Covid-19 : face au risque de rejet, Macron refuse d’imposer des mesures trop contraignantes

L’exécutif a écarté le scénario d’un nouveau confinement généralisé et adapte sa stratégie pour « vivre avec le virus ». Le président réclame des délais moins longs pour les résultats des tests.

Par  et  Publié aujourd’hui à 05h26, mis à jour à 14h57

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Sur les quais de Seine, à Paris, le 14 septembre.

Emmanuel Macron a-t-il amorcé un virage dans sa stratégie de lutte contre le Covid-19 ? Vendredi 11 septembre, dans le huis clos du conseil de défense sanitaire, le chef de l’Etat a en tout cas adopté une attitude différente de celle du printemps : il s’est refusé à imposer des mesures contraignantes pour la population, malgré la recrudescence de l’épidémie. « On ne va pas faire payer à l’ensemble des Français le fait qu’on n’est pas bons sur les tests ! », a-t-il lancé. Si l’exécutif se vante d’avoir dépassé le million de tests par semaine, les délais d’attente pour les résultats, reconnaît-on au sommet de l’Etat, restent « trop longs ».

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En face de lui, le ministre de la santé, Olivier Véran, et le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, venaient de plaider en faveur d’une fermeture des bars et des restaurants à Bordeaux et à Marseille, où l’évolution des contaminations est jugée « préoccupante ». Une proposition rejetée par le locataire de l’Elysée, soucieux de l’acceptabilité sociale de ces mesures, mais aussi d’en partager la responsabilité avec les élus locaux.

« Macron est convaincu qu’il faut laisser les gens vivre, tout en protégeant les personnes fragiles. Il a viré sa cuti », décrypte un familier de la Macronie. « La cohérence de la politique gouvernementale, elle est simple : elle s’appelle vivre avec le virus », a affirmé, pour sa part, le premier ministre, Jean Castex, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, mardi 15 septembre.

« Quatre piliers »

Aux yeux de beaucoup, les objectifs du pouvoir ne seraient pourtant pas si limpides. « La stratégie française n’est toujours pas clairement définie », a ainsi souligné l’ancien directeur général de la santé William Dab, dans Le Journal du dimanche : « Veut-on éradiquer l’épidémie ou simplement la contrôler ? Ne protéger que les personnes fragiles ou se concentrer sur les clusters ? »

Le gouvernement, répètent ministres et conseillers, n’a pas choisi d’appliquer la méthode suédoise, consistant à laisser circuler le virus et à restreindre au minimum la vie sociale pour atteindre une hypothétique immunité collective. Mais il s’estime en mesure, selon un conseiller de l’exécutif, de « maîtriser pour l’instant le virus »« Nous en sommes au même point qu’en février, avant qu’il n’y ait le cluster de Mulhouse [Haut-Rhin] », ajoute cette source.

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Le ministère de la santé reconnaît naviguer à vue « face à une maladie très évolutive ». Pour se laisser la possibilité d’adapter le dispositif, le gouvernement a d’ailleurs décidé de rallonger de six mois l’état d’urgence sanitaire, qui devait prendre fin le 30 octobre. Un projet de loi prolongeant jusqu’au 31 mars la possibilité de restreindre rassemblements et déplacements devait être présenté, mercredi, en conseil des ministres.

Dans l’intervalle, Emmanuel Macron cherche à concilier la reprise de la vie économique et sociale, tout en contrôlant l’épidémie. « La question n’est pas binaire, ce n’est pas santé contre économie », plaide-t-on à l’Elysée, où l’on résume la stratégie autour de « quatre piliers » : prévention, protection des personnes sensibles, tests à grande échelle et adaptation des mesures à la réalité locale.

Des mesures prises au niveau local

« Les mesures de restriction, on en connaît l’efficacité sur le plan sanitaire mais aussi les effets secondaires sur le moral de la population ou l’économie, ajoute-t-on à Matignon. Or, les restrictions à outrance tuent aussi ! La pauvreté tue aussi. La solitude également, quand on décide de fermer des Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes]. »

Alors que le président du conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, avait pressé le pouvoir de prendre des « décisions difficiles », il n’est pas question de revenir à une « logique de confinement généralisé », a répété Jean Castex, vendredi, lors d’une allocution depuis l’hôtel de Matignon. Très critiqué depuis quelques semaines pour ses sorties médiatiques, assimilées à des coups de pression envers l’exécutif, M. Delfraissy a manifesté une pointe d’agacement lors d’une audition devant le Sénat, mardi, rappelant que le conseil « avait souhaité disparaître et s’arrêter le 9 juillet », mais que le Parlement en avait décidé autrement.

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Emmanuel Macron a beau avoir consulté cette instance avant le conseil de défense sanitaire, vendredi, le gouvernement assume de ne plus suivre ses recommandations les yeux fermés. « Ce n’est pas un gouvernement sanitaire mais politique », tranche un conseiller.

Face à la « dégradation manifeste » de l’épidémie, Jean Castex privilégie des mesures prises au niveau local, selon la situation de chaque département. Un tour de vis circonscrit pour l’instant à Marseille, Bordeaux et à la Guadeloupe. « Est-ce que c’est moi qui, depuis Paris, vais décider de la fermeture d’une classe dans le Calvados ? Ou en Eure-et-Loir ? Il y a des protocoles, et leur application est locale », a souligné le premier ministre, mardi, tout en rappelant que l’Etat n’est pas absent puisqu’il dispose de relais locaux à travers les préfets.

« Eviter une surenchère de restriction de libertés »

« Je remarque une reprise en main [du ministère] de l’intérieur par rapport à [celui de] la santé. Ce n’est plus la santé qui a la main, mais les préfets et les élus », a observé, mardi, sur France Inter, Mathias Wargon, chef des urgences de l’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

Au-delà de l’enjeu économique, le souci de l’acceptabilité sociale guide les choix impulsés par Emmanuel Macron. « Même si réduire la circulation du virus est une priorité, le président veut à tout prix éviter une surenchère de restriction de libertés, qu’une partie de la population ne pourrait pas accepter », explique le député européen et ex-conseiller élyséen Stéphane Séjourné. « Je note toujours qu’il y a des antimasque, des antivaccins. Covid ou pas Covid, la France reste la France », a souligné, pour sa part, Jean Castex, mardi, à l’Assemblée nationale.

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« Après la période du confinement, l’opinion publique est fatiguée et inquiète, observe le directeur général adjoint de l’institut de sondage IFOP, Frédéric Dabi. Dans ce climat éruptif et insaisissable, le gouvernement veille à ce que la Cocotte-Minute n’explose pas. » En espérant que la pression de l’épidémie ne finisse pas par lui faire perdre le contrôle.

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