Édith Piaf

 

La lettre d'info Culture et Loisirs Vendredi 6 octobre 2023

Édith Piaf : ses belles-sœurs et héritières sortent du silence Art-Expos Patrimoine Programme TV ce soir Enchères Billetterie Accueil    Culture    Musique Édith Piaf: ses belles-sœurs et héritières sortent du silence Par Léna Lutaud Mis à jour il y a 2 heures Lien copié Écouter cet article 00:00/13:17 Edith Piaf, photos personnelles inédites ACCÉDER AU DIAPORAMA (9) PHOTOS EXCLUSIVES - Pour les 60 ans de la disparition d’Édith Piaf, le 10 octobre 2023 et la grande messe en son honneur à Paris le 14 octobre, ses ayants droit dévoilent leurs souvenirs. Catherine Glavas Lamboukas et Christie Laume sont les sœurs de Théo Sarapo, le dernier grand amour de la Môme. Pendant 60 ans, Catherine Glavas Lamboukas qui partage le droit moral d’Edith Piaf avec sa sœur a toujours refusé d’évoquer ses souvenirs de la chanteuse. Aujourd’hui, cette septuagénaire élégante installée dans l’ouest parisien a exceptionnellement accepté de parler au Figaro et surtout de nous confier ses photos de famille. Sur ces clichés en noir et blanc, on découvre à quel point Edith Piaf était heureuse aux côtés de Théo Sarapo (de 19 ans son cadet) et de sa famille immigrée de Grèce. Discrète, sans aucune expérience des médias, Catherine Glavas Lamboukas, petite sœur de Théo Sarapo, a accepté de parler de tout sauf de l’argent que les droits d’auteur d’Édith Piaf rapportent à sa famille. Célèbre à l’international, co-auteur de La Vie en rose, Piaf est l’une des rares artistes dont l’engouement ne s’épuise pas avec le temps. Bien au contraire. Elle est même devenue un personnage historique auquel de plus en plus de personnes s’identifient. Les hommages pour les 60 ans de sa disparition le 10 octobre sont l’occasion pour sa belle-soeur de réhabiliter son cher frère Théo avec qui la chanteuse a vécu une très belle histoire d’amour les deux dernières années de sa vie. Un album Warner Music Piaf Symphonique sortira le 13 octobre. LE FIGARO : Il y a quelques jours, lors de leur visite à la BNF, Brigitte Macron a fait admirer à la reine Camilla, une robe d’Edith Piaf. Cela vous rend fière? Catherine Glavas Lamboukas : C’est extraordinaire, vous me l’apprenez. Le roi Charles III a également mentionné Edith Piaf lors du grand dîner au Château de Versailles. Il a mentionné dans son discours que sa mère la reine Elisabeth II avait été applaudir Edith dans un cabaret parisien en 1947. Je suis très contente du travail que fait la BNF (Bibliothèque nationale française) pour sa mémoire. Au milieu des années 2000, ils avaient organisé une très belle exposition. Que préparez-vous à titre personnel pour commémorer les 60 ans de la disparition d’Edith Piaf ? Comme chaque année, je fais installer le 10 octobre sur la tombe au Père-Lachaise où Edith repose avec mon frère, le père d’Edith et sa petite fille Marcelle, une grande corbeille de fleurs rouges et blanches. Le 14 octobre, j’assisterai avec ma soeur à une grande messe donnée à 10h30 dans l’église Saint-Jean-Baptiste à Belleville, là où Edith avait été baptisée. L’association des amis d’Edith Piaf a comme toujours très bien fait les choses. A 11h45, Anne-Sophie Guerrier et son accordéoniste chantera sur le parvis. L’idée de ce concert en plein air gratuit est de le faire comme Edith quand elle chantait dans la rue. Anne-Sophie Guerrier a crée «Montmartre en chansons», une visite chantée de ce quartier qu’Edith a si souvent fréquenté. Puis nous organiserons un cocktail. L’an dernier, la cérémonie avait eu lieu à l’église orthodoxe grecque Saint-Stéphane à Paris là où Edith et Théo s’étaient mariés religieusement en 1962. L’idée était aussi de commémorer le cinquantenaire du décès de Théo que nous n’avions pas pu faire en 2020 et en 2021 à cause de