samedi 22 août 2020

LA BIBLIOTHÉRAPIE




Pourquoi la lecture est un excellent moyen de s'extraire de l'anxiété ambiante

 Quel moment plus propice que l’été pour se plonger dans un bon livre? Que l’on puisse partir en vacances ou pas, loin de chez nous ou à proximité, la lecture est toujours un excellent moyen de s’évader. Et c’est certainement plus vrai encore lorsque l’on traverse un moment difficile.
Preuve en est, pendant le confinement mis en place entre mars et mai pour endiguer l’épidémie de coronavirus, les Français ont lu plus que jamais. Un sur deux (54%) a lu au moins un ouvrage pendant cette période, selon un sondage Harris réalisé pour le site Actualitte. Et en moyenne, ils ont lu 2,5 livres.
Bien sûr, vider sa pile à lire ou découvrir de nouveaux ouvrages était un moyen de passer le temps, parfois long. Mais, comme le souligne par exemple une enseignante interviewée par Le Figaro, la lecture a été pour certains un véritable moment “pour s’échapper de ce quotidien morose”. Un “antidote”, pour reprendre le terme du quotidien.
Aujourd’hui, le confinement est derrière nous, mais la situation sanitaire est toujours anxiogène. L’inquiétude des Français repart même à la hausse en juillet, selon un sondage Ifop pour L’Express: 69% d’entre eux sont préoccupés pour eux-mêmes ou leur famille.
Même si les autorités se veulent rassurantes à propos d’une deuxième vague, la menace de celle-ci plane dans les esprits et rend difficile toute anticipation de l’avenir, même proche, pour programmer, par exemple, des vacances d’été.

Soigner les problèmes de la vie

Dans ce contexte, la littérature, quelle que soit sa forme, a de nombreux bienfaits à nous apporter et peut nous permettre d’oublier, le temps d’un livre, l’anxiété ambiante.
Selon les principes de la bibliothérapie, un roman peut même “soigner les problèmes de la vie”, comme l’expliquent les bibliothérapeutes Ella Berthoud et Susan Elderkin, co­-auteures de “Remèdes littéraires”.
“L’un des principaux effets secondaires de la lecture est qu’elle peut révolutionner notre vision du monde”, explique Susan Elderkin interrogée par nos confrères américains du HuffPost. “Nous avons commencé à réaliser que beaucoup de gens en avaient fait l’expérience à un moment ou à un autre de leur vie, lorsque la lecture d’un roman les avait aidés à porter un regard neuf sur les choses.”
Les recherches scientifiques démontrent les nombreux bienfaits de la lecture: elle permet de réduire le stress, d’améliorer la qualité du sommeil, de soulager les symptômes de la dépression ou encore de protéger le cerveau de la maladie d’Alzheimer. Une étude de 2013 a même montré que le fait de lire des romans pouvait aider à développer notre empathie, en nous “transportant émotionnellement” dans d’autres lieux et en nous rapprochant de nouveaux personnages.

Trouver des réponses

Comme l’explique Régine Detambel, kinésithérapeute et écrivain, interviewée par Le HuffPost (à voir dans la vidéo ci-dessous), chacun peut trouver des solutions à ses problèmes à travers la lecture: deuil, ruptures, questionnements, doutes... Alors pourquoi pas en temps de crise?
Ce n’est pas pour rien qu’autant de Français se sont plongés dans des romans relatant des pandémies pendant le confinement. “Avec ce livre, les gens cherchent à comprendre pourquoi et comment une telle catastrophe a pu se produire. J’imagine que ces scénarios catastrophes les aident à apprivoiser ce réel effrayant, à se familiariser avec cette pandémie”, raconte auprès du Figaro l’administratrice d’un groupe de lecture en ligne, lectrice comme tant d’autres de “Pandemia” de Franck Thilliez.
Au-delà de la bibliothérapie, la lecture est également un excellent moyen de se relaxer. Selon une étude réalisée en 2009 par l’université de Sussex (Angleterre), elle est le moyen le plus efficace pour lutter contre le stress, meilleure encore que l’écoute de musique ou une petite marche.
Pour toutes ces raisons, Le HuffPost a voulu mettre en avant les livres, pas seulement pour leurs contenus, mais en ce qu’ils sont presque des médicaments pour certains, et un possible antidote à l’anxiété ambiante. En ce milieu du mois d’août, et à l’approche de la rentrée littéraire, nous avons voulu mettre l’accent sur cette lecture remède pendant les vacances d’été. Vous pourrez découvrir tous les articles de notre dossier spécial du 16 au 22 août.




