mardi 9 janvier 2018

LA VIE AU CAMP IV D






   




L'OFLAG IV D

AMBIANCE D'INSTALLATION

À quelques quatre kilomètres de ce bourg, notre colonne à pied gagna le camp OFLAG IV D en un lieu dit Elsterhorst.
( OFLAG est le terme condensé de Offizierslager ou camp d'officiers prisonniers ou Kriefsgefangene Offiziere)
Ce camp est un ensemble de baraques en bois disposées en blocs séparés par des barrières en fil de fer barbelé de deux mètres de haut. L'ensemble du camp est entouré d'un solide réseau de fil de fer de même hauteur renforcé par endroits et surveillé à l'extérieur par des miradors d'un étage équipés de mitrailleuses. La surveillance est complétée par des sentinelles. Une allée centrale partage le camp avec une porte d'entrée à chaque extrémité. À l'une il y a le poste de garde, à l'autre la komandatur et des baraques de services. Au centre du camp une vaste baraque perpendiculaire à l'ensemble des blocs, la cantine avec une grande salle et d'autres petites pièces. Dans l'une habitera le Colonel Meunier qui sera le responsable des Officiers français vis à vis du chef allemand. Celui-ci est un vieux colonel prussien d'une autre époque, secondé de deux ou trois Officiers relativement jeunes.
À l'extrémité du camp, tout contre l'entrée principale où se trouve le corps de garde, un bloc est occupé par le détachement de garde allemand. À côté un lazaret ou infirmerie.
Dans une cour se dresse un bâtiment en dur avec une haute cheminée, les douches et la désinfection, on l'appelait le " Lauseclum, soit "mausolée aux poux ".
Ce camp a été longuement et minutieusement décrit et dessiné, il suffit de se reporter au livre d'un Officier prisonnier : " derrière les barbelés " ainsi que l'album illustré du camp de Monsieur Curtil ex PG du camp.