la pandémie. C’est notre église familiale là où nous avons célébré les évènements heureux comme les naissances et les mariages mais aussi tous les enterrements. En présence de Charles Dumont, d’Enrico Macias, de Nicoletta, d’Hervé Vilard, Chimène Badi a chanté Mon Dieu a cappella. C’était magnifique. Depuis quand possédez-vous avec votre sœur, le droit moral d’Edith Piaf ? À sa mort en 1963, elle a fait de notre frère aîné Théo Sarapo, son légataire universel. Notre famille est d’origine grecque. Il avait pris Théo Sarapo (je t’aime en grec) comme nom de scène mais son vrai nom est Théophanis Lamboukas. Il était son second et dernier mari. Ils s’adoraient et ont chanté ensemble le duo A quoi ça sert l’amour qui est devenu un succès international. Théo a hérité du droit moral donc celui d’autoriser l’utilisation de l’image de Piaf et de ses chansons dans des films, des publicités... Financièrement, il a hérité des droits d’auteur de ses chansons (303 inscriptions à la SACEM, NDLR) notamment La Vie en Rose et L’Hymne à l’amour qu’elle a cosigné. Il a aussi hérité des royalties versées par les maisons de disques. Mais par ailleurs, Edith n’a laissé que des dettes. Il n’y avait pas de fortune sur un compte en banque, pas d’immobilier ou de tableaux ou de bijoux ayant de la valeur. Les années après la mort d’Edith ont été très dures. Théo et Edith avaient dix-neuf ans d’écart mais s’adoraient. Malgré sa tristesse, Théo qui était chanteur a dû donner de nombreux concerts notamment à l’étranger pour arriver à vivre. L’État saisissait la moindre recette. Théo a mis un point d’honneur à rembourser intégralement ces dettes. Et il y est arrivé. Pendant des années, les gens ont beaucoup jasé allant jusqu’à le décrire comme un gigolo. En soixante ans, vous n’avez jamais donné d’interview. Jusqu’à cette année 2023. Souhaitez-vous le réhabiliter ? Je veux qu’on rende cette année hommage à Edith et en même temps donner à Théo, la place qu’il mérite. Il a été tellement bon pour Edith. Elle a vécu un vrai conte de fées avec lui. Ils ont vécu deux ans ensemble de 1961 au décès d’Edith en 1963. Il était toujours à ses côtés. Il la protégeait beaucoup. Lui apportait des coussins si elle était couchée. Il était plein d’un amour sincère. Elle avait eu deux graves accidents de voiture, l’un en France, un autre aux États-Unis. Cela lui avait donné de l’arthrite et comme elle se donnait trop à son métier, elle était souvent fatiguée. Théo s'est retrouvé avec une quarantaine de millions de francs de dettes. Il a toujours refusé d'éparpiller ses souvenirs dans une vente aux enchères. Catherine Glavas Lamboukas Elle est partie d’un coup à seulement 47 ans. Juste avant, elle se reposait à Grasse et avait ordonné à Théo d’accepter le tournage de Judex par Franju à Paris. Il faisait toujours des allers-retours. Quand il a appris qu’elle n’allait pas bien, il est revenu aussitôt et elle est décédée dans ses bras. Dans la nuit, il est remonté en ambulance avec elle jusqu’à Paris. Là seulement, a été annoncée la mort d’Edith. Il était dans un état... Le corps d’Edith a été exposé deux jours dans la bibliothèque de leur appartement boulevard Lannes dans l’ouest parisien. Il y avait foule. Après l’enterrement, Théo a vécu trois ans boulevard Lannes. Il ne sortait quasiment pas, tellement il était triste. Il n’a jamais eu la reconnaissance qu’il aurait dû avoir. Petit à petit, les gens comprennent à quel point il a été un mari extraordinaire. Il a remboursé toutes les dettes d’Edith. Elle gagnait évidemment beaucoup mais tout avait été dilapidé dans le train de vie de la maison, les frais de maladie... Il s’est retrouvé avec une quarantaine de millions de francs de dettes. Il a toujours refusé d’éparpiller ses souvenirs dans une vente aux enchères. Il n’a pas