À voir également sur Le HuffPost: La recette de cette booktubeuse pour intéresser à la lecture


mercredi 19 août 2020

QUESTION

 « Une femme est ce que son mari la fait »

Qu'en pensez-vous ?

SIMONE DE BEAUVOIR

omme les années précédentes, nous avons repris notre carnet de notes et notre crayon pour rencontrer les personnages de l’Histoire qui ont marqué leur époque et au-delà, changé le monde.  Le projet, un peu osé convenons-en, a été de leur demander de nous accorder un entretien pour revisiter le bilan de leur action et vérifier si leur lecture de l’Histoire permettait de mieux comprendre notre actualité.
Alors bien sûr, ces personnages étant aujourd’hui disparus, leurs interviews sont imaginaires, mais beaucoup moins qu’on ne le croirait. Les historiens ne nous en voudront pas, nous avons puisé les réponses dans ce que ces personnages ont écrit dans leurs mémoires et ce que les historiens nous ont apporté sur leur parcours.
Et cette année, nous avons choisi d’interroger des femmes qui ont marqué l’histoire, dans tous les domaines, parce que notre actualité aujourd’hui est fortement impactée par les discours féministes, les révoltes et parfois les excès. Ces femmes de l’Histoire ont sans doute été précurseurs, mais pas seulement.
Aujourd’hui, Simone de Beauvoir. Une anticonformiste, une libératrice, une féministe. Elle restera une des principales instigatrices du mouvement féministe, mais elle avait aussi ses partis pris politiques. N’a-t-elle pas adhéré aux thèses communistes ? Le Castor, comme l’appelait affectueusement Sartre, a toujours su faire face aux critiques, avec beaucoup d’adresse.

Un petit mot sur notre interviewée du jour

Simone de Beauvoir est née en 1908 et morte en 1986. Parisienne devant l’éternel, elle est née à l’endroit exact de l’actuelle Rotonde, Boulevard du Montparnasse et a résidé toute sa vie dans ce fameux quartier de Saint-Germain-des-Prés, se réunissant avec la « petite famille », Sartre, Nizan, Maheu et les autres, dans les cafés littéraires du coin, le Café de Flore ou aux Deux magots. Ils y parlaient philosophie du matin au soir. L’existentialisme est né de leurs échanges et restera un courant philosophique dominant au XXème siècle.
Simone est née dans une famille bourgeoise, mais sans un sou.  La famille de Beauvoir, des banquiers-rentiers depuis plusieurs générations, se sont retrouvés ruinés avec la perte des «emprunts russes ». Les parents incitent leurs deux filles à faire des études, pour se trouver, plus tard, un métier.
A l’Ecole Normale Supérieure, Simone de Beauvoir rencontre son alter ego masculin, Jean-Paul Sartre. Lui l’appelait le Castor, parce que Beauvoir en anglais se dit beavor. Ils ne se sont plus quittés. Mais ils ont vécu une vie amoureuse à part, faite d’amour nécessaire et d’amours contingentes. Et les deux philosophes ont fait leur trou aussi, de l’autre côté de l’Atlantique. Les Américains ont très vite adhéré aux thèses existentialistes. Simone de Beauvoir a même failli y rester, tombé amoureuse d’un sociologue américain. Mais l’ambition de l’intellectuelle – et aussi Sartre - la fera revenir en France.
Dans sa réflexion philosophique, Beauvoir a choisi comme objet d’étude ce qui n’avait encore jamais été étudié : la condition féminine. « On ne naît pas femme, on le devient », dans son ouvrage phare, Le Deuxième sexe publié en 1949, où elle démontre que la féminité est une construction culturelle, et non naturelle, reprenant les thèses existentialistes où l’individu est ce qu’il est par ses actions. Homme et femme, pour elle, ce devrait être la même chose.
Les féministes s’approprieront cette pensée, mais certaines iront plus loin en affirmant la supériorité du sexe féminin.
Beauvoir, qui s’est faite rare en interview jusqu’à la fin de sa vie, est morte le 14 avril 1986,  6 ans après Sartre.

