Entrée de la cour 1 de la prison, dans la petite forteresse de Theresienstadt
Le 10 juin 1940, la Gestapo prend le contrôle de Theresienstadt et installe une prison dans la Kleine Festung (petite forteresse). Le 24 novembre 1941, le site est transformé en ghetto muré, ayant pour objet de fournir une façade cachant l'opération d'extermination des Juifs, sous l'impulsion du chef des SS, Reinhard Heydrich. Pour le monde extérieur, Theresienstadt est présenté par les nazis comme une colonie juive modèle. Mais à l'intérieur, il s'agit d'un camp de concentration. Un grand nombre de Juifs provenant de Tchécoslovaquie, environ 7 000, sont notamment enfermés à Theresienstadt. Le site est aussi utilisé comme camp de transit pour les Juifs acheminés vers Auschwitz et les autres camps d'extermination.
Le 3 mai 1945, le contrôle du camp est transféré par les Allemands à la Croix-Rouge. L'Armée rouge pénètre à Theresienstadt quelques jours plus tard, le 8 mai 1945. Des actes de vengeance tolérés par les autorités soviétiques ont lieu de la part de survivants à l'encontre d'ex-Kapos, mais aussi de civils allemands[1].Theresienstadt devient un camp de détention de ceux-ci, dans le cadre de l'internement des allemands des Sudètes. Les conditions de détention y sont décrites par les témoins comme similaires à celles auparavant imposées par les nazis à leurs propres victimes[2]. Dans le même temps, certains des survivants juifs de Theresienstadt, lors de leur retour vers la Pologne, sont témoins ou victimes de l'antisémitisme polonais[3].
Population
La fonction de Theresienstadt évolue rapidement après que Joseph Goebbels et Reinhard Heydrich prennent conscience que la disparition de certains Juifs renommés, ou Prominenten, (artistes, savants, décorés ou mutilés de la Première Guerre mondiale) ne manquerait pas de susciter des questions quant au sort réservé au peuple juif tout entier. C’est le 20 janvier 1942, lors de la conférence de Wannsee, que le double-statut de Theresienstadt ― camp de transit pour les Juifs du Protectorat de Bohême-Moravie et ghetto pour les Juifs du Reich âgés de plus de 65 ans (Ältersghetto), où ils pourront s’éteindre d’eux-mêmes, et pour les Prominenten ― est officialisé. À partir de 1943, il renferme aussi les « cas particuliers » des lois de Nuremberg (mariages mixtes, « demi-Juifs » issus d’un parent non juif…). Le camp de Theresienstadt - où la correspondance écrite (courrier) avec l’extérieur sera encouragée tout en étant rigoureusement surveillée, voire manipulée- est donc conçu par Heydrich pour répondre aux interrogations de l’opinion publique sur le traitement des Juifs dans les camps.
Des artistes de premier ordre sont passés par Theresienstadt où beaucoup trouvèrent la mort : écrivains, peintres, scientifiques, juristes, diplomates, musiciens et universitaires se retrouvent dans la cité.
La communauté de Theresienstadt veille à ce que tous les enfants poursuivent leur scolarité : des classes quotidiennes et des activités sportives sont organisées, le magazine Vedem est publié. 15 000 enfants bénéficient de ces mesures. Parmi ceux-ci, à peine 1 100 étaient encore en vie à la fin de la guerre. D'autres estimations font état d'à peine 150 enfants survivants...
Les conditions de vie à Theresienstadt sont extrêmement difficiles. Sur une superficie qui accueillait jusque-là 7 000 Tchèques, environ 50 000 Juifs sont rassemblés. La nourriture est rare : en 1942, environ 16 000 personnes meurent de faim ; parmi elles, Esther Adolphine, une sœur de Sigmund Freud, qui décède le 29 septembre 1942.
En 1943, 500 Juifs du Danemark sont déportés à Theresienstadt, après avoir failli s'enfuir en Suède à l'arrivée des nazis. Cette arrivée de Danois aura une conséquence importante : le gouvernement danois insiste en effet pour que la Croix-Rouge ait accès au ghetto, à l'inverse de la plupart des gouvernements européens qui ne s'occupent guère du traitement réservé à leurs citoyens juifs.
Personnalités y ayant vécu ou transité
- Hans Günther Adler[4], écrivain ("Un voyage") et poète de langue allemande né à Prague.
