Institutions

Premier jour à l’Assemblée: une rentrée plus ou moins classe

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La seizième législature s’est ouverte mardi au Palais-Bourbon. Comme attendu, Yaël Braun-Pivet est la première femme à être élue à sa tête. La gauche est arrivée groupée, la majorité doit gérer ses tiraillements, tandis que le doyen RN a inauguré cette première séance en évoquant l’Algérie française…
par Laure EquyCharlotte BelaïchRachid LaïrecheNicolas Massol et Tristan Berteloot
publié le 28 juin 2022 à 20h43

«Qu’il est long et sinueux, le chemin de l’égalité entre les hommes et les femmes», commence Yaël Braun-Pivet. Ce mardi, la députée (Renaissance) des Yvelines a franchi une haie en devenant la première femme élue à la présidence de l’Assemblée nationale. Après avoir une pensée pour quelques-uns de ses prédécesseurs, Richard Ferrand, le socialiste Claude Bartolone et le chiraquien Jean-Louis Debré, c’est à des femmes qu’elle rend hommage, notamment Simone Veil. Laquelle, à la même tribune, a fait voter la légalisation de l’avortement. Quatre jours après la terrifiante décision de la Cour suprême américaine contre l’IVG, Braun-Pivet appelle «collectivement à veiller à ce que ce droit le reste à jamais» en France. Au «perchoir», la présidente sait qu’il va falloir tenir la barre face à un hémicycle éclaté grossièrement en trois blocs, sans majorité absolue et face à des oppositions remontées. «Les Français nous enjoignent de travailler ensemble, de débattre plutôt que de nous battre», a-t-elle exhorté, espérant faire de l’Assemblée «une chance pour notre pays» : «Elle le sera je n’en doute pas si nous trouvons la voie du dialogue.»

Pour cause de majorité relative des macronistes, il a fallu un second tour pour permettre à Braun-Pivet d’accéder au rang de quatrième personnage de l’Etat. A l’issue du premier tour, l’un de ses adversaires, le RN, Sébastien Chenu, annonce qu’il se désiste. «C’est un message pour l’institution : nous ne voulons pas la bloquer par des manœuvres, notre souhait est que l’Assemblée soit une machine qui fonctionne au service des Français, avec sérénité», gazouille le député du Nord. Les lepénistes ont reçu la consigne de jouer aux parlementaires modèles. Et les bons élèves pointent du doigt les cancres insoumis qui ne seraient pas «républicains», dénonce Philippe Ballard, député de l’Oise. La preuve : «Les LFI ont refusé de me serrer la main, ça en dit long sur leur état d’esprit : on sent l’hostilité, ils ont envie d’en découdre», balance l’ex- journaliste télé.

«Les masques tombent le premier jour»

Ce qui n’a pas empêché l’extrême droite de renouer d’entrée de jeu avec son passé, en versant une larme sur l’Algérie française. Depuis le perchoir, José Gonzalez, député RN des Bouches-du-Rhône, 79 ans et doyen de l’hémicycle, inaugure la première séance. «J’ai laissé là-bas une partie de ma France et beaucoup d’amis, s’épanche le natif d’Oran, adhérent du FN depuis des lustres. Je suis un homme qui a vu son âme à jamais meurtrie.» Sa voix se brise d’émotion, une partie de la salle applaudit – pas seulement des lepénistes. Une autre – des élus de gauche et quelques LREM – se garde ostensiblement de le faire. A la tribune aux côtés des cinq autres benjamins députés, l’insoumis Louis Boyard reste mâchoire serrée et bras croisés.

L’hommage, auparavant relu par Marine Le Pen, reste en travers de la gorge de nombreux députés. «Horrible, commencer la législature par une référence à l’Algérie française, ça démarre très très mal. Les masques tombent le premier jour», dénonce le député LREM Roland Lescure. «Dès la première séance, on voit le vrai visage de l’extrême droite», s’indigne l’EE-LV Sandrine Rousseau. «Aucun député écologiste n’a applaudi, ça je peux vous le dire», certifie le président du groupe, Julien Bayou. «Attendez, évidemment on n’a pas applaudi ce qu’il disait, se défend une députée macroniste. Il avait des trémolos dans la voix, Il y a eu un blanc, on s’est regardés un peu gênés, on a applaudi pour lui dire : “Reprenez votre discours.”»

