jeudi 1 juin 2017

TEMOIGNAGES DE RESISTANTS






"  Nous savons que nos soldats changent cent fois de nom et qu’ils ne possèdent ni abri ni visage. Ils vont en secret dans des chaussures informes sur des chemins sans soleil et sans gloire. Nous savons que notre armée est famélique et pure. Qu’elle est une armée d’ombres. L’armée miraculeuse de l’amour et du malheur. Et j’ai pris conscience ici que nous étions seulement les ombres de ces ombres et le reflet de cet amour et de malheur. Cela surtout, valait la peine. "

 

l'émission du samedi 31 mai 2014

Les témoignages des Résistants




Joseph Kessel L'Armée des ombres © Radio France - 2014

Ce récit vibrant, écrit à Londres en 1943, est celui d’un combattant de la première heure, auteur du fameux « Chant des partisans » : il s’agit de l’écrivain Joseph Kessel, qui publie, vingt ans plus tard, l’un des plus célèbres livres sur la Résistance : L’Armée des ombres.

A l'image de Joseph Kessel, découvrons, ce soir, les témoignages engagés d’autres grandes personnalités de la Résistance, mais aussi de combattants anonymes, ces « gens ordinaires qui ont accompli l’extraordinaire », selon l’expression de l’écrivain Régis Debray.

A l’occasion du 70e Anniversaire du Débarquement, rendons hommage à ces hommes et femmes, connus ou inconnus, qui n’ont fait qu’agir selon leur conscience, en refusant la défaite…
Elle est la fille de Xavier de Gaulle. Résistante dès juin 1940 dans le Groupe du Musée de l'Homme, Geneviève de Gaulle multiplie les actions de renseignement et d’information, notamment au sein du réseau Défense de la France. Arrêtée à la suite d'une trahison dans une souricière tendue aux membres de Défense de la France par Pierre Bonny de la Gestapo française, le 20 juillet 19431 et emprisonnée à Fresnes, elle est déportée au camp de concentration de Ravensbrück le 2 février 1944. Au camp, elle rencontre et se lie d'amitié avec quatre autres résistantes : Jacqueline Péry d'Alincourt, Suzanne Hiltermann, Anise Postel-Vinay et Germaine Tillon2. En octobre 1944, elle est placée en isolement au « bunker » du camp. Cette décision est prise par Himmler afin de la garder en vie et de l'utiliser comme monnaie d’échange. Elle a tiré un livre de cette expérience, La Traversée de la nuit, écrit cinquante ans après sa libération, publié le 1e janvier 1998, livre qui raconte sa vie en camp de concentration et l'entraide entre femmes.
Membre active puis présidente de l’Association nationale des anciennes déportées et internées de la Résistance (ADIR), elle suit les procès des criminels nazis en Allemagne, puis participe à l’essor du mouvement politique lancé par son oncle, le RPF.
En 1958, elle travaille au cabinet d'André Malraux quand elle rencontre le Père Joseph Wresinski, alors aumônier du bidonville de Noisy-le-Grand. Dans les souffrances des familles qu'elle y découvre, elle revoit celles qu'elle-même et d'autres déportés ont vécues et décide de s'engager avec le Père Joseph dans le Mouvement ATD Quart Monde que celui-ci a fondé. Elle est présidente de la branche française de ce Mouvement de 1964 à 1998.
En 1987, elle témoigne sur la barbarie nazie lors du procès de Klaus Barbie.
Nommée en 1988 au Conseil économique et social, elle se bat pendant dix ans pour l’adoption d’une loi d’orientation contre la grande pauvreté. Reportée en 1997 pour cause de dissolution de l’Assemblée nationale, la loi est votée en 1998.
Le 21 février 2014, le président François Hollande annonce3 le transfert de sa dépouille au Panthéon aux côté des résistants Pierre Brossolette et Germaine Tillion ainsi que de l'ex-ministre Jean Zay4.



- La Traversée de la nuit
 de Geneviève de Gaulle-Anthonioz 
(Seuil, 1998)

Geneviève Germaine Marie Agnès de Gaulle, née le 25 octobre 1920 à Saint-Jean-de-Valériscle (Gard) et décédée le 14 février 2002 à Paris, est une résistante française, déportée en 1944, militante des droits de l'homme et présidente d'ATD Quart Monde de 1964 à 1998. Elle est une nièce de Charles de Gaulle. Ses cendres seront prochainement transférées au Panthéon.

Famille

Geneviève de Gaulle est la nièce du général de Gaulle, et la petite-fille de Pierre Gourdon, auteur de romans populaires.
En 1946, elle épouse Bernard Anthonioz (1921-1994), jeune éditeur d’art et lui aussi ancien résistant, avec lequel elle a quatre enfants, dont Michel Anthonioz (1947-2009).

Prix, hommages et distinctions

Décorations

Distinction

  • 1994 : Prix des droits de l'Homme en France et dans le monde

Hommages

  1. Le général de Gaulle lui a dédicacé ses Mémoires de guerre.
  2. Un lycée porte son nom à Milhaud dans le Gard.
  3. Un collège6 porte son nom, depuis le 26 avril 2008, aux Bordes (Loiret), ainsi qu'à Cluses en Haute-Savoie.
  4. Une école maternelle porte son nom à Montpellier dans l'Hérault.
  5. Le nouveau centre hospitalier de Saint-Dizier, ouvert en 2009, porte son nom.
  6. Une place porte son nom dans le 15e arrondissement de Paris (terre-plein au carrefour des rues de Vaugirard, de la Convention et Alain Chartier).
  7. Une rue porte son nom à Rennes, non loin de la station de métro Clemenceau.
  8. Une rue porte son nom à Millau dans l'Aveyron.
  9. Une rue porte son nom à Athis-Mons dans l'Essonne.
  10. Une rue porte son nom à Saulcy-sur-Meurthe dans les Vosges.
  11. Une rue porte son nom à Saint-Martin-d'Hères en Isère.
  12. un pôle d'accueil porte son nom à Chambéry en Savoie.
  13. une allée porte son nom à Tourcoing dans le Nord
  14. une allée porte son nom à Pont du Chateau en Auvergne (depuis le 15 avril 2014).