fait de scandales quand des proches collaborateurs d’Edith sont partis avec des objets. Comment Théo a-t-il rencontré Edith ? Mes parents étaient coiffeurs immigrés de Grèce. Théo devait signer un contrat comme coiffeur chez Elisabeth Arden. Une semaine avant, il était sorti faire la fête à Saint-Germain-des-Prés avec un copain. Ils avaient tous les deux fait la guerre d’Algérie et Théo en était rentré très perturbé. Il vivait encore chez mes parents et le dernier train était à une heure du matin. Il l’a manqué, le suivant était à cinq heures du matin. Un copain leur a proposé de venir avec lui chez Edith Piaf. La nuit, elle répétait énormément au piano. Théo s’est mis dans un coin sans rien dire. Elle a flashé sur ce beau garçon si réservé. Le lendemain, elle l’a invité à dîner. La première rencontre entre Edith et vos parents s’est bien passée ? Ils avaient quasi le même âge, à l’époque cela ne devait pas être évident. Un soir, Edith est venue chercher Théo avec son chauffeur. Il nous a dit qu’elle était dehors dans sa voiture et nous sommes tous sortis la saluer. Elle était très intimidée face à mon père qui était impressionnant. Maman lui dit a très gentiment “venez dimanche prendre le thé” et de là, Edith a fait partie de la famille. J’ai décollé pour vous mes photos de famille de mes albums (elle les sort d’une enveloppe une par une, NDLR). Regardez comme Edith est heureuse parmi nous. Comment elle et maman se tiennent la main sur le canapé. Edith adorait mes parents. Elle venait tous les dimanches. Elle disait à Théo qu’il ne se rendait pas compte de sa chance d’avoir une telle famille, pleine de joie. Edith était très intelligente, très gentille avec moi, elle aimait rire et c’était une battante. On parle toujours des drames de sa vie mais elle a aussi eu beaucoup de bons moments où elle a été très heureuse. Théo est mort d’un accident de voiture à seulement 34 ans. Après le décès de notre mère en 1986 et celui de notre père en 1992, je suis devenue ayant droit à parts égales avec ma sœur Christie Laume. Catherine Glavas Lamboukas Vous aviez quinze ans quand Edith vous a emmené un mois d’été en tournée au début des années 60 . Quels souvenirs en gardez-vous ? En juin, elle a demandé à mes parents si elle et Théo pouvaient m’emmener. Mes parents lui ont dit oui, on vous la confie. Nous partagions la même suite au Majestic à Cannes. Edith ne me lâchait pas des yeux une seconde. Je pouvais aller à la plage mais toujours avec elle et quand elle était sur scène, j’étais derrière le rideau. J’ai tellement de souvenirs comme quand elle dansait en chantant La Foule. À la fin du spectacle, je repartais toujours avec elle. Le matin, on petit-déjeunait sur la terrasse du Majestic, l’après-midi on allait aux répétitions et le soir, on avait le spectacle. À Paris, j’étais souvent chez eux Boulevard Lannes. C’était un immense appartement de 300 mètres carrés au rez-de-chaussée. Il y avait peu de meubles. Dans le salon, elle avait son grand piano où elle répétait. Je m’asseyais et j’écoutais. Avec le recul, je me rends compte de la femme extraordinaire qu’elle était. Théo est décédé tragiquement d’un accident de voiture le 28 août 1970. Qui a hérité ensuite d’Edith Piaf ? Théo est mort sur la RN 141 à la sortie de Panazol à cause d’un chauffard ivre qui a doublé sans visibilité. Pour l’éviter, le conducteur qui était avec Théo a donné un coup de volant. La voiture a quitté la route et s’est encastrée dans un platane du côté où était assis Théo. Il est décédé à l’hôpital de Limoges trois heures plus tard. Il avait seulement 34 ans. Mes parents ne se sont jamais remis de sa disparition. Après le décès de notre mère en 1986 et celui de notre père en 1992, je suis devenue ayant droit à parts égales avec ma sœur Christie Laume. Elle