UNE NOUVELLE VIE  COMMENCE
 
Nous étions six mille officiers de tous grades jusqu'à celui de colonel, dans cet Oflag à l'aspect rébarbatif, qui s'étendait dans une plaine sans aucun relief, morne, dépourvue presque totalement d'arbres sauf une touffe autour de l'unique maison d'Elsterhorst à proximité du camp. Pays très pauvre, de culture maigre, seul le sous-sol recèle de la lignite dont certains gisements sont exploités. Rarement dans les champs autour du camp nous apercevions quelques paysans, hommes et femmes. Ils avaient l'air de slaves, les hommes bottés, mais surtout les femmes avec leurs longues et amples robes ; cela nous avait frappés.
Au début, une partie du camp était occupée par des soldats français prisonniers qui nous fournissaient des ordonnances. Ceux-ci, qui rentraient chaque soir dans le camp des soldats, nous permettaient d'avoir quelque liaison avec l'extérieur, mais bientôt tous les soldats français furent expédiés ailleurs. Il ne resta que les ordonnances et peu à peu les liaisons avec l'extérieur se réduisirent aux civils allemands d'Hoyerswerda qui avaient un service à remplir au camp : conducteur de charrettes d'enlèvement de poubelles ou de véhicules amenant du ravitaillement à la cantine ou encore apportant les caisses d'effets de la Croix-Rouge, les gens étaient d'ailleurs en compagnie de militaires allemands qui ne les quittaient pas d'une semelle.
La vie à laquelle il fallait s'habituer était inactive et nous laissait désemparés, car elle venait après l'activité fébrile de la bataille où l'on ne dormait plus, l'esprit sans cesse tendu pour faire face aux opérations, soit dans les déplacements vers la Hollande à travers la Belgique, soit après le repli dans les combats de Douai et de Lille. Les privations de nourriture, l'inconfort des chambrées, le sommeil sur des planches avec une paillasse de ripes de bois fut un dérivatif à nos pensées. Beaucoup qui venaient de passer les six ou huit mois de guerre d'attente sans la moindre activité de guerre, la " drôle de guerre " comme elle était appelée, avaient pris des habitudes de confort et surtout d'excès de nourriture. Ils étaient gros et adipeux, aussi leurs préoccupations d'alimentation furent elles primordiales et leur angoisse assez grave quand ils virent leurs kilos fondre au fil des jours. Le seul appoint possible de ravitaillement nous venait de France par petits paquets de 1 à 2 kilos, certains en auraient dévoré l'emballage s'il avait été comestible...
La portion congrue à laquelle nous étions réduits chaque jour consistait en du malt très clair le matin ; à midi une écuelle de soupe où la viande n'apparaissait que pour mémoire et le soir cinq groseilles à maquereaux ou une rave… Aussi les protestations furent vives. Le Colonel allemand répondit un jour au Colonel Meunier qui apportait les doléances :
" Vous êtes arrivés trop nombreux à la fois et je ne suis pas responsable si les Français mangent en un jour la quantité de viande qui est attribuée pour une semaine aux Allemands non travailleurs "
Certains aussi qui avaient des maux de foie, d'estomac, de reins, des tiques, virent cependant beaucoup de leurs malaises s'atténuer, sinon disparaître avec leur amaigrissement. Des officiers ont perdu jusqu'à trente kilos.
Cette période de privation durement ressentie venait ajouter comme un pénitence nouvelle à l'épreuve douloureuse de la défaite, de l'incertitude sur le sort des familles devant l'invasion que l'on savait totale par la lecture de la presse allemande. Le moral baissait. Mais contre toute attente on ne sentait pas un désespoir définitif s'installer chez tous. Quelque chose d'inconscient, d'irraisonné nous soutenait quand même, sans pouvoir entrevoir comment la France sortirait de là. Personnellement, je possédais profondément ce sentiment et je ne désespérais pas.
Mes conversations  pendant le trajet m'avaient laissé une opinion sur l'Allemagne : je ne la voyais pas une, homogène, cohérente dans la profondeur de ses structures et de ses esprits bien que je me rendisse compte cependant qu'il y avait une jeunesse fanatique, prête à toutes les folies que lui demanderait Hitler.
Un exemple : Il y avait au camp une jeune Gefreite (caporal) fils d'un chef nazi de Leipzig, il s'occupait de surveiller notre organisation de Croix-Rouge . Un jour je suis rentré dans notre bureau bien chauffé où il se trouvait avec un officier français professeur d'allemand. Je dis à la cantonade, ce qui lui fut traduit tout de suite, :
" - Il fait un sale vent et ce pays est vraiment abominablement froid, je vous plaints d'y vivre l'hiver " ajoutai-je en regardant le Gefreite,
Vivement il me répondit :
" - Oh ! non nous ne sommes pas à plaindre, l'an dernier par pareil temps je faisais partie d'une équipe de jeunes du Service du Travail et nous redressions le cours d'un torrent, nous étions dans l'eau avec des bottes de caoutchouc et c'était autre chose que de marcher dans le vent ",
Je ripostai :
" - Vous ne deviez pas bénir les chefs qui vous faisaient exécuter ces travaux en une telle saison " ?
" - Détrompez-vous, me dit-il, nous étions fiers et heureux de travailler ainsi pour le Führer de la Grande Allemagne ; s'il le fallait nous recommencerions ".
Le même à qui j'avais dit un jour :
" - Vous êtes de Leipzig, triste souvenir que cette ville et ce nom pour nous Français ! Napoléon y fut battu par une coalition dans laquelle était la Prusse. À ce moment là d'ailleurs vous étiez amis des Anglais… Ah ! les Anglais, il ne fait pas bon être leur ennemi. Ils ont vaincu Napoléon et cependant Napoléon… ! Mais voilà, Napoléon à Boulogne n'a pas pu franchir avec sa flotte et son armée les 30 kilomètres du Pas-de-Calais ! L'Angleterre n'a pas connu, n'a jamais connu d'invasion depuis les Normands. Pour les vaincre, il faut franchir avec une armée ces 30 kilomètres de mer.
Brusquement, il coupa le lieutenant qui avait traduit et rétorqua :
" - Le Colonel connaît bien son Histoire mais les temps ne sont plus les mêmes. Quand Hitler le voudra nous franchirons cette mer, dussions nous le faire sur un pont de cadavres, on ne nous en empêchera pas ".
" J'arrêtai là cette conversation. Je ne sais ce qu'il est advenu de ce garçon fanatique. Pour moi, j'étais confirmé dans mon idée que les Allemands allaient être embarqués dans une fantastique aventure et j'en fis part à quelques uns de mes officiers à l'occasion des " Tuyaux sur la Paix ".
Les prisonniers croyaient la guerre perdue totalement et pensaient qu'on allait faire la paix, c'était logique.
En juillet 1940, des bruits venus du dehors circulaient sur la paix.
Il y a actuellement dix huit cent mille prisonniers français, dit-on. Pour les Allemands la guerre continuera avec l'Angleterre, la guerre nécessite du ravitaillement de toutes sortes, des évacuations, etc…, par conséquent en n'envisageant que le point de vue des transports, on n'utilisera que ce qui ne sera pas employé à la guerre pour le rapatriement des prisonniers. Par exemple : cent mille par mois, dix huit mois seront nécessaires.  Nous avons vu l'Allemagne, les nazis, les troupes, j'ai l'impression que nous avons devant nous une Allemagne insoupçonnée, très différente de celle de 1914, une Allemagne entraînée et dominée par des fanatiques surtout après leurs victoires de Pologne et de France. Ils vont tenter des choses formidables… nous allons revivre l'épopée napoléonienne, style allemand mais à l'échelle du siècle. Le rapport d'homothétie quant à la durée, je ne le connais pas. Cela durera peut être longtemps, longtemps… mais croyez-moi, je pense que ces gens là vont faire des folies et vont agir avec démesure. Ils iront au-delà de la limite d'élasticité, ils la rompront et perdront la guerre, cela sans autre argument qu'une intuition ; mais je vous dis, vous qui êtes jeune, partez, apprenez l'Allemand, regardez si le réseau de barbelés, un jour, n'a pas un trou pour y passer… Évadez-vous, et vous risquez d'être plus vite chez vous qu'en attendant la paix. Mais il faut se préparer minutieusement. "
Je n'attendais pas d'issue à la guerre avant longtemps et j'espérais bien être présent à cette issue dans un rôle actif.
Nous n'avions pas entendu, et pour cause, l'appel du Général de Gaulle. Nous suivions par la presse allemande le changement que l'exode, l'armistice apportaient à la vie de la France. Le partage par la ligne de démarcation, l'apparition de l'état français, le grand chambardement intérieur, tout cela me paraissait une étape sans que je sache pourquoi.
 