Ouvrages

  • La Traversée de la nuit, Éditions du Seuil, Paris, 1998 (ISBN 2020516543), réédité dans la collection Point Seuil
    • Texte7 créé au théâtre dans une mise en scène de Christine Zeppenfeld interprété par Valérie Le Louédec & Magali Bruneau ; conception multimédia interactive en collaboration avec la Maison des sciences de l'Homme Paris-Nord par Alain Bonardi, Nathalie Dazin ; création des images 3D par Julien Piedpremier ; chorégraphie Magali Bruneau ; composition musicale de Stéphane Grémaud ; création lumière Thierry Fratissier ; création et conception costumes Inez Palaver. Création au Centre des arts d'Enghien novembre 2003
  • Le Secret de l'espérance, Fayard / Éditions Quart Monde, Paris, 2001 (ISBN 2-213-61031-2)
  • Préface de Face à Barbie. Souvenirs-cauchemars de Montluc à Ravensbrück, de Lise Lesèvre, 1987, Les nouvelles éditions du Pavillon (ISBN 2852240904)

Notes et références

  1. Cf. plaque commémorative au 68 rue Bonaparte, dans le 6e arrondissement de Paris.
  2. http://www.clg-picasso-montesson.ac-versailles.fr/spip.php?article213 [archive]
  3. Discours lors de la cérémonie d’hommage à la Résistance [archive], François Hollande, 21 février 2014.
  4. Dépêche AFP sur le site du Monde [archive], 19/02/2012.
  5. AFP, « Geneviève de Gaulle-Anthonioz : « le refus de l'inacceptable » » [archive], sur lepoint.fr, Le Point,‎ 20 février 2014 (consulté le 25 février 2014).
  6. L'idée d'inaugurer le collège sous ce nom vient du club Résistance fondé par M. Momboisse qui a travaillé avec ses élèves afin de l'inaugurer.
  7. Voir sur le site. [archive]

Voir aussi

Articles connexes




- La Traversée du mal
de Germaine Tillion (Arléa, 2003)
 

Quatrième de couverture

Geneviève de Gaulle-Anthonioz, qui a connu Germaine Tillion à Ravensbrück, termine sa présentation de La Traversée du mal par ces mots : " Voici donc près de soixante ans que tu nous apprends à regarder, à écouter, à essayer de comprendre... Toujours avec bienveillance, souvent avec compassion. Tes camarades ont croisé dans ton escalier tes amis berbères, des officiers de parachutistes et des combattants algériens du FLN, le général de Gaulle a été attentif à ce que tu lui communiquais. Quelle chance extraordinaire d'avoir "traversé le mal" à tes côtés, puisqu'en te voyant nous pouvions croire au bien, puisque nous pouvions encore espérer. "

La traversée du mal

Arléa-Poche
Entretetien avec Jean Lacouture. Présenté par Geneviève de Gaulle-Anthonioz.

Germaine Tillion

Germaine Tillion, ethnographe depuis le début des années 30, exerce une science qui, affolée par le terrorisme et la torture, n’est pas, d’évidence, une école d’optimisme. Traquer le secret du fonctionnement et les raisons d’être d’un groupe social ne porte pas nécessairement à l’indulgence.
Geneviève de Gaulle-Anthonioz, qui a connu Germaine Tillion à Ravensbrück, termine sa présentation de La Traversée du mal par ces mots :
"Voici donc près de soixante ans que tu nous apprends à regarder, à écouter, à essayer de comprendre... Toujours avec bienveillance, souvent avec compassion. Tes camarades ont croisé dans ton escalier tes amis berbères, des officiers de parachutistes et des combattants algériens du FLN, le général de Gaulle a été attentif à ce que tu lui communiquais.
Quelle chance extraordinaire d’avoir ’traversé le mal’ à tes côtés, puisqu’en te voyant nous pouvions croire au bien, puisque nous pouvions encore espérer
."





- Lettre d'adieu de Henri Fertet à ses parents : document extrait du Dictionnaire historique de la Résistance, sous la direction de François Marcot (éd. Robert Laffont, col. Bouquins, 2006)

Henri Fertet

Henri Fertet né le 27 octobre 1926 à Seloncourt et baptisé à Verdun le 15 mai 1927 à l'église Saint-Victor. Mort le dimanche 26 septembre 1943 à Besançon, est un résistant français.

Membre du Groupe Guy Mocquet, il est arrêté par les Allemands le 2 juillet à 3 heures 30 et fusillé le dimanche 26 septembre 1943 à 7 heures 36 à la Citadelle de Besançon, à l'âge de 16 ans, avec 15 de ses camarades[réf. nécessaire].
Il fut compagnon de la Libération à titre posthume (décret du 7 juillet 1945) mais aussi Chevalier de la Légion d'honneur. Il reçut également la Croix de Guerre 1939-1945, la Médaille de la Résistance, la Croix du Combattant Volontaire 1939-1945 ainsi que la Médaille des Déportés et Internés Résistants.Cette lettre est un témoignage bouleversant

