vendredi 20 septembre 2024

 

Illettrisme, chômage, santé, démographie… « En Martinique, tous les voyants sont au rouge »

Le député socialiste Jiovanny William déplore l’absence de politiques publiques pour la Martinique, en proie à une colère violente liée à l’augmentation des prix du fait de l’inflation.

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Alors que le premier ministre n’a toujours ni gouvernement ni budget à proposer à la France, en Martinique, la colère a redoublé du fait de l’explosion des coûts de la vie. Le député socialiste Jiovanny William revient pour Mediapart sur les pistes d’amélioration possibles, en dépit de son pessimisme sur la volonté d’action de l’État.


Mediapart : Où en est-on aujourd’hui des violences urbaines en Martinique ?

Jiovanny William : Le couvre-feu permet que les choses se calment. Après, il y a des poches d’insécurité, il y a eu des coups de feu et des tirs à balles réelles sur des policiers… Certains accès sont bloqués sur Le Lamentin, et Fort-de-France est quasiment sinistrée, avec des lampadaires tombés au sol, qui obstruent le passage. Le maire a lancé un appel au calme et au retour à la discussion. Nous, parlementaires, partageons cette ligne, et nous avons écrit des communiqués en ce sens…

Que dites-vous sur le fond de ce mouvement ?

Nous sommes sur une poudrière. Il y a une manifestation avec un objectif noble et louable, celui de lutter contre la vie chère. Mais en marge, il y a des casseurs que je n’assimile pas aux manifestants.

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Jiovanny William à l’Assemblée nationale le avril 2023. © Photo Virginie Haffner / Hans Lucas via AFP

Le problème de la « vie chère » est ancien en Martinique, qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres cette fois ?

Oui, tout le monde se souvient du feu en 2009. Aujourd’hui, nous vivons un remake. La situation économique est extrêmement compliquée dans nos îles. Le problème de fond, c’est qu’il y a eu une défiance vis-à-vis du monde économique et de la grande distribution représentée par des Békés. Or le préfet a organisé des tables rondes sur le sujet du pouvoir d’achat avec des industriels, et ces débats n’ont pas été retransmis publiquement… Ce sentiment d’opacité a été l’une des étincelles qui ont mis le feu aux poudres.

Il y a aussi les personnalités qui mènent le mouvement. M. Petitot [Rodrigue Petitot, président du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC) – ndlr] connaît beaucoup de personnes capables de faire ce type d’actes. Ça a incité les fauteurs de trouble. Quand il y a des blocages, il y a des exactions, des casses, des ronds-points bloqués avec des pneus, des arbres, et ça dégénère.

Quel rôle a eu l’inflation ?

L’inflation s’est ajoutée au différentiel de prix qui est déjà énorme avec la France hexagonale : + 37 % en moyenne de plus sur les produits de consommation ! Un paquet de couches vaut 50 % de plus en Martinique, un panier moyen est 40 % plus cher sur des produits de première nécessité… Cela est dû à l’octroi de mer, au coût du transport et aux nombreux intermédiaires (grossistes, transitaires…) qui font leur marge, en plus de la grande distribution qui fait elle aussi sa marge… Avec l’inflation, tout a encore augmenté.

Nous avons des observatoires qui démontrent chaque année les augmentations des produits de consommation. En parallèle, nos revenus et nos retraites sont plus bas que dans la France hexagonale. Tout cela fait un cocktail explosif.

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Une voiture en feu dans une rue de Fort-de-France (Martinique), après les manifestations de colère contre le coût de la vie élevé le 17 septembre 2024. © Photo Thomas Thurar / AFP

La collectivité territoriale de Martinique a proposé une exonération partielle de l’octroi de mer…

Oui, sur certains produits. Mais dans le même temps, il faut que la grande consommation fasse des efforts, de même que les transporteurs, comme CMA-CGM qui a 67 % du marché. Sinon, on ne verra pas de baisse. L’État doit aussi faire des efforts sur les taxes douanières. Pouvoirs publics, grande distribution, intermédiaires… Tout le monde doit faire un geste.

Comptez-vous sur le prochain gouvernement s’il voit le jour ?

Écoutez, nous sommes au quatrième ministre des outre-mer. Sur les quatre, au moins trois n’ont rien eu à faire des outre-mer. À part Jean-François Carenco [2022–2023 – ndlr] qui avait été préfet de Guadeloupe, ils ne connaissaient rien et n’avaient d’ailleurs aucune envie d’être ministres des outre-mer.

Donc, oui, un ministre de plein exercice, qui connaît les outre-mer et qui ne vient pas pour aller voir les ballets folkloriques et boire du punch pourrait changer un peu les choses. Avant, il y avait un comité interministériel d’outre-mer qui est désormais au niveau zéro. Personne n’arrive à se projeter dans l’avenir, en particulier les entreprises. Tous nos voyants sont au rouge : l’illettrisme, le chômage, la santé, la démographie…

Attendez-vous quelque chose de la séquence budgétaire à venir ?

On nous parle de réduction de budget, ça ne va donc faire qu’empirer les choses et personne en Martinique n’est serein. Côté parlementaires, nous allons nous organiser et demander des choses, par exemple une continuité territoriale sur le fret comme en Corse, qui fait que ça enlève de la pression sur les produits… Mais on sait que le 49-3 passera.

Le RN est-il une menace en Martinique ?

Mélenchon est arrivé en tête au premier tour de la présidentielle, au second, c’était Marine Le Pen. En 2024, pour la première fois, le Rassemblement national était présent dans les quatre circonscriptions de l’île. Et autre événement tristement historique : un candidat RN est arrivé au deuxième tour des élections en Martinique. C’est aussi un indicateur que le RN monte sérieusement en puissance et cela risque de continuer comme ça si rien ne s’arrange pour les habitants.

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