Dans un aussi vaste camp les six mille Officiers constituaient une véritable petite cité communautaire. Parmi les prisonniers se trouvaient de nombreuses personnalités de valeur dans toutes les branches de l'activité humaine : des professeurs, des prêtres, des pasteurs, des artistes, des ingénieurs… Bientôt il y eut une chapelle, une université, un théâtre avec sa troupe, des cours et des conférences de toutes sortes…
Une multitude de prisonniers étaient inscrits à l'Université, d'autres suivaient des cours spécialisés d'ingénieurs, etc… Cette activité fébrile n'était qu'un dérivatif à nos inquiétudes, voire à nos angoisses. Nous cherchions à oublier le désarroi mental dans lequel la défaite nous laissait. Vaincus, nous méditions sur la précarité de la condition humaine, sur la fragilité même de notre civilisation.
Hier dans un cadre ordonné, chacun était un chef, commandait, avait de graves responsabilités dans le feu de l'action. Subitement les armes sont tombées de nos mains, l'autorité disparue ; le dernier soldat ennemi est le maître et impose la règle qu'on lui a prescrit de nous appliquer et que parfois il enfreindra au détriment du vaincu par pur arbitraire. Un coup de crosse, un coup de feu sur un imaginaire geste de refus ou même sur un traînard épuisé. Le P.G., fut-il officier, n'est plus qu'un numéro qui fait un effort désespéré et vain pour se faire considérer autrement, pour faire admettre que même pendant la guerre il reste une individualité propre, un être humain.
Ces introspections amenaient souvent un retour de spiritualité, souvent oubliée et dédaignée dans la tourmente. Grâce aux aumôniers catholiques et aux pasteurs, une œuvre d'édification naquit dès le début dans le camp souvent au prix d'efforts considérables de la part des prêtres arrivés au camp, épuisés.
La chapelle ne désemplit plus de toute la journée, elle servait aux catholiques comme aux protestants.
Ce réveil spirituel se fit surtout sous l'énergique impulsion du R.P. Ste Marie, Jésuite, aumônier d'un corps d'armée, qui dans la précédente guerre mondiale avait été trépané à la suite d'une grave blessure. Bien qu'âgé, ce prêtre magnifique de ferveur galvanisa les autres aumôniers et les officiers. Il refusa d'être rapatrié avec le personnel sanitaire.
Un soldat français disait à un de ses camarades en le voyant passer :
" - Tu vois, le vieux curé à la barbe grise, il a refusé d'être rapatrié. Mon vieux, mon vieux tu parles !… " tant il sentait de grandeur dans le geste du R. Père.
Mais pour les prisonniers imprégnés de leur foi, un problème de conscience se posait à ceux qui voulaient s'évader. Fallait-il par une évasion se soustraire à l'épreuve de la captivité que la Providence leur avait imposée. Ne fallait-il pas la subir, en faire jaillir une élévation plus grande de son âme par une vie religieuse plus intense et quasi monastique ? Des religieux étaient de cet avis mais le R.P. Marie déclara que le Chrétien ne doit pas être fataliste, qu'il a sa liberté d'action, qu'il a le droit d'oser, laissant à Dieu le soin de faire de son action un succès ou une continuation de l'épreuve.
 


 Au début de la captivité, l'afflux énorme de prisonniers avait submergé les organisations des Oflags. La surveillance générale du camp avait des fissures et dans le brouhaha et les allées et venues, la sortie était possible. Quelques Officiers la tentèrent, une réussite, mais peu à peu le problème de la sortie du camp devint plus complexe. Chaque évasion manquée ajoutait en quelque sorte un verrou à notre Oflag. Il fallait donc éviter de brûler les sorties repérées et patienter jusqu'au moment où les préparatifs, la mise en condition, le plan serait parfaitement au point.Uniforme français

  La véritable monnaie allemande était le Reichsmark alors que dans le camp c'étaient des lagermarks (marks de camp, réservés aux prisonniers). lagermarks (marks de camp, réservés aux prisonniers). Reichmarks de campsMais si ces lagermarks avaient au camp la même valeur que les vrais marks, ils étaient pratiquement inutilisables au dehors, sauf pour les soldats détachés en kommando qui pouvaient s'en servir avec les commerçants et avoir des vrais marks dans les échanges avec eux.  Nous parvenions à échanger chaque Reichmark contre trois lagermarks, opération très fructueuse pour eux (300 % )

Parallèlement, je commençai mon entraînement. Ma maxime fut : " TOUJOURS DEBOUT, TOUJOURS DEHORS ".

Les Allemands eurent l'idée de regrouper dans une même baraque tous les officiers supérieurs du camp, ne laissant que les officiers subalternes dans les autres. 

 Les jeunes Officiers étaient beaucoup moins portés à geindre sur leur sort, sur les privations et tous s'étaient inscrits dans des cours ou suivaient des conférences pour perfectionner leurs connaissances professionnelles. A l'appel quotidien du matin les officiers des baraques se groupaient en formations carrées dans la cour.
Les Officiers supérieurs stagnaient perpétuellement auprès de leur travée de baraque jouant au bridge ou s'occupant de mille riens.
 
Mon emploi du temps était : de bonne heure messe, petit déjeuner, toilette et sitôt l'appel j'allais nez au vent dans le camp pour prendre les nouvelles, lire les journaux, marche de 12 kilomètres par jour au minimum en parcourant un certain nombre de fois les cours de chaque bloc quel que soit le temps et en observant minutieusement le fonctionnement de tout le système de surveillance allemand. Il fallait faire ces marches en épargnant le plus possible mon unique paire de chaussures. Ce détail a été très préoccupant jusqu'à l'arrivée de vêtements de la Croix Rouge.
Parfois, je remettais mes marches à l'après-midi...
Le soir les nouvelles étaient lues tout haut à tous rassemblés.

http://perso.wanadoo.fr/aetius/kg/KGPiletmark.htm.