Lettre d'adieu

Au matin de son exécution, il écrit une dernière lettre à sa famille.
Besançon, prison de la Butte (Doubs)
26 septembre 1943
Chers parents,
Ma lettre va vous causer une grande peine, mais je vous ai vu si pleins de courage que, je n’en doute pas, vous voudrez bien encore le garder, ne serait-ce que par amour pour moi.
Vous ne pouvez savoir ce que moralement j’ai souffert dans ma cellule, [ce] que j’ai souffert de ne plus vous voir, de ne plus sentir sur moi votre tendre sollicitude que de loin, pendant ces quatre-vingt-sept jours de cellule, votre amour m’a manqué plus que vos colis et, souvent, je vous ai demandé de me pardonner le mal que je vous ai fait, tout le mal que je vous ai fait. Vous ne pouvez douter de ce que je vous aime aujourd’hui, car avant, je vous aimais par routine plutôt mais, maintenant, je comprends tout ce que vous avez fait pour moi. Je crois être arrivé à l’amour filial véritable, au vrai amour filial. Peut-être, après la guerre, un camarade parlera-t-il de moi, de cet amour que je lui ai communiqué ; j’espère qu’il ne faillira point à cette mission désormais sacrée.
Remerciez toutes les personnes qui se sont intéressées à moi, et particulièrement mes plus proches parents et amis, dites-leur toute ma confiance en la France éternelle. Embrassez très fort mes grands-parents, mes oncles, mes tantes et cousins, Henriette. Dites à M. le Curé que je pense aussi particulièrement à lui et aux siens. Je remercie Monseigneur1 du grand honneur qu’il m’a fait, honneur dont, je crois, je me suis montré digne. Je salue aussi en tombant mes camarades du lycée. À ce propos, Hennemay me doit un paquet de cigarettes, Jacquin, mon livre sur les hommes préhistoriques. Rendez le “Comte de Monte-Cristo” à Emeurgeon, 3, chemin Français, derrière la gare. Donnez à Maurice Andrey de La Maltournée, 40 grammes de tabac que je lui dois.
Je lègue ma petite bibliothèque à Pierre, mes livres de classe à mon cher Papa, mes collections à ma chère maman, mais qu’elle se méfie de la hache préhistorique et du fourreau d’épée gaulois.
Je meurs pour ma patrie, je veux une France libre et des Français heureux, non pas une France orgueilleuse et première nation du monde, mais une France travailleuse, laborieuse et honnête.
Que les Français soient heureux, voilà l’essentiel. Dans la vie, il faut savoir cueillir le bonheur.
Pour moi, ne vous faites pas de soucis, je garde mon courage et ma belle humeur jusqu’au bout et je chanterai “Sambre et Meuse” parce que c’est toi, ma chère petite maman, qui me l’a appris.
Avec Pierre, soyez sévères et tendres. Vérifiez son travail et forcez-le à travailler. N’admettez pas de négligence. Il doit se montrer digne de moi. Sur les “trois petits nègres”, il en reste un. Il doit réussir.
Les soldats viennent me chercher. Je hâte le pas. Mon écriture est peut-être tremblée, mais c’est parce que j’ai un petit crayon. Je n’ai pas peur de la mort, j’ai la conscience tellement tranquille.
Papa, je t’en supplie, prie, songe que si je meurs, c’est pour mon bien. Quelle mort sera plus honorable pour moi ? Je meurs volontairement pour ma Patrie. Nous nous retrouverons bientôt tous les quatre, bientôt au ciel. Qu’est-ce que cent ans ?
Maman rappelle-toi :
“Et ces vengeurs auront de nouveaux défenseurs Qui, après leur mort, auront des successeurs.”
Adieu, la mort m’appelle, je ne veux ni bandeau, ni être attaché. Je vous embrasse tous. C’est dur quand même de mourir.
Mille baisers. Vive la France.
Un condamné à mort de 16 ans.
H. Fertet.
Excusez les fautes d’orthographe, pas le temps de relire.
Expéditeur : Monsieur Henri Fertet, Au ciel, près de Dieu.

Épilogue

Le 27 novembre 1980, dans la forêt de Chailluz proche de Besançon, Pierre Fertet, instituteur âgé de cinquante et un ans et sa mère octogénaire se suicident en s'asphyxiant avec les gaz du véhicule. Le cadet d'Henri Fertet était resté très affecté par la mort de son frère à la mémoire duquel il voua toute sa vie une dévotion quasi mystique2.

Notes et références

  1. Monseigneur Dubourg avait été l'une des premières personnalités francs comtoises à s'opposer aux Allemands dans un sermon prononcé en chaire le dimanche 23 juin 1940. Publié dans La Voix diocésaine, ce sermon fut par la suite diffusé clandestinement dans toute la Franche Comté.
  2. http://www.memoresist.org/spip.php?page=oublionspas_detail&id=2172 [archive]

Liens externes






- La Rose blanche, six allemands contre le nazisme, de Inge Scholl  
(éd. de Minuit, 1995, trad. de Jacques Delpeyrou)

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Mémorial Scholl devant l'Université Louis-et-Maximilien de Munich
La Rose blanche (en allemand Die Weiße Rose) est le nom d'un groupe de résistants allemands, fondé en juin 1942, pendant la Seconde Guerre mondiale, et composé de quelques étudiants et de leurs proches. Ce nom aurait été choisi par Hans Scholl en référence à la romance de Clemens Brentano (Les Romances du Rosaire, 1852), ou au roman de B. Traven La Rose blanche (1929)1. Ce groupe a été arrêté en février 1943 par la Gestapo et ses membres ont été exécutés
- C'était un temps déraisonnable,  
entretien de Jean-Pierre Vernant, avec Georges-Marc Bénamou (éd. Robert Laffont, 1999)

