mardi 9 janvier 2018

LA VIE AU CAMP IV D






   




L'OFLAG IV D

AMBIANCE D'INSTALLATION

À quelques quatre kilomètres de ce bourg, notre colonne à pied gagna le camp OFLAG IV D en un lieu dit Elsterhorst.
( OFLAG est le terme condensé de Offizierslager ou camp d'officiers prisonniers ou Kriefsgefangene Offiziere)
Ce camp est un ensemble de baraques en bois disposées en blocs séparés par des barrières en fil de fer barbelé de deux mètres de haut. L'ensemble du camp est entouré d'un solide réseau de fil de fer de même hauteur renforcé par endroits et surveillé à l'extérieur par des miradors d'un étage équipés de mitrailleuses. La surveillance est complétée par des sentinelles. Une allée centrale partage le camp avec une porte d'entrée à chaque extrémité. À l'une il y a le poste de garde, à l'autre la komandatur et des baraques de services. Au centre du camp une vaste baraque perpendiculaire à l'ensemble des blocs, la cantine avec une grande salle et d'autres petites pièces. Dans l'une habitera le Colonel Meunier qui sera le responsable des Officiers français vis à vis du chef allemand. Celui-ci est un vieux colonel prussien d'une autre époque, secondé de deux ou trois Officiers relativement jeunes.
À l'extrémité du camp, tout contre l'entrée principale où se trouve le corps de garde, un bloc est occupé par le détachement de garde allemand. À côté un lazaret ou infirmerie.
Dans une cour se dresse un bâtiment en dur avec une haute cheminée, les douches et la désinfection, on l'appelait le " Lauseclum, soit "mausolée aux poux ".
Ce camp a été longuement et minutieusement décrit et dessiné, il suffit de se reporter au livre d'un Officier prisonnier : " derrière les barbelés " ainsi que l'album illustré du camp de Monsieur Curtil ex PG du camp.