 Nous recevions des colis avec des biscuits, des figues, du chocolat, du lait condensé qui permettaient sous un volume réduit de s'alimenter substantiellement pendant un certain nombre de jours.

Le camp est situé dans un terrain de sable très plat formant un vaste rectangle de 750 à 800 m divisé en blocs. Dans chaque bloc il y a quatre baraques en bois qui sont élevées de 30 à 40 cm au dessus du sol. L'ensemble du camp est entouré de deux rangées de fils de fer barbelés de 2 m 50 de haut, distantes de 2 m 50 environ. Il y a dans leur intervalle un hérisson de fil de fer barbelé de 0 m 75 de haut fixé au sol par des piquets en fer. Les sentinelles entourent l'enceinte : une toutes les 150 mètres, il y en a dans les miradors. À chacun des quatre coins du camp un très vaste mirador, plus élevé et plus vaste que les autres permet de loger deux hommes en permanence, complètement à l'abri.
Ils ont d'excellentes vues fichantes, ils disposent d'armes automatiques et deux ou trois phares d'automobile orientables à leur gré avec lesquels toute la nuit ils balayent le camp.
Le réseau est éclairé par des lampes électriques dont les cônes de lumière se recoupent sur le sol, mais en laissant toutes les sentinelles extérieures dans l'ombre. La nuit, il est interdit de s'approcher du réseau. En cas de panne de lumière ou d'alerte, les officiers sont bloqués dans les baraques et tout le service de garde de la périphérie est renforcé.

Le système de surveillance comporte aussi des chiens. Dans le camp, un seul bloc habité par les officiers a ses baraques en bordure du réseau. La baraque la plus proche du réseau en est à 5 mètres environ, c'est la baraque 40 (voir croquis). Mais comme elle avait été utilisée en octobre 40 pour faire le premier souterrain qui a avorté à la suite d'un éboulement, elle n'était plus occupée et ne servait que de jour pour les cours de l'Université du camp. La nuit, elle était fermée par les Allemands après une fouille sévère et une sentinelle à l'extérieur du réseau la surveillait en permanence. Les Allemands, pour éviter un nouveau tunnel, avaient creusé tout au long, entre elle et le réseau, un fossé d'un mètre quatre vingt environ de profondeur. Nos deux officiers qui avaient entrepris le deuxième souterrain au mois de janvier l'avaient fait partir de la baraque suivante (baraque 38) située à environ 10 mètres de l'autre.  
















lundi 8 janvier 2018

Oflag IV-D



51° 27′ 05″ N 14° 11′ 40″ E    


L'oflag IV-D est un camp d'officiers prisonniers de guerre de 1940 à 1945 situé en Allemagne sur le territoire de la commune d'Elsterhorst (Nart) près d'Hoyerswerda en Saxe. L'effectif du camp était de 6500 officiers en février 1945.
Les officiers désœuvrés de l'Oflag IV-D montèrent une troupe de théâtre extrêmement active : son atelier réalisa plus de 1500 costumes pour un millier de représentations d'environ 80 pièces différentes

À l'approche des troupes russes, le camp fut évacué entre le 17 et le 19 février 1945. 600 officiers malades ou inaptes à la marche restèrent au camp avec des médecins prisonniers français et seront libérés par les troupes russes le 20 avril 1945.

Les autres, par colonnes, partirent à pied en direction de l'ouest. La majorité d'entre eux furent amenés à l'oflag de Colditz. Certains y resteront jusqu'à la libération du camp par les troupes alliées le 16 avril 1945, d'autres seront redéplacés au camp de Zeithain au bord de l'Elbe au Nord de Riesa, où ils seront libérés par l'armée russe le 23 avril 1945.
Une colonne fut amenée au camp de la forteresse de Königstein - l'oflag IV-B - libéré par les Russes à la capitulation de l'Allemagne le 8 mai 1945. Une autre partie des officiers resta cantonné à Lunzenau, d'autres à Benndorf et enfin une autre partie fut libérée à Errenhaide près de Burgstädt le 14 avril 1945.
Tous ont fait entre 150 et 170 kilomètres à pied dans les plus effroyables conditions pour être parqués dans des lieux de fortune, salle des fêtes, gymnases, théâtres, sans eau ni courant ni toilette, dormant sur la paille par terre, affamés et au désespoir de revoir un jour les leurs après cinq ans passés dans des camps de prisonniers. Leur libération fut souvent endeuillée par les combats entre les nazis et les Alliés, notamment Soviétiques, mais parfois ils furent pris pour cible par leurs libérateurs qui ignoraient qu'ils tiraient sur un camp de prisonniers 

vendredi 5 janvier 2018

ELSTERHORST – 1941

Elsterhorst – 1941


Les prisonniers internés au Château de Colditz et dont l’état de santé nécessitait qu’ils fussent transférés dans un hôpital, étaient envoyés à Elsterhorst. Le trajet était long ; il fallait prendre le train, changer deux fois, et si l’on tient compte des formalités de levée d’écrou à Colditz qui étaient particulièrement laborieuses, il fallait près d’une journée entière pour faire le voyage.