couverture









LES REBELLES DE L’AN 40
Georges-Marc BENAMOU
À la veille de la commémoration de l'appel du 18 juin 1940, Georges-Marc Benamou nous donne une suite à C'était un temps déraisonnable.
Avec la sensibilité qu'on lui connaît, Georges-Marc Benamou a repris son flambeau et est allé de nouveau à la rencontre des premiers résistants : ils racontent leur combat, leurs rapports avec de Gaulle, leurs ambitions, leurs rivalités, leurs peines. L'auteur a voulu ici mettre au jour les ressorts intimes de leur engagement. Qui sont ces hommes et ces femmes partis dès juin 1940 pour Londres, ou qui tout de suite ont voulu « faire quelque chose » contre Vichy et l'Occupant ? En juin 1940, le mot « résistance » n'existe pas. Pourquoi eux et pas les autres ?
L'auteur a réussi à convaincre celles et ceux qui n'avaient pas ou peu témoigné, les derniers Compagnons de la Libération, des femmes comme Tereska Torrès ou Josette Gros, engagées dans les Forces françaises libres. Il y a, entre autres, Jean-Louis Crémieux-Brilhac, qui décrit sa mission auprès du général de Gaulle à Londres ou François Jacob, qui explique son combat en Lybie et en Tunisie. On découvre aussi le rôle des habitants de l'île de Sein ou le témoignage du fils de Pierre Brossolette. Grâce à son talent d'enquêteur, Georges-Marc Benamou a su trouver des documents inédits et on lui a aussi confié des lettres et des journaux intimes. Il en donne de courts extraits qui rythment la succession de témoignages. Daniel Cordier, ancien secrétaire de Jean Moulin, qui vient de publier ses souvenirs, lui a accordé un entretien exceptionnel. C'est enfin une recherche nourrie d'expériences personnelles. En toile de fond, il y a en effet le propre passé de l'auteur, sa fréquentation de Mitterrand au moment de la polémique Vichy, et celle de Sarkozy au moment de la polémique Guy Môquet.
Un voyage singulier dans le passé, qui remonte aux sources de ceux qui ont dit non en 1940.


Écrivain, journaliste et mémorialiste de François Mitterrand, Georges-Marc Benamou a aussi été conseiller pour la culture et l'audiovisuel auprès de Nicolas Sarkozy (2007-2008). Il est déjà l'auteur de plusieurs essais et documents historiques, dont, entre autres, Si la gauche savait avec Michel Rocard (Robert Laffont, 2005) et Les Rebelles de l'an 40 (Robert Laffont, 2010). Le Dernier Mitterrand, dont il a cosigné le scénario, a été adapté au cinéma en 2005 par Robert Guédiguian sous le titre Le Promeneur du Champ-de-Mars. Né en Algérie, Georges-Marc Benamou avait cinq ans en 1962. Il a publiéUn mensonge français pour la première fois en...
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- Discours de André Malraux 
lors de la cérémonie du transfert des cendres de Jean moulin au Panthéon, le 19 décembre 1964

http://www.ina.fr/video/I09168787

"Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses ; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l'un des nôtres. Entre, avec le peuple né de l'ombre et disparu avec elle – nos frères dans l'ordre de la Nuit.
André Malraux,
Discours lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon

Dans la mémoire des Français, Jean Moulin incarne le héros par excellence de la Résistance intérieure. S’il n’occupe qu’une place modeste dans les premiers hommages et écrits sur la Résistance, en 1964, il prend valeur d’exemplarité par sa panthéonisation. Pourquoi ce choix, quels en sont les critères ? Il fallait une personnalité précocement engagée, ayant joué un rôle éminent dans la Résistance intérieure et entretenu de bonnes relations avec la France libre et son chef, devenu président de la Cinquième République, un résistant qui n’ait pas participé aux querelles de l’après-Libération, un résistant mort en martyr. Seul le préfet Jean Moulin satisfait à ces conditions. Fidèle serviteur du chef de la France libre, auréolé du prestige d’unificateur de la Résistance, estimé par la gauche depuis son passage au cabinet de Pierre Cot sous le Front populaire, il est mort sous la torture sans avoir parlé. L’initiative de promouvoir Jean Moulin revient, au printemps 1963, aux résistants de l’Hérault.
Relayée par la gauche, elle est récupérée par les gaullistes, et en premier lieu André Malraux, ministre d’État, chargé des Affaires culturelles et ancien résistant. Acceptée par de Gaulle, la proposition rencontre un consensus général. Les deux journées de cérémonie, 18 et 19 novembre 1964, connaissent leur apothéose avec le discours d’André Malraux et l’entrée de l’urne funéraire de Jean Moulin au Panthéon. La forte émotion soulevée par le discours de Malraux joue un rôle essentiel dans la construction du mythe Jean Moulin, héros des deux résistances, serviteur de l’État-France libre et préfet-citoyen, avocat de ceux d’en bas, mort en martyr clandestin. Pour Pierre Laborie : "Les incantations tragiques d’André Malraux ont porté la Résistance et le destin de Jean Moulin à la dimension intemporelle de l’épopée, les deux confondus dans une seule et même idée, dans l’image et le mythe d’une France identifiée à la “pauvre face informe” d’un visage supplicié." Le discours transcende tous les clivages idéologiques comme le souligne Pierre Laborie citant le cas d’Olivier Rolin, ancien maoïste et membre de la Nouvelle Résistance populaire qui, dans son roman Tigre en papier (2002), se souvient avoir pleuré en écoutant Malraux ce jour-là et ajoute : "Je tiens à dire que j’ai toujours la gorge nouée de nouveau à chaque fois que j’entends ce discours, ou même que je le lis." Que d’aucuns puissent trouver dans le discours, et chez l’orateur, plus de grandiloquence que de grandeur, il n’en demeure pas moins qu’au début de 2007, la séquence vidéo de cette cérémonie demeure l’une des plus téléchargées du site internet de l’Institut national de l’audiovisuel.