Descendu du perchoir, le doyen développe sans complexes. Festival : «Ce n’est pas moi qui vais sublimer l’action du général de Gaulle en Algérie», commence le député d’un parti qui se prétend désormais gaulliste. Il ajoute : «Je ne suis pas là pour juger pour savoir si l’OAS a commis des crimes ou pas, je ne savais même pas ce que c’était l’OAS», prétend celui qui a adhéré au FN de la fin des années 70, où les anciens du mouvement terroriste étaient légion.

Ingurgiter le trombinoscope

Plus tôt, première séance oblige, les députés avaient pris place dans l’hémicycle par ordre alphabétique. Se forment plusieurs «duos Nupes» (la socialiste Valérie Rabault et l’Insoumis Adrien Quatennens, l’écolo Sandrine Rousseau et le communiste Fabien Roussel) et des voisinages plus inattendus, comme la présidente du groupe Renaissance, Aurore Bergé, à côté du puncheur (LFI) Ugo Bernalicis, ou le RN Sébastien Chenu et l’Insoumise Sophia Chikirou. Au pied du perchoir, les huissiers tentent d’ingurgiter le trombinoscope en saluant les parlementaires, qui montent à la tribune glisser leur bulletin dans l’urne.

Des allées aux jardins du Palais-Bourbon, les nouveaux élus cherchent leur chemin, un bureau à occuper, un collaborateur à recruter. Bertrand Pancher, lui, court en quête de renforts. Les différents groupes ont jusqu’à 18 heures pour déposer leurs effectifs et leur statut. Un groupe c’est la condition pour disposer de moyens, d’un temps de parole conséquent et de postes à responsabilités. Pancher rassemble sous la bannière «Libertés, indépendance, outre-mer et territoires», qui s’inscrit dans l’opposition, des députés (ultramarins, corses, anciens de l’UDI, etc.). Ils sont quinze – le minimum – à constituer ce dixième groupe, coincé entre les quatre de la Nupes (communiste, LFI, socialistes, écologistes), les trois de la majorité (Renaissance, Modem, Horizons), LR et le RN. Dans le week-end, Pancher et les siens se sont fâchés avec le radical de gauche Olivier Falorni et l’ex-socialiste David Habib, qui font bande à part. Avec quatre autres élus, de centre gauche et sans groupe fixe, ni Nupes ni macronistes, ils annoncent la constitution d’un «pôle divers gauche». «Chaque fois nous nous prononcerons en fonction de la qualité des textes», prévient Habib. Six voix, ce n’est pas lourd, mais c’est toujours ça de pris pour un gouvernement qui devra aller chercher des majorités avec les dents.

«Un tien vaut mieux que deux tu l’auras»

Outre des députés à amadouer hors de leurs rangs, les macronistes ont aussi des tiraillements internes à gérer. Leurs alliés du Modem et sa quarantaine d’élus, à qui le groupe Renaissance a accordé la présidence de la commission des Affaires étrangères et une vice-présidence de l’Assemblée, s’estiment mal servis. «On a trois ou quatre élus de plus que sous le précédent mandat alors que LREM en perd 114», souligne, cruel, Bruno Milienne. Le député Modem convoite la présidence de la commission du Développement durable, où un LREM est en course, et a adressé une lettre de motivation à ses collègues marcheurs : «la question est qui saura tenir la commission car en face de nous ce sera un joyeux bordel.» Un appétit centriste qui agace à LREM, où l’on a bien d’autres soucis : «Dans l’adversité, on pourrait se serrer les coudes au lieu de se tirer dans les pattes.» Les philippistes d’Horizons, qui compte une vingtaine d’élus de moins que le Modem et obtiennent autant de postes clés, ont beau jeu de se montrer philosophes. «Un tien vaut mieux que deux tu l’auras», devise leur président de groupe, Laurent Marcangeli.

Les voilà ! Ils arrivent ! En bas des marches qui mènent à la salle des Quatre-Colonnes, la presse se tient prête à nasser la marée humaine que forment les députés de la Nupes. Tout avait été organisé pour que la gauche unie semble déferler sur l’Assemblée pour cette première séance. Pour la Nupes, l’élection à la présidence du Palais-Bourbon ne représentait aucun enjeu puisqu’ils n’avaient aucune chance. C’est le nom du candidat à la tête de la commission des Finances, qui doit être désigné jeudi, qui occupe tous les esprits.