L’hôpital d’Elsterhorst était attenant à « l’Oflag VI.D » qui hébergeait plus de 5.000 officiers français. Entre ce camp et l’hôpital, un va-et-vient continu de malades permettait à ceux qui venaient de Colditz, spécialement aux Français, d’avoir des contacts avec d’autres camarades et de voir une captivité somme toute assez différente de celle à laquelle ils étaient eux-mêmes soumis.

Un camp de prisonniers où sont réunis 5.000 officiers de la même armée est un petit monde en soi. Les services généraux du camp y prennent une grande importance et leur organisation implique certains permanents de travail entre tous ceux qui y sont affectés : prisonniers ou gardiens.

Ces rapports de travail en entraînent fatalement d’autres, notamment ces petits échanges de complaisances qui contribuent à rendre moins pénible, pour certains, la longue captivité.

Pendant mon séjour à Elsterhorst on a raconté une histoire, arrivée au camp voisin, qui illustre bien ce que je veux dire :

Les services généraux du camp : ravitaillement, colis, censure, etc... étaient établis à l’intérieur même des barbelés, où ils occupaient un ensemble de baraques spécialement conçues pour ces services.

L’un des officiers français, un capitaine, qui travaillait à la réception et à la distribution des colis, avait souvent été l’objet de démarches discrètes de la part d’un des officiers allemands affectés au même service, et qui aurait beaucoup voulu recevoir, de temps en temps, une tasse de « Nescafé ».



L’officier français fit, avec l’officier allemand, un marché qui se résumait à ceci : tous les jours, l’officier allemand viendrait après le déjeuner, avant la reprise du travail, à la chambre du capitaine français et y recevrait une tasse de café, moyennant quoi, chaque fois qu’une fouille aurait lieu dans le camp, l’officier allemand en informerait le capitaine français la veille en indiquant les baraques où la fouille aurait lieu. De cette façon, les prisonniers pourraient déménager, avant la fouille, les objets compromettants tels que : appareils de T.S.F., cartes militaires, vêtements civils, etc...

Le marché fut très scrupuleusement observé pendant plusieurs mois à la pleine satisfaction des contractants ; mais un matin une fouille eut lieu, qui n’avait pas été annoncée, et les fouilleurs firent main basse sur plusieurs objets qui avaient été introduits à grand’peine dans le camp.

A une heure, après-midi, l’officier allemand se présente chez le capitaine français et celui-ci de l’interpeller : « Eh bien, vous ne m’avez pas prévenu de la fouille de ce matin ! » A quoi l’Allemand répond en bredouillant une excuse embarrassée.

« C’est bon » réplique le Français, « vous aurez quinze jours d’arrêts ».

L’Allemand sourit et, ne comprenant pas le sens que le Français donnait à ces arrêts, attend son café.

Comme on ne fait pas mine de lui en donner, il le demande timidement en indiquant que le temps passe, et le Français de lui dire : « Mais je vous le répète ; vous avez quinze jours d’arrêts ».

« Ach so » répond l’Allemand en riant jaune et en partant. Le lendemain, à la même heure, il revient et le Français lui rappelle qu’il est aux arrêts. Enfin l’Allemand comprend ; il s’en va et s’abstient de venir jusqu’à l’échéance des quinze jours. Après quoi, il recommence ses visites le plus naturellement du monde.



Il n’y eut plus jamais de fouille surprise aussi longtemps que cet Allemand resta à Elsterhorst, et lorsqu’il reçut une autre affectation, il vint, avant de partir, présenter son successeur et lui transmettre les consignes qui furent toujours scrupuleusement observées.

La grande évasion.

Un matin d’hiver nous constatâmes, dès le réveil, à la tête de nos infirmiers allemands et à leur nervosité, qu’il se passait quelque chose d’anormal. Nous eûmes bientôt la clef du mystère ; la veille, dans la soirée, trente-deux camarades français s’étaient échappés du camp ! Voici ce qui est arrivé :

Les soldats allemands préposés aux services généraux du camp, arrivaient chaque matin, à la mode allemande, en colonne par trois. Ils étaient commandés par un sous-officier fort en gueule qui scandait le pas cadencé : « eins, zwei ».

A huit heures trente, ponctuellement, ils arrivaient à la porte du camp que le personnel de garde leur ouvrait largement et ils continuaient au pas : « eins, zwei, eins, zwei », jusqu’aux baraques des services, où leur chef prenait un vif plaisir, avant de faire rompre les rangs, à leur faire exécuter l’une ou l’autre évolution, afin de montrer à tous comme il commandait bien.



A midi, le détachement se reformait pour sortir du camp ; à deux heures, il y rentrait pour en ressortir à six heures. Chaque fois, dès qu’il arrivait près de la porte du camp, la garde ouvrait largement celle-ci et le sous-officier du détachement, en passant devant son collègue de garde, haussait un peu la voix et scandait le pas un peu plus sèchement, à moins qu’il n’interpellât l’un ou l’autre de ses soldats dont l’allure n’était pas assez martiale, le tout afin que personne n’ignore son ton de commandement.

Tout cela se renouvelait régulièrement cinq jours par semaine ; car, outre le dimanche, les services généraux ne fonctionnaient pas le vendredi, parce que ce jour-là le personnel du camp était repris en mains par l’autorité militaire et participait à des exercices et manœuvres.

Nous étions en hiver, il était six heures, il faisait déjà noir. Le détachement se présenta à la porte du camp pour sortir, la garde ouvrit la porte toute grande et comme d’habitude le détachement sortit marchant au pas que le sous-officier scandait sèchement : « eins,zwei, eins,zwei ».