Une figure fédératrice

Si le choix de Jean Moulin ne fait pas problème, on peut s’interroger sur le moment auquel il intervient. Pourquoi en 1964 ? En quelles circonstances ? Un pouvoir gaulliste qui, après les meurtrissures de la guerre d’Algérie et l’affrontement conflictuel du référendum sur l’élection du président de la République au suffrage universel, cherche un symbole de réconciliation nationale par lequel la renommée et la popularité du Général se trouvent renforcées. Pour les forces de gauche, revitalisées par les mouvements sociaux de 1963, il est aisé de valoriser le personnage de Jean Moulin comme unificateur de la Résistance et instigateur du Conseil national de la Résistance, qui a réintroduit les partis politiques dans leur légitimité démocratique. Pour les moins scrupuleux en matière de rigueur historique, Jean Moulin peut même être associé à une "Résistance populaire" et à l’élaboration du programme du CNR – de neuf mois postérieur à son arrestation et fruit d’un organe nouveau, émancipé de la tutelle gaulliste. Ainsi André Wurmser déclare-t-il dans L’Humanité du 19 décembre 1964 : "Jean Moulin au Panthéon, cela veut dire que la France s’incline devant le premier président du CNR, dont le programme comportait une nationalisation des banques et des trusts." Depuis, et sans guère désemparer, tous les médias ont contribué à conférer à Jean Moulin une célébrité sans pareille : travaux et colloques universitaires, biographies diverses, nombreux articles de presse, mention systématique dans les manuels scolaires, émissions de télévision. Dans les paysages urbains, les hommages rendus à Jean Moulin l’emportent sur tous les autres, il fait l’objet d’un "véritable culte rendu sur l’ensemble du territoire national [:] 37 monuments et stèles, 119 plaques et 978 boulevards, rues, places, squares et ponts". Comme le héros antique, Jean Moulin est célébré pour lui-même – l’importance de son engagement, le courage de son sacrifice – et, au delà de sa personne, il symbolise la Résistance elle-même. Une Résistance perçue à travers le prisme de quelques valeurs de référence : patrie, unité, démocratie, respect de la dignité humaine…


Transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon
le 19 décembre 1964

Voici donc plus de vingt ans que Jean Moulin partit, par un temps de décembre sans doute semblable à celui-ci, pour être parachuté sur la terre de Provence, et devenir le chef d'un peuple de la nuit. Sans cette cérémonie, combien d'enfants de France sauraient son nom? Il ne le retrouva lui-même que pour être tué; et depuis, sont nés seize millions d'enfants...
Puissent les commémorations des deux guerres s'achever aujourd'hui par la résurrection du peuple d'ombre que cet homme anima, qu'il symbolise, et qu'il fait entrer ici comme une humble garde solennelle autour de son corps de mort.
Après vingt ans, la Résistance est devenue un monde de limbes où la légende se mêle à l'organisation. Le sentiment profond, organique, millénaire, qui a pris depuis son accent légendaire, voici comment je l'ai rencontré. Dans un village de Corrèze, les Allemands avaient tué des combattants du maquis, et donné ordre au Maire de les faire enterrer en secret, à l'aube. Il est d'usage, dans cette région, que chaque femme assiste aux obsèques de tout mort de son village en se tenant sur la tombe de sa propre famille. Nul ne connaissait ces morts, qui étaient des Alsaciens. Quand ils atteignirent le cimetière, portés par nos paysans sous la garde menaçante des mitraillettes allemandes, la nuit qui se retirait comme la mer laissa paraître les femmes noires de Corrèze, immobiles de haut en bas de la montagne, et attendant en silence, chacune sur la tombe des siens, l'ensevelissement des morts français. Ce sentiment qui appelle la légende, sans lequel la Résistance n'eût jamais existé - et qui nous réunit aujourd'hui - c'est peut-être simplement l'accent invincible de la fraternité.
Comment organiser cette fraternité pour en faire un combat ? On sait ce que Jean Moulin pensait de la Résistance, au moment où il partit pour Londres : "Il serait fou et criminel de ne pas utiliser, en cas d'action alliée sur le continent, ces troupes prêtes aux sacrifices les plus grands, éparses et anarchiques aujourd'hui, mais pouvant constituer demain une armée cohérente de parachutistes déjà en place, connaissant les lieux, ayant choisi leur adversaire et déterminé leur objectif." C'était bien l'opinion du Général de Gaulle. Néanmoins, lorsque, le 1er janvier 1942, Jean Moulin fut parachuté en France, la Résistance n'était encore qu'un désordre de courage : une presse clandestine, une source d'informations, une conspiration pour rassembler ces troupes qui n'existaient pas encore. Or, ces informations étaient destinées à tel ou tel allié, ces troupes se lèveraient lorsque les alliés débarqueraient. Certes, les résistants étaient les combattants fidèles aux Alliés. Mais ils voulaient cesser d'être des Français résistants, et devenir la Résistance française.
C'est pourquoi Jean Moulin est allé à Londres. Pas seulement parce que s'y trouvaient des combattants français (qui eussent pu n'être qu'une légion), pas seulement parce qu'une partie de l'empire avait rallié la France Libre. S'il venait demander au Général de Gaulle de l'argent et des armes, il venait aussi lui demander "une approbation morale, des liaisons fréquentes, rapides et sûres avec lui". Le Général assumait alors le Non du premier jour; le maintien du combat, quel qu'en fut le lieu, quelle qu'en fut la forme; enfin, le destin de la France. La force des appels de juin 40 tenait moins aux "forces immenses qui n'avaient pas encore donné", qu'à : "Il faut que la France soit présente à la victoire. ALors, elle retrouvera sa liberté et sa grandeur". La France, et non telle légion de combattants français. C'était par la France Libre, que les résistants de Bir-Hakeim se conjuguaient, formaient une France combattante restée au combat. Chaque groupe de résistants pouvait se légitimer par l'allié qui l'armait et le soutenait, voire par son seul courage; le Général de Gaulle seul pouvait appeler les mouvements de Résistance à l'union entre eux et avec tous les autres combats, car c'était à travers lui seul, que la France livrait un seul combat. C'est pourquoi - même lorsque le Président Roosevelt croira assister à une rivalité de généraux ou de partis - l'armée d'Afrique, depuis la Provence jusqu'aux Vosges, combattra au nom du gaullisme - comme feront les troupes du parti communiste. C'est pourquoi Jean Moulin avait emporté, dans le double fond d'une boîte d'allumettes, la microphoto du très simple ordre suivant : "M.Moulin a pour mission de réaliser, dans la zone non directement occupée de la métropole, l'unité d'action de tous les éléments qui résistent à l'ennemi et à ses collaborateurs".
Inépuisablement, il montre aux chefs des groupements, le danger qu'entraînerait le déchirement de la Résistance entre des tuteurs différents. Chaque événement capital - entrée en guerre de la Russie, puis des Etats-Unis, débarquement en Afrique du Nord - renforce sa position. A partir du débarquement, il devien t évident que la France va redevenir un théâtre d'opérations. Mais la presse clandestine, les renseignements (même enrichis par l'action du Noyautage des administtrations publiques) sont à l'échelle de l'occupation, non de la guerre. Si la Résistance sait qu'elle ne délivrera pas la France sans les Alliés, elle n'ignore plus l'aide militaire que son unité pourrait leur apporter. Elle a peu à peu appris que s'il est relativement facile de faire sauter un pont, il n'est pas moins facile de le réparer : alors que s'il est facile à la Résistance de faire sauter deux cents ponts, il est difficile aux Allemands de les réparer à la fois. En un mot, elle sait qu'une aide efficace aux armées de débarquement est inséparable d'un plan d'ensemble. Il faut que sur toutes les routes, sur toutes les voies ferrées de France, les combattants clandestins désorganisent méthodiquement la concentration des divisions cuirassées allemandes. Et un tel plan d'ensemble ne peut être conçu, et exécuté, que par l'unité de la Résistance.
C'est à quoi Jean Moulin s'emploie jour après jour, peine après peine, un mouvement de Résistance après l'autre : "Et maintenant, essayons de calmer les colères d'en face..." Il y a, inévitablement, des problèmes de personnes; et bien davantage, la misère de la France combattante, l'exaspérante certitude, pour chaque maquis ou chaque groupe-franc, d'être spolié au bénéfice d'un autre maquis ou d'un autre groupe, qu'indignent, au même moment, les mêmes illusions... Qui donc sait encore ce qu'il fallut d'acharnement pour parler le même langage à des instituteurs radicaux ou réactionnaires, des officiers réactionnaires ou libéraux, des trotskistes ou communistes retour de Moscou, tous promis à la même délivrance ou à la même prison; ce qu'il fallut de rigueur à un ami de la République espagnole, à un ancien "préfet de gauche", chassé par Vichy, pour exiger d'accueillir dans le combat commun tels rescapés de la Cagoule !
Jean Moulin n'a nul besoin d'une gloire usurpée : ce n'est pas lui qui a créé Combat, Libération, Franc-Tireur, c'est Frenay, d'Astier, Jean-Pierre Lévy. Ce n'est pas lui qui a créé les nombreux mouvements de la zone Nord dont l'histoire recueillera tous les noms. Ce n'est pas lui qui a fait les régiments, mais c'est lui qui a fait l'armée.
Apeu d'importance aux opinions dites politiques, lorsque la nation est en péril de mort - la nation, non pas un nationalisme alors écrasé sous les chars hitlériens, mais la donnée invincible et mystérieuse qui allait emplir le siècle; penser qu'elle dominerait bientôt les doctrines totalitaires dont retentissait l'Europe; voir dans l'unité de la Résistance le moyen capital du combat pour l'unité de la Nation, c'était peut-être affirmer ce qu'on a, depuis, appelé le gaullisme. C'était certainement proclamer la survie de la France.