vit depuis des décennies aux États-Unis. Si je me suis consacrée à ma famille, elle a été chanteuse. Pour la lancer, Edith l’avait prise pendant un an pour assurer ses premières parties. Nous sommes aujourd’hui respectivement âgées de 75 et 81 ans (rires, NDLR). Le droit moral d’Edith sera ensuite partagé entre ma fille qui travaille dans la haute joaillerie et les deux enfants de ma sœur. Ils ont aujourd’hui une cinquantaine d’années. Nous continuerons à toucher des droits d'auteur de la Sacem encore pendant dix ans puis les chansons qu'elle a cosignées tomberont dans le domaine public. Catherine Glavas Lamboukas En six décennies, combien d’argent a rapporté Edith Piaf à votre famille ? Cela a dû permettre à tous de vivre sans avoir à travailler ? Je ne veux pas parler de ça. En France, nous continuerons à toucher des droits d’auteur de la Sacem encore pendant dix ans puis les chansons qu’elle a cosignées tomberont dans le domaine public (70 ans après le décès du dernier auteur, NDLR). Nous continuerons à les toucher dans les pays où la protection du droit d’auteur est plus longue. Aux Etats-Unis par exemple, c’est 95 ans après la date de publication de la chanson. En France, les droits issus des enregistrements audiovisuels sont terminés. En France toujours, les royalties versées par les maisons de disques sont bientôt finis aussi. Comment cela se passe-t-il quand des réalisateurs comme Claude Lelouch, Olivier Dahan ou des marques souhaitent utiliser des chansons ou l’image d’Edith Piaf ? Ils s’adressent à notre conseil, Maître André Schmidt. Il nous transmet les demandes et après en avoir discuté ensemble, nous acceptons ou refusons. C’est un honneur d’être l’ayant droit d’Edith Piaf. Nous avons refusé beaucoup de projets comme d’en faire un hologramme pour donner des concerts virtuels. À l’époque de mes parents, une marque de biscuits avait demandé de pouvoir mettre une photo d’Edith sur une boîte à gâteau. Inconcevable. À l’inverse quand la maison Dior utilise l’image et les chansons d’Edith Piaf, c’est toujours fait avec grand respect. Même chose pour Warner Music est venue nous proposer d’enregistrer ce disque avec une nouvelle orchestration à l’occasion des soixante ans de la disparition d’Edith, nous avons accepté avec joie. L’enregistrement a été fait au studio mythique d’Abbey Road avec soixante musiciens. Les ingénieurs du son ont réussi à isoler sa voix et quand je l’écoute, l’émotion est intacte. Ils ont fait un travail remarquable. Piaf Symphonique Warner Music Piaf Symphonique, Warner Music, 13 octobre en version CD, vinyle et digitale. La rédaction vous conseille Quand Édith Piaf ne voyait pas la vie en rose L'histoire secrète de La Vie en rose d'Édith Piaf Découvrez la collection «Le meilleur du prix Goncourt» Sujet Edith Piaf 33 commentaires Aspasie et Périclès  le 06/10/2023 à 18:37 Non, σ'αγαπώ, ne se prononce pas sarapo mais sagapo. Xophe  le 06/10/2023 à 16:41 Nous n'avons pas à juger ce qui a rapproché Edith et Théo. Apparemment ce garçon était quelqu'un de très gentil et il s'est attaché à cette femme sincèrement. Rene Mettey  le 06/10/2023 à 16:33 "la grande messe en son honneur à Paris le 14 octobre, " Oui, elle le mérite. Edith Piaf a toujours été religieuse et priait Ste Thérèse de Lisieux. Johny s'est toujours procamé catholique. Mais je m'interroge sur tous ces artistes ou hommes publiques qui n'ont aucune attention pour l'Eglise de toute leujr vie et que l'on enterre en fanfare à l'église !!! PHOTOS EXCLUSIVES - Pour les 60 ans de la disparition d’Édith Piaf, le 10 octobre 2023 et la grande messe en son honneur à Paris le 14 octobre, ses ayants droit dévoilent leurs souvenirs. Catherine Glavas Lamboukas et Christie Laume sont les sœurs de Théo Sarapo, le dernier grand amour de la Môme.