Bonjour Simone de Beauvoir. Chignon serré, tailleur en tweed, seul le turban pour dénoter un peu. Vous n’aviez pas le même look que les féministes d’aujourd’hui, les Femen par exemple…

Simone de Beauvoir : Fort heureusement non, sinon je ne serais pas très habillée. Choquer pour choquer, voilà ce que veulent les féministes aujourd’hui. Mais leurs revendications sont bien faibles. J’ai été une femme de conviction, mais je n’ai jamais été une radicale.

Vous êtes la mère non pas d'enfants biologiques mais de tous les enfants du féminisme. Et vous êtes la femme qui a pour la première fois, étudié la femme. On va justement s’intéresser à vous, en tant que femme. Qu’est-ce qui a pu forger cette idéologie féministe ? Votre enfance ? Vous vous êtes révoltée très tôt contre votre mère, trop droite et trop bigote, selon vos dires. Vous avez voulu devenir son exacte opposée ?

Simone de Beauvoir : Ma mère, Françoise, je l’ai toujours profondément respectée et aimée bien sûr. Mais je ne sais pas si elle a été véritablement heureuse dans toute sa vie d’épouse. Elle a bien sûr été une femme d’intérieure, à passer l’encaustique sur tout ce qu’il était possible d’encaustiquer. Et le tout avec beaucoup de bondieuseries. « Une femme est ce que son mari la fait », c’était ce qu’elle aimait me dire. La thèse de mes parents, mais de beaucoup de personnes aussi, à cette époque dans les familles bourgeoises. Moins les femmes prenaient d’initiatives et mieux les hommes pensaient se porter. Tout cela était illusoire.
Figurez-vous qu’à la mort de mon père, elle a connu une certaine libération. Elle a appris à vivre pour elle-même, car il lui a fallu travailler. C’était pour elle une réalisation de ce qu’elle avait toujours voulu sans pouvoir l’exprimer. Par l’indépendance économique, elle avait trouvé l’indépendance d’esprit.
Pourtant, mes parents ne m’avaient jamais interdit de travailler. Alors qu’on était à une époque où la réussite des femmes passait plus par un beau mariage, moi, je partais avec un sacré fardeau puisque mes parents auraient été incapables de constituer une dot. En devenant professeure de philosophie, je les décevais car ce n’était pas le métier qu’ils auraient espéré. Pour ma mère, l’enseignement laïc, c’est le diable. Alors la philosophie consistant à déconstruire et démystifier les pensées dominantes qu’ils ont toujours connues, c’était pour eux une trahison. Aussi futile qu’inutile.

Et la philosophie vous a menée à Sartre. Quand le mariage d’argent n’a pas eu lieu avec votre cousin, le mariage de passion n’aura jamais lieu non plus. Sartre ne vous passe pas la bague au doigt. Une seconde trahison, car évidemment, vos parents auraient aimé vous voir mariée. En quoi votre liberté était-elle inconciliable avec le mariage ?

Simone de Beauvoir : Moi, la vie de femme d’intérieur, le foyer me révulsaient complètement. L’aliénation dans un quotidien de mère, d’épouse, j’ai même écrit « réceptacle de la libido ». C’est un peu arrogant, je ne sais pas ce que j’avais mangé ce jour-là. Dans un foyer, il y a toujours mille tâches fastidieuses qui accablent la femme. Des tâches répétitives et non créatrices de valeur. C’est quand même écrasant toute cette responsabilité, sans grande rétribution derrière. Je suis contre l’esclavagisme ménager ou maternel. J’avais choisi que ma liberté devait prédominer. La décision doit être propre à chacun. Regardez ma sœur, elle a épousé un élève de Sartre. Chacun et chacune sa conception du couple.

Vous dites que vous avez choisi, mais dans votre histoire amoureuse, il y a ce pacte passé avec Sartre. Au début, vous établissez la durée de ce pacte à deux ans renouvelables. Vous êtes en période de CDD. Puis ça devient progressivement un CDI… Mais c’est surtout un pacte qui met des conditions à votre relation, pas toujours évidentes à tolérer.

Simone de Beauvoir : Sartre, c’est l’amour de toujours, évidemment que c’était indéterminé. Une relation sentimentale, sexuelle, intellectuelle. Un amour nécessaire, parce qu’il guide votre vie. Les amours contingentes, latérales, étaient autorisées dans notre couple car c’étaient des découvertes et les expériences de la vie, qu’il faut goûter, mais avec une certaine parcimonie. Sartre justifiait ces relations par un besoin constant d’inspiration. C’était un artiste, en somme, et les artistes ont des vies dissolues.