Une seule chose avait échappé à la garde de la porte : ce jour-là était un vendredi et le détachement qui sortait n’était pas entré au camp à deux heures !

En réalité, il était formé par trente-deux officiers prisonniers dont l’un, bel alsacien blond, imitait à la perfection le sous-officier allemand. L’illusion était complétée par les uniformes : on avait saupoudré de chaux les capotes françaises préalablement recoupées, ce qui leur donnait sous la lueur des projecteurs, tant pour la couleur que pour la forme, l’aspect de manteaux allemands. On avait fait des bonnets de police avec des couvertures, des ceinturons et leurs plaques avec du carton et des boites à conserve, et les baïonnettes étaient en planches de lit.

« Eins,zwei, eins, zwei » nos trente-deux prisonniers avaient pris la clef des champs ; leurs capotes, leurs ceinturons et leurs baïonnettes de comédie furent retrouvés le matin dans un fossé, le long de la route.

Si quelques-uns des évadés furent repris, la plupart réussirent. Si les Allemands étaient nerveux ce matin-là, nous étions, nous, bien joyeux.

L’art de voyager.

Quatre jeunes camarades français, les lieutenants Navelet, Charvet, Le Jeune et Lévy, également pensionnaires de Colditz, m’avaient rejoint à Elsterhorst.

Le Jeune avait dû être opéré de l’appendicite ; Navelet souffrait d’un épanchement de synovie particulièrement douloureux et tenace ; quant à Charvet et Lévy, je ne pense pas qu’ils fussent réellement malades, mais avec la complicité du bon médecin français de Colditz, le Docteur Le Guet, ils étaient parvenus à se faire envoyer à l’hôpital avec l’espoir qu’en cours de route ils trouveraient bien l’occasion de s’évader.

Bien que le genou de Navelet continuât à le faire souffrir et que Le Jeune fût encore très affaibli par les suites de son opération, l’autorité allemande décida, un beau matin, que tous les quatre devaient réintégrer le Château de Colditz.

Lorsqu’on allait d’Elsterhorst à Colditz, il fallait partir tôt : On vous réveillait à quatre heures du matin, à quatre heures et demie il fallait se présenter tout habillé, avec son bagage, à la fouille et l’on partait à cinq heures, à pied, pour la gare de Königswerda, distante de quelque trois ou quatre kilomètres. Le train partait vers six heures. La route d’Elsterhorst à Königswerda franchissait tout d’abord une lande sablonneuse où croissaient des pins tordus et clairsemés, puis le relief du sol se relevait, la végétation devenait plus touffue et, avant d’arriver à Königswerda, il fallait traverser un bois de chênes et de hêtres couvrant du taillis.

Nous étions en hiver et l’obscurité régnait jusqu’après sept heures de matin.

Trois de nos amis, les lieutenants Navelet, Charvet et Lévy, avaient décidé de profiter du voyage pour tenter de s’échapper. Le Jeune était encore incapable de tenter une telle aventure, mais sa présence pouvait être utile à ses camarades : l’escorte des voyageurs serait toujours, au moins en partie, immobilisée par la crainte de le voir, lui aussi, tenter de prendre le large.

Les trois candidats fugitifs avaient décidé de tirer parti du premier moment favorable pour s’éclipser simultanément, mais ils avaient aussi décidé de se séparer immédiatement et de courir, chacun pour soi, ses propres chances. Navelet, le plus ancien, le plus réfléchi et aussi le plus handicapé par son genou, devait donner le signal de départ.
A côté de la chambre des fouilles se trouvait le bureau de l’infirmier en chef où brûlait un poêle : j’obtins de pouvoir aller y faire du café chaud pour les voyageurs pendant qu’on les fouillait.



Nous nous étions arrangés pour que Le Jeune fût le dernier fouillé.

L’escorte, composée d’un sous-officier et d’un seul soldat, se chauffait près du poêle, tandis que deux soldats français attendaient dehors avec la charrette à bras sur laquelle ils allaient transporter les bagages jusqu’à Königswerda.

L’odeur de mon café chatouillait agréablement les narines des membres de l’escorte ; ils apprécièrent beaucoup la tasse que je leur donnai et trouvèrent très naturel que, de l’auvent de la baraque, j’en offrisse une à la sentinelle qui gardait, en grelottant, la porte du camp. La sentinelle, assurée de ne pas être surprise à cette heure, vint sous l’auvent et, par la porte ouverte, la conversation s’engagea entre lui, l’escorte et moi, sur la qualité du café ; pendant ce temps, successivement, au fur et à mesure qu’ils sortaient de la fouille, Navelet, Charvet et Lévy allaient dehors poser leurs bagages sur la charrette.

Les deux soldats français leur remettaient papiers d’identité et vêtements civils qu’ils allaient revêtir dans la guérite même du factionnaire ; puis ils nous rejoignaient, ayant repris, sous leur vaste manteau militaire, l’apparence qu’ils avaient en sortant de la fouille.

Quand nos camarades eurent, tous les quatre, rempli les formalités officielles et occultes de la levée d’écrou, le détachement se mit en route vers la gare.

Nous apprîmes plus tard, par le récit que nous en fit Le Jeune, qu’au moment où la route allait traverser un carrefour, au milieu du bois, avant d’arriver à Königswerda, Navelet donna le signal convenu. Les trois fugitifs partir en courant, dans l’obscurité, chacun par un chemin différent. Au moment de prendre la course, ils s’étaient débarrassés de leurs manteaux militaires.