 

Balade à Auvers-sur-Oise

 

Balade à Auvers-sur-Oise, où les toiles de Van Gogh se superposent aux paysages

Les derniers mois de sa vie, l’artiste les passa dans cette commune prisée des impressionnistes, comme le rappelle l’exposition exceptionnelle du Musée d’Orsay. Qui donne furieusement envie de marcher sur les pas du peintre.

« L’Église d’Auvers-sur-Oise », 1890. Musée d’Orsay

Quand on arrive de Paris par la route, en venant de Méry-sur-Oise, l’église Notre-Dame d’Auvers-sur-Oise se dresse tout au bout de la ligne droite, sur la colline, haute et impressionnante comme une fusée sur sa rampe de lancement. Aussi saisissante que celle du tableau emblématique de Van Gogh, se dit-on. Mais de près, le bel édifice du XIIᵉ siècle se révèle plus complexe à saisir dans sa globalité, campé sur une esplanade bordée de bâtiments et de murets, et à demi caché par des arbres bien plus grands que sur la toile. De l’arrière, difficile de retrouver le cadrage du tableau conservé au musée d’Orsay. On a beau changer d’axe, reculer jusqu’à se retrouver dos au mur de la propriété d’à côté, on se demande où le peintre a bien pu placer son chevalet. Les 4 et 5 juin 1890, le Hollandais s’est pourtant posé ici même, dans le tournant de l’actuelle rue Ferdinand-Mesny, avec son barda et ses couleurs, au dos de l’édifice religieux qu’il représente sous un angle impossible dans la réalité. Faisait-il beau, était-il à contre-jour ? L’artiste a plongé son motif dans ce bleu abyssal imprimant la rétine quand on est ébloui, et dispersé des centaines de bâtonnets au sol, coups de pinceau vifs qui fourmillent comme s’il avait regardé le soleil en face.

Van Gogh est arrivé à Auvers par le train, à l’époque où le trajet entre la capitale et le petit bourg de campagne, déjà prisé des Parisiens, se faisait sans arrêt. Les citadins y affluent et s’y font construire de belles maisons cossues, dont on longe aujourd’hui les hauts murs croulant sous la verdure, sans pouvoir toujours apercevoir les propriétés. Le bourg est passé, du temps de Van Gogh à nos jours, c’est-à-dire en cent trente-trois ans, de deux mille à sept mille habitants, mais semble avoir conservé le calme de la campagne. Le charme, c’est sûr. Grâce à, ou à cause de, dit-on ici, la desserte ferroviaire, qui, n’étant plus directe aujourd’hui, l’épargne de l’envahissement, sauf à la belle saison, où le train dit « des impressionnistes » relie Paris à Auvers matin et soir sans arrêt, en moins d’une heure depuis la gare du Nord. Les visiteurs débarquent en nombre — moins qu’à Giverny — sur les traces de l’artiste et s’égaillent le long de la grande rue, colonne vertébrale s’étirant en longueur sur 7 kilomètres. Mais pas en largeur, l’agglomération étant coincée par l’Oise en contrebas, que Van Gogh n’aura peinte qu’une fois, et par une colline en pente forte de l’autre côté, surplombée d’un plateau où les blés n’ont pas encore mûri en ces premiers jours de chaleur. Entre les deux, des falaises calcaires, exploitées en carrières, ont servi à la construction des maisons pendant des siècles, comme la propriété du Dr Gachet, qui accueillit le peintre à son arrivée. Acquise par le département du Val-d’Oise dans les années 1990, elle est actuellement en travaux et fermée à la visite. Mais on aperçoit, derrière la grille, un grand escalier en pierre creusé dans la pente menant de la rue au jardin situé au-dessus, peint par l’artiste, qui a joué des différents niveaux.