Vous pensiez que ce concept de couple libre allait vous survivre et se répandre dans la société ?

Simone de Beauvoir : La condition que nous avons posée dès le début, de ne pas se mentir et de ne rien dissimuler, nous ne l’avons pas mise en application. Il faut quand même dire que ce pacte était cruel, pas pour nous, mais aussi pour les autres. Nous avions oublié que les autres pouvaient avoir des sentiments et nous le faire payer. Nos victimes n’ont pas manqué de se révéler. En théorie, les amours contingents ne pouvaient, par nature, pas devenir nécessaires et le temps leur était forcément limité. En pratique, la tentation a été plusieurs fois été présente de céder aux sirènes du couple conventionnel.
Ensuite, il faut savoir que Sartre, c’était un homme chaleureux, vivant et bon en tout, sauf au lit. J'en eus vite l'intuition, malgré mon manque d'expérience, et peu à peu, ça nous parut inutile, voire indécent de continuer à coucher ensemble. Nous avons abandonné au bout d'à peu près huit ou dix ans, peu couronnés de succès dans ce domaine.

Pourquoi avoir publié Lettres au Castor, ce recueil de lettres vous étant, entre autres, destinées, mais qui mettent en cause les relations de Sartre. Il vous racontait tout, des détails physiques aux plus érotiques… Il a été dit que lui n’aurait pas été d’accord avec cette publication. C’était une vengeance ? Une façon de montrer que vous avez toujours été la seule et unique ?

Simone de Beauvoir : Mais accusez-moi d’avoir voulu faire de l’argent sur son dos, tant que vous y êtes. J’ai voulu porter à la connaissance des autres ces lettres, parce qu’elles étaient sublimes. Mais aussi pour la vérité qu’elles incarnaient. Il n’y était pas question que de nos propres personnes loin de là. Ce sont aussi les ébauches de notre réflexion philosophique. Et sur notre vie privée, c’est vrai que nous n’avions pas pu tout dire et tout écrire auparavant. Les mœurs se sont progressivement élargies. Donc oui, on retrouve aussi le récit de nos expériences. Alors, c’est parfois salé, c’est vrai.

On y parle notamment vos expériences avec les femmes, des jeunes étudiantes trouvées dans votre salle de classe. Comment expliquez-vous votre homosexualité ?

Simone de Beauvoir : Ces choses-là ne s’expliquent pas, que me racontez-vous ! Quand des gens s’intéressaient à moi, j’étais plutôt flattée. Ils étaient plutôt jeunes en général, parce que c’était notre public qui adhérait à nos thèses. Beau garçon ou jolie étudiante, c’était un peu du pareil au même. Alors, on m’a traitée de « rabatteuse à chair fraiche » pour Sartre. Sauf que plusieurs jeunes filles ont refusé de s’offrir à lui. Quelle arrogance de penser qu’une femme ne peut pas avoir d’expérience pour son propre bien-être. Sachez penser à vous, mesdames. Testez et gardez le meilleur.

Le meilleur pour vous, c’était donc Sartre… puisque, lors de votre séjour américain, vous tombez amoureuse de Nelson Algren. Mais vous choisissez quand même de revenir en France voir le « petit homme »…

Simone de Beauvoir : Je suis surtout revenue car j’y avais du travail. Les Etats-Unis, nous y étions en tournée pour faire connaitre nos idées. Sauf qu’il faut bien les trouver, ces idées. Qu’y aurais-je fais, là-bas? Écrire en anglais ? Mes idées auraient été plutôt limitées.

Votre travail, revenons-y. Les femmes sont des hommes comme les autres, c’est votre grande théorie, développée dans ce qui fut votre ouvrage décisif, Le Deuxième sexe. La femme est-elle toujours deuxième?