Le sous-officier d’escorte, dès qu’il fut revenu de sa surprise, prit son pistolet et tira, au jugé, quelques coups de feu ; mais le temps qu’il avait pris pour ouvrir la gaine de son arme et pour armer celle-ci avait suffi à nos camarades pour disparaître.

Le sous-officier d’escorte était bien ennuyé : que devait-il faire ? Continuer vers Colditz avec le seul Le Jeune ou rentrer à Elsterhorst ? Ayant consulté son prisonnier, il opta pour la seconde solution et c’est ainsi qu’avant midi nous apprenions déjà que le premier acte de l’évasion avait réussi. Malheureusement Charvet et Lévy furent repris quelques jours après.

Navelet fut plus heureux ; comme il ne marchait qu’avec difficulté, il s’était contenté, après avoir couru cent mètres, de reprendre, sur la route même de Königswerda, le pas ordinaire. Et c’est par le train qui devait l’emmener prisonnier vers Colditz qu’il partit libre vers la Belgique. Le voyage fut, sans doute, une véritable odyssée, mais il réussit. Dès la frontière belge, des amis sûrs l’accueillirent, le cachèrent et l’aidèrent ensuite à gagner la France non occupée ; il participa à la campagne d’Afrique du Nord et à celle de France.

L’autorité militaire allemande prenait grand soin de moi. J’avais le curieux privilège d’être classé sous deux étiquettes différentes : l’une me qualifiait de malade, ou,  en termes administratifs « D.U. » ; pour l’autre, j’étais simplement un mauvais garçon : « Deutschfeindlich », c’est-à-dire « germanophobe ».(« D.U. » pour « Dienst – unfähig », c’est-à-dire inapte au service. C’est par ces initiales « D.U. » que les Allemands désignaient les prisonniers qui, pour des raisons de santé et en exécution de la convention de Genève, devaient être libérés.)

Ce bipartisme, si j’ose dire, eut pour conséquence qu’après avoir décidé de me rapatrier pour raisons de santé et en avoir informé, outre moi-même et ma famille, la Croix-Rouge Internationale, l’autorité allemande décida pour des raisons policières que je ne serais pas rapatrié et que je passerais le reste de ma captivité dans un « Sonderlager » ou camp spécial, où étaient rassemblés les prisonniers mauvais garçons de toutes les armées en guerre contre le Grand Reich.

Mais, là encore, ma double personnalité imposait des mesures spéciales ; l’autorité médicale confirmait toujours que mon état de santé justifiait ce rapatriement que me refusait l’autorité militaire ; il fallait éviter qu’une des commissions d’inspection de la Croix-Rouge Internationale me trouvât toujours en captivité et toujours malade. C’est pourquoi, dès qu’une commission suisse était annoncée, on me faisait disparaître en m’envoyant à l’hôpital ou dans un autre camp.

C’est ainsi qu’en septembre 1941 on m’avait envoyé de Colditz, en Saxe, à l’hôpital d’Elsterhorst, en Basse Silésie et qu’en janvier 1942, comme une commission suisse était annoncée à Elsterhorst, on me renvoyait à Colditz.

Ces voyages à travers l’Allemagne avaient ceci de particulier pour un prisonnier : alors que mes camarades ne se déplaçaient jamais qu’en nombre et en trains spéciaux, j’étais généralement seul avec mon escorte de gardiens et je prenais avec eux les trains ordinaires où seulement un compartiment nous était réservé.

Pour le personnel allemand des camps, ces voyages étaient une aubaine ; c’était l’occasion d’échapper au service fastidieux des gardes et parfois celle d’avoir, au retour, un jour ou deux de répit à passer en famille. Ceux que l’on désignait pour constituer mon escorte étaient des privilégiés et ils espéraient par surcroît avoir en cours de route l’occasion de me rendre l’un ou l’autre service que je paierais d’une cigarette ou d’un bâton de chocolat : cet espoir et le fait qu’ils échappaient à la discipline du camp les rendaient particulièrement serviables et réduisaient au minimum les inconvénients de ces voyages.

Lorsqu’on m’expédiait ainsi, comme j’étais faible et malade, je refusais toujours de porter moi-même mes bagages ; ces refus n’allait pas sans incidents ni éclats de voix, mais devant ma calme indifférence d’être privé de mes possessions et la fermeté avec laquelle j’annonçais que dès mon arrivée dans le nouveau camp je déposerais une plainte pour vol de mes effets personnels, on m’accordait toujours un ou deux soldats allemands pour porter mes valises ; c’était d’ailleurs pour les officiers une occasion de les récompenser ou d’obtenir d’eux qu’ils rapportassent de la campagne l’une ou l’autre victuaille échappée au contrôle.



J’avais aussi le privilège d’avoir pu me faire expédier de Belgique une tenue neuve et c’est elle que j’arborais pour ces déplacements. Ce prisonnier bien habillé, pour lequel on mobilisait une telle escorte : généralement un officier, un sous-officier et deux ou trois soldats, impressionnait fort le public ; on ne savait pas très bien si j’étais un prisonnier particulièrement redoutable ou un collaborateur de haut vol, mais quelle fût l’opinion que l’on se fit, on me regardait avec déférence et intérêt et on cherchait à entrer en contact avec mon escorte pour satisfaire une curiosité très générale.