- Heinz Alt, compositeur allemand.
- Karel Ančerl, chef d'orchestre tchéco-canadien.
- Dina Babbitt, dessinatrice tchèque.
- Leo Baeck, rabbin allemand, érudit et un des chefs du judaïsme progressiste.
- Joseph Bor, juriste tchèque.
- Hana Brady, petite fille tchèque originaire de Nové Město na Moravě, personnage central du livre qui lui a été consacré par Karen Levine (Hana's Suitcase: A True Story, 2002).
- Georges Chauvin, homme politique français.
- Robert Dauber, compositeur et violoncelliste.
- Viktor Frankl, neurologue et psychiatre, fondateur de la logothérapie.
- Kurt Gerron, acteur et réalisateur
- Petr Ginz, jeune dessinateur et écrivain tchèque.
- Pavel Haas, compositeur tchèque.
- Milada Horáková, femme politique tchécoslovaque.
- Ottla Kafka, plus jeune soeur de Frank Kafka.
- Ivan Klíma, écrivain tchécoslovaque.
- Hans Krása, compositeur tchéco-allemand.
- Marceline Loridan-Ivens, cinéaste française.
- Léon Meyer, homme politique français.
- Anne-Lise Stern, psychanalyste française.
- Viktor Ullmann, pianiste et compositeur tchèque.
- Ilse Weber, écrivaine tchèque.
Personnalités y ayant décédé
- Elkan Bauer, compositeur autrichien.
- Robert Desnos, poète français.
- Rudolf Karel, compositeur tchèque.
- Gideon Klein, compositeur et pianiste tchèque.
- Georg Pick, mathématicien autrichien.
- Otto Blumenthal, mathématicien allemand
- Pétronella Van Pels, habitante de la même annexe qu'Anne Frank.
- Grete Schmahl-Wolf, écrivain
- Jacobus Henricus Kann, banquier néerlandais
- Mathilde Sussin, actrice autrichienne.
Un instrument de propagande
Les nazis autorisent la visite de la Croix-Rouge pour faire pièce aux rumeurs à propos des camps d'extermination. Pour minimiser l'apparence de surpopulation, un grand nombre de Juifs sont déportés à Auschwitz. De faux magasins et cafés sont construits pour donner l'impression d'un confort relatif. Les Danois à qui la Croix-Rouge rend visite sont installés dans des pièces fraîchement repeintes. Jamais plus de trois personnes y vivent. Les invités assistent à la représentation d'un opéra pour enfants, Brundibar.
Maurice Rossel, l'envoyé du CICR en juin 1944, est complètement mystifié. Claude Lanzmann a réalisé en 1997 un documentaire, titré Un vivant qui passe, qui utilise une interview accordée en 1979 par Maurice Rossel : il y décrit le camp de son point de vue, tel qu'il lui sera présenté par la mise en scène des nazis.
La supercherie des nazis est un tel succès qu'un film de propagande est tourné (Der Führer schenkt den Juden eine Stadt - Le Führer donne une ville aux Juifs). Le tournage démarre le 26 février 1944 sous la direction de Kurt Gerron, un réalisateur, artiste de cabaret et acteur, qui était apparu avec Marlene Dietrich dans L'Ange bleu. On y voit notamment le chef d'orchestre déporté Karel Ancerl y diriger une œuvre du compositeur Pavel Haas, déporté lui aussi. Après le film, la plupart des acteurs et des membres de l'équipe, y compris le réalisateur, sont déportés à Auschwitz. Gerron et sa femme sont gazés le 28 octobre 1944. Le film n'a jamais été diffusé à l'époque, mais découpé en petits morceaux destinés à la propagande ; seuls quelques fragments subsistent aujourd'hui. Souvent intitulé Le Führer donne un village aux Juifs, son titre est en fait Theresienstadt. Ein Dokumentarfilm aus dem jüdischen Siedlungsgebiet.
Statistiques
Environ 144 000 personnes ont été déportées à Theresienstadt. Un quart d'entre elles, 33 000, moururent sur place, principalement à cause des conditions de vie (famine, maladies, épidémie de typhus à la fin de la guerre). 88 000 Juifs furent déportés à Auschwitz et dans les autres camps d'extermination. À la fin de la guerre, on dénombrait à peine 19 000 survivants.
Annexes
Bibliographie
Articles connexes
Liens externes
Notes et références
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