Simone de Beauvoir : On peut voir des femmes numéro un. En politique ou dans les grandes entreprises. Mais si elles sont là, c’est aussi parce qu’elles sont femmes. Et on le leur reproche assez.
Le deuxième sexe, c’est celui de la passivité et de l’acceptation de cette passivité. C’est celui qui s’est fait une raison. Mais s’il faut tenir compte de nos différences, il ne faut pas les hiérarchiser. Différent ne veut pas dire inférieur, et cela a été mon principal message aux femmes. Oui, la société traditionnelle a fait de vous des êtres inférieurs, faibles, mais cette société avait faux. Ce sont les individus eux-mêmes qui ont construit un personnage féminin et élevé leurs filles par rapport à cet idéal.
Mais si on éduque les fillettes autrement, qu’on leur dit qu’il faut qu’elles pensent, agissent, travaillent, entreprennent dans les mêmes conditions que les hommes, elles le feront et les garçons s’y feront. Quand un groupe dominant domine, il prend les places dominantes dans la majorité des professions, c’est ce qui s’est passé avec les hommes. Et donc ils restent en place tant qu’on ne leur oppose pas de résistance. S’il en trouve, il se retrouve forcé de prendre en compte les contestations. Soyons lucide, on ne peut pas faire sans les hommes, il faut composer avec. Mais la différence, c’est que maintenant, une femme qui n'a pas peur des hommes, ça leur fait peur et les fait forcément réfléchir.

Sartre a eu beaucoup de succès, et plus vite que vous. Vous aussi, vous étiez une « femme de », comme on dit. On a même écrit de vous que vous étiez « La Grande Sartreuse ».

Simone de Beauvoir : Ce n’est ni recherché, ni significatif. Ces gens-là n’ont pas beaucoup d’imagination. Des hommes, non ?

Sûrement… Un autre secret, Simone. Vous échangiez beaucoup avec vos lecteurs, vos adorateurs. Il n’y avait pas les réseaux sociaux et le principal moyen d’échange était la correspondance écrite, cela devait vous prendre énormément de temps ! Qu’est-ce ce que vous écrivaient toutes ces femmes et que leur répondiez-vous?

Simone de Beauvoir : Il n’y avait pas que des femmes, beaucoup d’hommes échangeaient avec moi pour réaliser au mieux le désir de liberté de leur femme. On me parlait de tout, et j’ai même été sexologue à mes heures perdues. Beaucoup de psychologie, aussi. Mais tous ces témoignages permettaient de conforter mes idées. Vous savez, le plus grand talent d’un philosophe, c’est d’abord de savoir observer ce qui l’entoure.
Aussi, beaucoup d’entre elles me confiaient des violences dont elles faisaient l’objet. Elles étaient obligées de m’écrire en cachette. Je dois dire que malheureusement, la chose n’a pas changé, vous vivez dans une société au moins aussi violente que la nôtre. Les rapports se sont mêmes tendus. Parce que certains ont pu penser qu’une femme libre, c’était celle qui couchait avec tout le monde. Et c’est bien sûr faux, mais c’est ce qui a cristallisé les relations entre hommes et femmes. On a donné aux femmes du répondant.

La vraie trahison du couple Beauvoir/Sartre pour beaucoup, ça a été votre adhésion aux thèses communistes. Une erreur de jeunesse ? Vous êtes restée dans l’histoire comme une femme de gauche… Racontez-nous la genèse de cette adhésion.

Simone de Beauvoir : Avec Sartre, nous étions à l’origine de ce club, « Socialisme et liberté». Ça se passe en pleine guerre, en 1941, alors qu’il a réussi à quitter l’armée. Nous sommes allés voir d’autres intellectuels éclairés et résistants, des Malraux des Gide. Mais ils ne nous ont pas donné suite. Gide était tellement parano qu’il ne nous a même pas rencontrés. Alors que Paul Nizan était le premier d’entre nous à avoir adhéré au Parti soviétique, en 1951 Sartre accepte de leur parler. Ça se passe à Vienne, au Congrès mondial de la paix. Vu l’appelation, y être conférencier avait assez sens. Mais ensuite, nous avons été invités, Sartre et moi, à Cuba ou en Chine. Alors c’était comme des voyages officiels, on ne nous montrait que ce qu’on voulait bien nous montrer. Il y a certainement des choses que je n’ai pas vues.
La lutte des classes, la lutte des femmes, j’ai pu penser que c’était un peu la même chose. En réalité, si les femmes sont bien inoffensives, on ne peut pas en dire autant des théories communistes.

On en revient au féminisme, toujours avec vous. Il n’y avait qu’une femme pour s’interroger sur la question philosophique de la femme. Si vous aviez été un homme, Simone, où en serions-nous aujourd’hui ? Finalement, personne ne le sait.

Propos recueillis par Aude Kersulec
Quelques livres à lire
Lettres au Castor, Jean-Paul Sartre, Gallimard
Le Deuxième sexe, Simone de Beauvoir, 1949
Un film
Les amants du Flore, Ilan Duran Cohen, 2006

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