« Vue d’Auvers », mai-juin 1890. Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation)

C’est sur ce territoire « gravement beau », écrit Van Gogh à son frère dès les premiers jours, tout en dénivelés, en ruelles et chemins creux, en vallons ou en raidillons multipliant les points de vue, que Van Gogh s’est littéralement immergé entre le 20 mai et le 29 juillet 1890 pour produire à un rythme effréné soixante-quatorze tableaux, tous peints sur le motif à raison de dix à quinze heures de travail par jour. À force de recherches, sur le terrain comme dans sa correspondance, les historiens ont réussi à localiser presque tous les sites où il a travaillé. Depuis les années 2000, un « parcours Van Gogh » permet sur place, avec l’aide d’un plan et en suivant les panneaux pour visualiser les reproductions d’œuvres in situ, de mettre ses pas dans les pas du travailleur pas si solitaire que ça.

 Van Gogh au musée d’Orsay : une expo exceptionnelle, qui se lit comme un journal intime

À l’été 1890, Van Gogh, matériel sur le dos, rencontre nombre de paysans et de peintres, l’endroit étant depuis longtemps le terrain de prédilection des artistes. Rien n’a vraiment changé en 2023 dans ces étendues toujours cultivées, si ce n’est la nature des cultures céréalières ou maraîchères et le parfait alignement des buttes de terre, faites à la machine, d’où percent quelques feuilles de pommes de terre. On croise aussi de nombreux marcheurs sur les chemins poussiéreux en cette période de sécheresse, ceux-là graves, recueillis, sûrement tous conscients de suivre une route qui, pour l’artiste, s’est arrêtée non loin. À un carrefour, un panneau indique le lieu où a été peint, le 8 juillet 1890, le Champ de blé aux corbeaux, dont l’image, fortement délavée au soleil, laisse pourtant filtrer l’angoisse.

Ce n’est pas, comme on l’a longtemps cru, l’endroit où Van Gogh tenta de mettre fin à ses jours. L’emplacement exact n’est pas connu. Le 27 juillet 1890, jour de son suicide, l’artiste blessé au ventre après s’être raté regagne sa chambre à l’auberge Ravoux, située sur la grande rue, en face de la mairie. L’auberge, classée monument historique en 1985, forme le véritable cœur névralgique d’Auvers, où tout converge. Achetée par le Belge Dominique-Charles Janssens, homme d’affaires ayant tout quitté pour lui redonner vie, elle abrite depuis 1993 au rez-de-chaussée l’auberge proprement dite, où l’on peut manger, dont le décor typique de la fin du XIX^e siècle a été restauré, avec rideaux de guipure refaits à l’identique d’après une carte postale. Les carreaux de ciment en trompe l’œil, les murs cirés, retrouvés sous les enduits, sont dans leur jus. Van Gogh les avait sous les yeux quand il était à sa table attitrée, au fond de la salle.

Restaurée, consolidée, blindée, l’auberge Ravoux conserve surtout sous les combles, au deuxième étage, la chambre de Van Gogh, la numéro 5, à laquelle on accède, en tout petits groupes, par un escalier à la patine sans âge. Au mur, une vitrine sécurisée aurait dû abriter un tableau de Van Gogh, Le Jardin à Auvers, que Dominique-Charles Janssens rêvait de ramener dans la chambre de l’artiste. Le prêt d’un collectionneur particulier était accordé, mais les assurances en ont décidé autrement et la vitrine n’a pas servi. Une patte de fixation, scellée dans le mur à gauche, qui devait soutenir un miroir, et de profonds sillons dans le plâtre, à l’emplacement de la tête du lit en fer, sont les seules traces de la vie d’avant de cette chambre de 7 mètres carrés éclairée par une lucarne, où Vincent Van Gogh est mort dans la nuit du 28 au 29 juillet 1890. Aucun meuble ni objet, hormis une chaise en son centre, toute simple, paillée, qui vous projette puissamment à son chevet.

« Jardin à Auvers-sur-Oise », 1890. Collection particulière

s « Van Gogh à Auvers-sur-Oise, les derniers mois », musée d’Orsay, jusqu’au 4 février 2024, tljs sf lundi, 9h30-18h, nocturne les jeudis jusqu’à 21h45 ; catalogue coédition Hazan / Musée d’Orsay, 45 euros.

Auberge Ravoux maisondevangogh.fr
Office du tourisme d’Auvers-sur-Oise tourisme-auverssuroise.fr
Château d’Auvers-sur-Oise chateau-auvers.fr

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