Mais, si vous acceptez de lire La Recherche comme il l’a rédigée – rapidement, dans une lutte contre sa mauvaise santé, puis dans une course contre la mort –, de vous laisser emporter par les vagues de ses propositions et d’ouvrir les yeux grâce à ses métaphores, un autre monde vous attend. Celui-là n’est pas l’œuvre d’un dilettante irrésolu : Proust s’y est investi tout entier, y a tranché sans trembler de complexes questions esthétiques, a consacré bien du temps à en vérifier les détails, et a tiré la leçon des échecs de ses tentatives d’écriture précédentes.

À contre-courant des modes

Ce style est la traduction du rythme de sa pensée, mais ressort aussi de l’invention : Proust a étudié par l’imitation les auteurs qu’il admirait – Flaubert, Balzac et autres – afin de créer sa langue. Cela s’accorde avec son idée selon laquelle l’écrivain et l’être social ne sont pas tout à fait le même homme : Proust fut un mondain lancé, mais son œuvre s’inscrivait à contre-courant des modes – contre la littérature décadente, et pour un nouveau classicisme incarné par Racine, et par un Baudelaire que Proust avait su discerner par-delà les vapeurs de soufre. Par ses réflexions, Proust a changé à la fois la littérature, et le regard que nous portons sur ceux qui s’y sont consacrés avant lui. Il est le grand inventeur de la modernité littéraire, avec Céline, mais aussi l’initiateur d’une nouvelle façon de considérer les arts, la mémoire, le passage du temps…

Dans Contre Sainte-Beuve, Proust nous met garde contre l’analyse biographique : si « un livre est le produit d’un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices », interpréter l’œuvre à la seule lumière des événements d’une vie revient à méconnaître l’expérience de l’écriture – où une impression mémorable, expérimentée dans le secret de la sensibilité peut compter davantage qu’un fait biographique majeur. La biographie de Proust note l’importance de son petit frère – le docteur Robert Proust, qui s’illustra par sa bravoure lors de la Première Guerre mondiale.


Le narrateur de La Recherche paraît fils unique, non parce que Proust aurait voulu se venger en éludant son cadet avec lequel il s’entendait bien, mais parce que, ni mondain ni artiste, le docteur Robert Proust n’avait rien à faire dans le roman, nous dit son biographe Jean-Yves Tadié. À la biographie factuelle, Proust opposait une « biographie spirituelle », où il s’agit de recréer « la singulière vie spirituelle d’un écrivain hanté de réalités si spéciales ». C’est avec cette préoccupation au cœur que Jean-Yves Tadié a constitué sa remarquable biographie en deux tomes, parue aux éditions Folio. Celle-ci a servi de bible à la rédaction de cet article.

Cet article a été initialement publié dans Lire Magazine littéraire en décembre 2022. Retrouvez le numéro complet sur la boutique de Lire Magazine littéraire .

jeudi 2 février 2023

MÉDITATION

 




« Vieillissant, je ne me dis pas que les promenades en bord de mer seront de moins en moins nombreuses mais je me dis que les attaques de la nostalgie vont se faire de plus en plus fréquentes. Et c’est normal car j’ai plus de passé que d’avenir, donc dans l’équilibre de mon psychisme, il y a davantage de choses faites que de choses à faire. La tentation est grande de se laisser rattraper par le souvenir. Mais je veux encore me fabriquer des moments et non pas en revivre. Le jour où je vais disparaître, j’aurai été poli avec la vie car je l’aurai bien aimée et beaucoup respectée.

Je n’ai jamais considéré comme chose négligeable l’odeur des lilas, le bruit du vent dans les feuilles, le bruit du ressac sur le sable lorsque la mer est calme, le clapotis.

Tous ces moments que nous donne la nature, je les ai aimés, chéris, choyés. Je suis poli, voilà. Ils font partie de mes promenades et de mes étonnements heureux sans cesse renouvelés.

Le passé c’est bien, mais l’exaltation du présent, c’est une façon de se tenir, un devoir.

Dans notre civilisation, on maltraite le présent, on est sans cesse tendu vers ce que l’on voudrait avoir, on ne s’émerveille plus de ce que l’on a. On se plaint de ce que l’on voudrait avoir. Drôle de mentalité !

Se contenter, ce n’est pas péjoratif. Revenir au bonheur de ce que l’on a, c’est un savoir-vivre. »

▬ Dans son livre « Promenades en bord de mer et étonnements heureux » Olivier de Kersauson nous fait partager son amour de la vie....

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