En février, ce laïc passionné avait établi sa liaison par radio avec Londres, dans le grenier d'un presbytère. En avril, le Service d'information et de propagande, puis le Comité Général d'Etudes étaient formés; en septembre, le Noyautage des Administrations publiques. Enfin, le Général de Gaulle décidait la création d'un "Comité de Coordination" que présiderait Jean Moulin, assisté du chef de l'Armée secrète unifiée. La préhistoire avait pris fin. Coordonnateur de la Résistance en zone Sud, Jean Moulin en devenait le chef. En janvier 1943, le Comité directeur des Mouvements Unis de la Résistance (ce que, jusqu'à la Libération, nous appellerions les Murs), était créé sous sa présidence. En février, il repartait pour Londres avec le général Delestraint, chef de l'Armée secrète, et Jacques Dalsace.
De ce séjour, le témoignage le plus émouvant a été donné par le colonel Passy.
"Je revois Moulin, blême, saisi par l'émotion qui nous étreignait tous, se tenant à quelques pas devant le général et celui-ci disant, presque à voix basse : "Mettez-vous au garde-à-vous", puis : "Nous vous reconnaissons comme notre compagnon, pour la Libération de la France, dans l'honneur et par la victoire". Et, pendant que de Gaulle lui donnait l'accolade, une larme lourde de reconnaissance, de fierté, et de farouche volonté, coulait doucement le long de la joue pâle de notre camarade Moulin. Comme il avait la tête levée, nous pouvions voir encore, au travers de sa gorge, les traces du coup de rasoir qu'il s'était donné, en 1940, pour éviter de céder sous les tortures de l'ennemi".
Les tortures de l'ennemi... En mars, chargé de constituer et de présider le Conseil National de la Résistance, Jean Moulin monte dans l'avion qui va le parachuter au nord de Roanne.
Ce Conseil National de la Résistance, qui groupe les mouvements, les partis et les syndicats de toute la France, c'est l'unité précairement conquise, mais aussi la certitude qu'au jour du débarquement, l'armée en haillons de la Résistance attendra les divisions blindées de la Libération.
Jean Moulin en retrouve les membres, qu'il rassemblera si difficilement. Il retrouve aussi une Résistance tragiquement transformée. Jusque-là, elle avait combattu comme une armée, en face de la victoire, de la mort ou de la captivité. Elle commence à découvrir l'univers concentrationnaire, la certitude de la torture. Désormais, elle va combattre en face de l'enfer.
Ayant reçu un rapport sur les camps de concentration, il dit à son agent de liaison, Suzette Olivier : "J'espère qu'ils nous fusilleront avant". Ils ne devaient pas avoir besoin de le fusiller.
La Résistance grandit, les réfractaires du Travail Obligatoire vont bientôt emplir les maquis; la Gestapo grandit aussi, la milice est partout. C'est le temps où, dans la campagne, nous interrogeons les aboiements des chiens au fond de la nuit; le temps où les parachutes multicolores, chargés d'armes et de cigarettes, tombent du ciel dans la lueur des feux des clairières ou des causses; le temps des caves, et de ces cris désespérés que poussent les torturés avec des voix d'enfants... La grande lutte des ténèbres a commencé.
Le 27 mai 1943, a lieu à Paris, rue du Four, la première réunion du Conseil National de la Résistance.
Jean Moulin rappelle les buts de la France Libre : "Faire la guerre; rendre la parole au peuple français; rétablir les libertés républicaines dans un Etat d'où la justice sociale ne sera pas exclue et qui aura le sens de la grandeur; travailler avec les Alliés à l'établissement d'une collaboration internationale réelle sur le plan économique et social, dans un monde où la France aura regagné son prestige".
Puis, il donne lecture d'un message du Général de Gaulle, qui fixe pour premier but au premier Conseil de la Résistance, le maintien de l'unité de cette Résistance qu'il représente.
Au péril quotidien de la vie de chacun de ses membres.
Le 9 juin, le Général Delestraint, chef de l'armée secrète enfin unifiée, est pris à Paris.
Aucun successeur ne s'impose. Ce qui est fréquent dans la clandestinité : Jean Moulin aura dit maintes fois avant l'arrivée de Serreules : "Si j'étais pris, je n'aurais pas même eu le temps de mettre un adjoint au courant..." Il veut donc désigner ce successeur avec l'accord des mouvements, notamment de ceux de la zone sud. Il rencontrera leurs délégués le 21, à Caluire.
Ils l'y attendent, en effet.
La Gestapo aussi.
La trahison joue son rôle - et le destin, qui veut qu'aux trois-quarts d'heure de retard de Jean Moulin, presque toujours ponctuel, corresponde un long retard de la police allemande. Assez vite, celle-ci apprend qu'elle tient le chef de la Résistance.
En vain. Le jour où, au Fort Montluc à Lyon, après l'avoir fait torturer, l'agent de la Gestapo lui tend de quoi écrire puisqu'il ne peut plus parler, Jean Moulin dessine la caricature de son bourreau. Pour la terrible suite, écoutons seulement les mots si simples de sa soeur : "Son rôle est joué, et son calvaire commence. Bafoué, sauvagement frappé, la tête en sang, les organes éclatés, il atteint les limites de la souffrance humaine sans jamais trahir un seul secret, lui qui les savait tous".
Comprenons bien que pendant les quelques jours où il pourrait encore parler ou écrire, le destin de la Résistance est suspendu au courage de cet homme. Comme le dit Mlle Moulin, il savait tout.
Georges Bidault prendra sa succession. Mais voici la victoire de ce silence atrocement payé : le destin bascule. Chef de la Résistance martyrisé dans des caves hideuses, regarde de tes yeux disparus toutes ces femmes noires qui veillent nos compagnons : elles portent le deuil de la France, et le tien. Regarde glisser sous les chênes nains du Quercy, avec un drapeau de mousselines nouées, les maquis que la Gestapo ne trouvera jamais parce qu'elle ne croit qu'aux grands arbres. Regarde le prisonnier qui entre dans une villa luxueuse et se demande pourquoi on lui donne une salle de bain - il n'a pas encore entendu parler de la baignoire. Pauvre roi supplicié des ombres, regarde ton peuple d'ombres se lever dans la nuit de Juin constellée de tortures. Voici le fracas des chars allemands qui remontent vers la Normandie à travers les longues plaintes des bestiaux réveillés : grâce à toi, les chars n'arriveront pas à temps. Et quand la trouée des Alliés commence, regarde, préfet, surgir dans toutes les villes de France les Commissaires de la République - sauf lorsqu'on les a tués. Tu as envié, comme nous, les clochards épiques de Leclerc : regarde, combattant, tes clochards sortir à quatre pattes de leurs maquis de chênes, et arrêter avec leurs mains paysannes formées aux bazookas, l'une des premières divisions cuirassées de l'empire hitlérien, la division Das Reich.
Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d'exaltation dans le soleil d'Afrique, entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l'un des nôtres. ENtre avec le peuple né de l'ombre et disparu avec elle - nos frères dans l'ordre de la Nuit...
Commémorant l'anniversaire de la Libération de Paris, je disais : "Ecoute ce soir, jeunesse de mon pays, les cloches d'anniversaire qui sonneront comme celles d'il y a quatorze ans. Puisses-tu, cette fois, les entendre : elles vont sonner pour toi".
L'hommage d'aujourd'hui n'appelle que le chant qui va s'élever maintenant, ce Chant des Partisans que j'ai entendu murmurer comme un chant de complicité, puis psalmodier dans le brouillard des Vosges et les bois d'Alsace, mêlé au cri perdu des moutons des tabors, quand les bazookas de Corrèze avançaient à la rencontre des chars de Runstedt lancés de nouveau contre Strasbourg. Ecoute aujourd'hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le Chant du Malheur. C'est la marche funèbre des cendres que voici. A côté de celles de Carnot avec les soldats de l'an II, de celles de Victor Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès veillées par la Justice, qu'elles reposent avec leur long cortège d'ombres défigurées. Aujourd'hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurias approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n'avaient pas parlé; ce jour-là, elle était le visage de la France.