Comme s’ils avaient répété pour se donner la réplique, Boris Vallaud, le président du groupe PS, commence : «Nous avons un candidat commun…» «Ce sera Eric Coquerel», complète Mathilde Panot, son homologue insoumise. L’annonce faite, les 150 députés s’entassent comme ils peuvent pour leur photo de classe. «Les grands derrière», s’exclame l’écolo Sandra Regol. Hors du cadre, comme il en a l’habitude, Fabien Roussel se justifie : «Je n’ai pas fait exprès, il y avait trop de monde et il y a des choses un peu plus sérieuses qu’une photo.» Ce cliché comptait pourtant beaucoup pour la Nupes, qui ne rate jamais une occasion de montrer que l’alliance des gauches est solide. Un député insoumis prend un air très sérieux pour dire : «Nous avons réussi dans le plus grand calme à se mettre d’accord sur différents postes clés à l’Assemblée. A chaque fois on nous promet des disputes et des divisions mais on passe les étapes tranquillement les unes après les autres.»

«Tous ces exilés fiscaux mériteraient qu’on aille y jeter un œil»

Les chefs de la Nupes se sont retrouvés en début de matinée pour mettre un nom sur chaque poste. La délégation socialiste est arrivée avec une mission impossible : placer la députée Valérie Rabault à la tête de la commission des Finances. Le président de groupe des roses, Boris Vallaud, a tenté quelques arguments mais les insoumis ont mis en avant le rapport de force – le groupe dirigé par Mathilde Panot compte près de la moitié des 150 députés de la Nupes. Le député de Seine-Saint-Denis Eric Coquerel sera donc le candidat et Valérie Rabault devrait être vice-présidente du Palais-Bourbon. Le député communiste Sébastien Jumel passe une tête dans les jardins de l’Assemblée. Il se grille une clope. Il réfléchit aux différentes stratégies pour contrer le RN dans l’hémicycle, mais aussi aux propositions à faire sur la question du pouvoir d’achat. Et La Nupes ? Il marque une petite pause. Et : «Elle tiendra, on restera ensemble. Ce n’est pas un choix de notre part mais c’est parce que les électeurs veulent ça.»

Salle des Quatre-Colonnes, l’insoumis Louis Boyard et le RN Jean-Philippe Tanguy se retrouvent dos à dos, entourés de deux nuées concurrentes de caméras. Chacun dans son style. Emporté par l’enthousiasme, le premier, en chemise et main dans les poches, monte le niveau sonore et alpague les journalistes : «Tous ces exilés fiscaux mériteraient qu’on aille y jeter un œil, et Eric Coquerel fera ça parfaitement.» Voilà ce qui fait frémir les députés macronistes… Feutré, calme, baissant la voix pour faire assaut de termes mesurés, le candidat d’extrême droite à la présidence de la commission des Finances parle de «l’esprit du règlement» et des «droits de l’opposition qu’il faut respecter»«Le but d’Eric Coquerel est de faire de cette présidence une arme politique et d’obstruction, le risque est que les débats ne soient pas sereins», disserte le député de la Somme, cheveux pommadés et chaussures luisantes. Sans un renfort des voix LR et alors que la majorité, comme c’est l’usage, ne prendra pas part au vote, le candidat RN n’a aucune chance de l’emporter.

Les députés LREM ont d’autres questionnements. L’un d’eux, réélu dans le Sud, doit oublier la chemise à fleurs et revient en veste et cravaté : «Bah oui il faut dans l’hémicycle, mais je fais “député Playmobil” comme ça, soupire-t-il. Après, je remettrai les fleurs !» Des fleurs, la députée écolo Marie-Charlotte Garin en arbore fièrement. Pour sa première séance, l’ancienne députée Cécile Duflot lui a prêté la robe qui lui avait valu des sifflements dans l’hémicycle le 17 juillet 2012, il y a presque 10 ans. «Cette robe montre que les violences sexistes et sexuelles ne s’arrêtent pas aux portes de l’hémicycle. Et que ça va être de notre responsabilité et notre combat, aux élus féministes, de défendre un hémicycle respectueux de tous», répète-t-elle aux micros tendus. Mercredi, les députés doivent s’accorder sur la répartition des postes clés (vice-présidents, questeurs, etc.) du Palais-Bourbon.