Or donc, en janvier 1942, ainsi escorté, je partis d’Elsterhorst à l’aube pour arriver à Colditz au crépuscule ; en cours de route, j’avais à changer de train à Leipzig où deux bonnes heures de battement séparaient l’arrivée et le départ de mes trains.

Dès que j’eus mis le pied sur les quais de Leipzig, le personnel militaire de la gare transmit l’information à l’officier de service qu’un prisonnier de marque venait de débarquer. L’officier de garde lui-même se précipita à ma rencontre. Le chef de mon escorte lui fit par de son désir de profiter de son passage à Leipzig, ce qui impliquait qu’il souhaitait être débarrassé de moi pendant deux heures. L’officier de garde, ravi de cette aubaine qui lui promettait de rompre la monotonie de son service par une conversation avec quelqu’un qu’il présumait être très important, s’offrit immédiatement à me prendre en charge. Comme il savait que l’insigne qui distingue, à l’armée belge, les colonels est une barrette et trois étoiles, et qu’il ne savait pas qu’à part l’épaisseur et l’emplacement de la barrette, l’insigne des commandants répond à la même description, mon nouveau gardien me donnait du « Herr Oberst » par ci et du « Herr Oberst » par là. Cette confusion amusait mon escorte, mais celle-ci ne désirait pas détromper un officier de garde qui manifestait de si bonnes intentions, de peur que, s’il devait être déçu par mon manque d’importance, il perdit tout intérêt pour moi et refusât de se substituer momentanément à elle.

M’ayant introduit dans le petit salon mis à sa disposition à côté du corps de garde, m’ayant offert une tasse de cette horrible décoction de glands torréfiés dénommée « Wehrmacht Kaffee Michung », il m’adressa la parole dans son meilleur français :



- Vous êtes belche Monsieur le Colonel ?

Et moi de répondre :

- Je ne suis pas colonel, mais vieux capitaine, et je suis en effet belge.

- Ach so, wie interessant, je suis aussi catholique, Monsieur le Capitaine.

Ceci était pour moi l’occasion d’exprimer à un Allemand l’un de mes « dadas » habituels : l’une de ces dissertations que nos promenades circulaires le long des barbelés nous permettaient de mettre au point, d’approfondir et d’améliorer de mois en mois et d’année en année.

Je ne pouvais manquer cette occasion, et voici ce que j’expliquai à cet auditeur avide de m’entendre :

- Vous savez, cette distinction entre catholiques et protestants n’a pas, chez nous, l’importance que vous y attachez ici en Allemagne. Il y a moins de différence entre un protestant anglais et un catholique belge qu’entre ce catholique belge et un catholique espagnol ou entre ce protestant anglais et un protestant allemand.

Mon auditeur marquait déjà de la surprise et de l’intérêt, je continuai :

- Oui, il y a ce que j’appellerai le christianisme de la Mer du Nord, qui marque d’une façon assez semblable les Norvégiens, les Anglais, les Hollandais et les Belges, tandis que vous avez un christianisme propre à l’Allemagne.

Mon auditeur était de plus en plus surpris et intéressé :

- Chez nous, dis-je, l’idée de Dieu est indissolublement liée à l’idée de bonté. Nous disons « Bon Dieu », « Bonne Mère » ; les Anglais disent « Good God », les Flamands : « Goede God ». Vous dites « Lieber Gott ».

- Ja, das ist wahr ! interrompit mon gardien.

- Oui, vous dites « Lieber Gott », votre Dieu est un ami, un associé. Vous dites aussi « Gott mit uns », c’est bien un associé. Mais un associé pour quoi faire ? C’est un associé pour faire la guerre et faire triompher la Grande Allemagne, le Germanisme Impérial. Votre Dieu c’est le Dieu des armées, le Dieu terrible à l’épée flamboyante ; si le nôtre est le Christ, le vôtre est Jehovah.

- Ach ja, das ist wahr !

- Oui, notre Dieu est le Dieu du Nouveau Testament, le vôtre est celui de l’Ancien ; en réalité votre Dieu est le Dieu des Juifs !

- Ach, Monsieur le Capitaine, ne dites pas ça, taisez-vous, c’est tanchereux !

Mon geôlier rougit et la conversation en resta là !












"  Jamais ne Désespère..." Anecdotes de captivité militaire en Allemagne 1940-1945 racontées par Henri Decard et illustrées par Jean Remy officiers de réserve de l’Armée Belge. – Librairie Parchim (Marcel Vanden Borne) 57bis, Rue du Sceptre, Bruxelles - 1951



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samedi 2 décembre 2017

MAMIE ou le monde enchanté de Maria Mudès

 Maria MUDèS     (1902-1998)


et son monde enchanté







      blason de Bégard








Écartelé : au premier et au quatrième d'argent plain, au


 deuxième et au troisième d'azur à la quintefeuille d'or. 







Plan de situation 














               SOUVENIRS D'ENFANCE
Sur un coteau, paisible et tranquille
Se dresse en Bretagne, la petite ville
Où j'ai vu le jour.
Que vous veniez du nord ou du midi,
De l'est ou de l'ouest,
vous verrez toujours
Bégard et ses églises riant sous le soleil
Ou palissant sous la pluie.
O mon pays natal,
à mon cœur sans pareil ! 

Je suis née à Bégard le 8 mai 1902, le temps passe



c'est loin et si près à la fois. Bien sûr tout a changé, une



révolution industrielle a transformé mon pays natal

tout a bougé, l'habitat surtout; nous vivons désormais


à l'échelle planétaire, à l'aube de ce fameux an 2000

dont on parle tant...

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