- La Mémoire courte
de Jean Cassou (éd. Mille et Une nuit, 2001)





Jean Cassou, né le 9 juillet 1897 à Deusto et mort le 16 janvier 1986 à Paris, est un écrivain, résistant, critique d'art, traducteur, et poète français. Il est également le directeur-fondateur du Musée national d'art moderne de Paris et le premier président de l'Institut d'études occitanes.


Son père, ingénieur des Arts et manufactures, meurt alors qu'il n'a que seize ans. Jean Cassou effectue ses études secondaires au lycée Charlemagne en subvenant aux besoins de sa famille, puis commence une licence d'espagnol à la Faculté des Lettres de la Sorbonne à Paris. Il la poursuit en 1917 et 1918 en étant maître d'études au lycée de Bayonne et, ajourné plusieurs fois, n'est pas mobilisé pour la Grande Guerre. Secrétaire de Pierre Louÿs, il tient à partir de 1921 la chronique Lettres espagnoles dans la revue Le Mercure de France, époque où il devient l'ami du poète espagnol Jorge Guillén avec lequel il produira toute sa vie de nombreuses correspondances1. Il réussit en 1923 le concours de rédacteur au ministère de l'Instruction publique et publie en 1926 son premier roman. De 1929 à 1931, il est conseiller littéraire des Éditions J.-O. Fourcade2, aux côtés de Henri Michaux.
Devenu inspecteur des Monuments historiques en 1932, Jean Cassou est en 1934 membre du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes et directeur de la revue Europe de 1936 à 1939. En 1936 il participe au cabinet de Jean Zay, ministre de l'Éducation nationale et des Beaux-arts du Front populaire. Il est alors favorable à l'aide à la République espagnole, se rapproche du Parti communiste avec lequel il rompt en 1939 lors du pacte germano-soviétique. En avril 1940 il est affecté au Musée national d'art moderne dont il devient conservateur adjoint, puis conservateur en chef durant quelques semaines avant d'être destitué en septembre 1940. Tandis qu'approchent les armées allemandes, il est envoyé au château de Compiègne et se consacre à la sauvegarde du patrimoine national.


Révoqué de son poste de conservateur du Musée d'art moderne par le régime de Vichy, il entre dans la Résistance dès septembre 1940, rédigeant ses premiers tracts. Il protège Wilhelm Uhde. Retrouvant certains de ses amis qui partagent ses options, Claude Aveline, Agnès Humbert, il rencontre le groupe clandestin du Musée de l'homme, Boris Vildé, Anatole Lewitsky et Paul Rivet. Avec Aveline, Agnès Humbert, Simone Martin-Chauffier, Marcel Abraham et Pierre Brossolette, il assure la rédaction du journal du groupe Résistance (six numéros de décembre 1940 à mars 1941). Tandis que de nombreux membres du groupe du musée de l'Homme sont arrêtés, il échappe à la Gestapo et se réfugie à Toulouse. Agent du « réseau Bertaux » à partir d'août 1941. Il est arrêté en décembre 19413 pour ses activités au musée de l'Homme et emprisonné à la prison militaire de Furgol à Toulouse où il compose de tête, sans la possibilité de les écrire, ses Trente-trois sonnets composés au secret, publiés clandestinement au printemps 1944 sous le pseudonyme de Jean Noir4. Grâce au Front national des musiciens, Henri Dutilleux en prit connaissance, et mit l'un des poèmes, La Geôle, en musique.
Libéré après un an de prison, il est envoyé par la ST au camp d'internement de Saint-Sulpice (Tarn). Sur injonction de la Résistance au directeur de la ST, il est libéré en juin 1943 et reprend ses activités de résistant comme inspecteur de la zone Sud. Il est également rédacteur des Cahiers de la Libération et Président du Comité régional de Libération de Toulouse. Le Gouvernement provisoire de la République française le nomme en juin 1944 commissaire de la République de la région de Toulouse ; il y côtoie Serge Ravanel, chef régional des FFI. En août, au moment de la libération de la ville, sa voiture rencontre une colonne allemande : deux de ses compagnons sont tués et il est laissé pour mort. Transporté à l'hôpital dans le coma il est remplacé mais maintenu dans son titre, dont il démissionne après un an de convalescence.
En 1945 Jean Cassou retrouve sa fonction de conservateur en chef des Musées nationaux et est nommé conservateur en chef du Musée national d'art moderne, poste qu'il occupe jusqu'en 1965. En 1971 il reçoit le Grand Prix national des lettres et en 1983 le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres pour l'ensemble de son œuvre. Il meurt le 16 janvier 1986 et est enterré au cimetière parisien de Thiais. Il fut un militant actif du Mouvement de la Paix et était le beau-frère du philosophe Vladimir Jankélévitch (1903-1985).


Normal 0 21 false false false FR X-NONE X-NONE  Avec les voix de Charles de Gaulle, Germaine Tillion (archives INA)

Programmation musicale
« LE CHANT DES PARTISANS » par Yves MONTAND


« LES LOUPS SONT ENTRES DANS PARIS » par JULIETTE




Merci pour une émission exceptionnelle, pour le choix des textes et la qualité de la lecture, à commencer par l'admirable "Armée des ombres", livre et film, ceux que l'on découvre et, même pour les textes connus par cœur, la lecture leur redonne vie.
Et par les temps qui courent il est utile de rappeler un passé qui ne doit pas passer.
Cette émission, d'une qualité constante, permet de (re)découvrir des textes oubliés.


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