UNE NOUVELLE VIE  COMMENCE
 
Nous étions six mille officiers de tous grades jusqu'à celui de colonel, dans cet Oflag à l'aspect rébarbatif, qui s'étendait dans une plaine sans aucun relief, morne, dépourvue presque totalement d'arbres sauf une touffe autour de l'unique maison d'Elsterhorst à proximité du camp. Pays très pauvre, de culture maigre, seul le sous-sol recèle de la lignite dont certains gisements sont exploités. Rarement dans les champs autour du camp nous apercevions quelques paysans, hommes et femmes. Ils avaient l'air de slaves, les hommes bottés, mais surtout les femmes avec leurs longues et amples robes ; cela nous avait frappés.
Au début, une partie du camp était occupée par des soldats français prisonniers qui nous fournissaient des ordonnances. Ceux-ci, qui rentraient chaque soir dans le camp des soldats, nous permettaient d'avoir quelque liaison avec l'extérieur, mais bientôt tous les soldats français furent expédiés ailleurs. Il ne resta que les ordonnances et peu à peu les liaisons avec l'extérieur se réduisirent aux civils allemands d'Hoyerswerda qui avaient un service à remplir au camp : conducteur de charrettes d'enlèvement de poubelles ou de véhicules amenant du ravitaillement à la cantine ou encore apportant les caisses d'effets de la Croix-Rouge, les gens étaient d'ailleurs en compagnie de militaires allemands qui ne les quittaient pas d'une semelle.
La vie à laquelle il fallait s'habituer était inactive et nous laissait désemparés, car elle venait après l'activité fébrile de la bataille où l'on ne dormait plus, l'esprit sans cesse tendu pour faire face aux opérations, soit dans les déplacements vers la Hollande à travers la Belgique, soit après le repli dans les combats de Douai et de Lille. Les privations de nourriture, l'inconfort des chambrées, le sommeil sur des planches avec une paillasse de ripes de bois fut un dérivatif à nos pensées. Beaucoup qui venaient de passer les six ou huit mois de guerre d'attente sans la moindre activité de guerre, la " drôle de guerre " comme elle était appelée, avaient pris des habitudes de confort et surtout d'excès de nourriture. Ils étaient gros et adipeux, aussi leurs préoccupations d'alimentation furent elles primordiales et leur angoisse assez grave quand ils virent leurs kilos fondre au fil des jours. Le seul appoint possible de ravitaillement nous venait de France par petits paquets de 1 à 2 kilos, certains en auraient dévoré l'emballage s'il avait été comestible...
La portion congrue à laquelle nous étions réduits chaque jour consistait en du malt très clair le matin ; à midi une écuelle de soupe où la viande n'apparaissait que pour mémoire et le soir cinq groseilles à maquereaux ou une rave… Aussi les protestations furent vives. Le Colonel allemand répondit un jour au Colonel Meunier qui apportait les doléances :
" Vous êtes arrivés trop nombreux à la fois et je ne suis pas responsable si les Français mangent en un jour la quantité de viande qui est attribuée pour une semaine aux Allemands non travailleurs "
Certains aussi qui avaient des maux de foie, d'estomac, de reins, des tiques, virent cependant beaucoup de leurs malaises s'atténuer, sinon disparaître avec leur amaigrissement. Des officiers ont perdu jusqu'à trente kilos.
Cette période de privation durement ressentie venait ajouter comme un pénitence nouvelle à l'épreuve douloureuse de la défaite, de l'incertitude sur le sort des familles devant l'invasion que l'on savait totale par la lecture de la presse allemande. Le moral baissait. Mais contre toute attente on ne sentait pas un désespoir définitif s'installer chez tous. Quelque chose d'inconscient, d'irraisonné nous soutenait quand même, sans pouvoir entrevoir comment la France sortirait de là. Personnellement, je possédais profondément ce sentiment et je ne désespérais pas.
Mes conversations  pendant le trajet m'avaient laissé une opinion sur l'Allemagne : je ne la voyais pas une, homogène, cohérente dans la profondeur de ses structures et de ses esprits bien que je me rendisse compte cependant qu'il y avait une jeunesse fanatique, prête à toutes les folies que lui demanderait Hitler.
Un exemple : Il y avait au camp une jeune Gefreite (caporal) fils d'un chef nazi de Leipzig, il s'occupait de surveiller notre organisation de Croix-Rouge . Un jour je suis rentré dans notre bureau bien chauffé où il se trouvait avec un officier français professeur d'allemand. Je dis à la cantonade, ce qui lui fut traduit tout de suite, :
" - Il fait un sale vent et ce pays est vraiment abominablement froid, je vous plaints d'y vivre l'hiver " ajoutai-je en regardant le Gefreite,
Vivement il me répondit :
" - Oh ! non nous ne sommes pas à plaindre, l'an dernier par pareil temps je faisais partie d'une équipe de jeunes du Service du Travail et nous redressions le cours d'un torrent, nous étions dans l'eau avec des bottes de caoutchouc et c'était autre chose que de marcher dans le vent ",
Je ripostai :
" - Vous ne deviez pas bénir les chefs qui vous faisaient exécuter ces travaux en une telle saison " ?
" - Détrompez-vous, me dit-il, nous étions fiers et heureux de travailler ainsi pour le Führer de la Grande Allemagne ; s'il le fallait nous recommencerions ".
Le même à qui j'avais dit un jour :
" - Vous êtes de Leipzig, triste souvenir que cette ville et ce nom pour nous Français ! Napoléon y fut battu par une coalition dans laquelle était la Prusse. À ce moment là d'ailleurs vous étiez amis des Anglais… Ah ! les Anglais, il ne fait pas bon être leur ennemi. Ils ont vaincu Napoléon et cependant Napoléon… ! Mais voilà, Napoléon à Boulogne n'a pas pu franchir avec sa flotte et son armée les 30 kilomètres du Pas-de-Calais ! L'Angleterre n'a pas connu, n'a jamais connu d'invasion depuis les Normands. Pour les vaincre, il faut franchir avec une armée ces 30 kilomètres de mer.
Brusquement, il coupa le lieutenant qui avait traduit et rétorqua :
" - Le Colonel connaît bien son Histoire mais les temps ne sont plus les mêmes. Quand Hitler le voudra nous franchirons cette mer, dussions nous le faire sur un pont de cadavres, on ne nous en empêchera pas ".
" J'arrêtai là cette conversation. Je ne sais ce qu'il est advenu de ce garçon fanatique. Pour moi, j'étais confirmé dans mon idée que les Allemands allaient être embarqués dans une fantastique aventure et j'en fis part à quelques uns de mes officiers à l'occasion des " Tuyaux sur la Paix ".
Les prisonniers croyaient la guerre perdue totalement et pensaient qu'on allait faire la paix, c'était logique.
En juillet 1940, des bruits venus du dehors circulaient sur la paix.
Il y a actuellement dix huit cent mille prisonniers français, dit-on. Pour les Allemands la guerre continuera avec l'Angleterre, la guerre nécessite du ravitaillement de toutes sortes, des évacuations, etc…, par conséquent en n'envisageant que le point de vue des transports, on n'utilisera que ce qui ne sera pas employé à la guerre pour le rapatriement des prisonniers. Par exemple : cent mille par mois, dix huit mois seront nécessaires.  Nous avons vu l'Allemagne, les nazis, les troupes, j'ai l'impression que nous avons devant nous une Allemagne insoupçonnée, très différente de celle de 1914, une Allemagne entraînée et dominée par des fanatiques surtout après leurs victoires de Pologne et de France. Ils vont tenter des choses formidables… nous allons revivre l'épopée napoléonienne, style allemand mais à l'échelle du siècle. Le rapport d'homothétie quant à la durée, je ne le connais pas. Cela durera peut être longtemps, longtemps… mais croyez-moi, je pense que ces gens là vont faire des folies et vont agir avec démesure. Ils iront au-delà de la limite d'élasticité, ils la rompront et perdront la guerre, cela sans autre argument qu'une intuition ; mais je vous dis, vous qui êtes jeune, partez, apprenez l'Allemand, regardez si le réseau de barbelés, un jour, n'a pas un trou pour y passer… Évadez-vous, et vous risquez d'être plus vite chez vous qu'en attendant la paix. Mais il faut se préparer minutieusement. "
Je n'attendais pas d'issue à la guerre avant longtemps et j'espérais bien être présent à cette issue dans un rôle actif.
Nous n'avions pas entendu, et pour cause, l'appel du Général de Gaulle. Nous suivions par la presse allemande le changement que l'exode, l'armistice apportaient à la vie de la France. Le partage par la ligne de démarcation, l'apparition de l'état français, le grand chambardement intérieur, tout cela me paraissait une étape sans que je sache pourquoi.
 



Dans un aussi vaste camp les six mille Officiers constituaient une véritable petite cité communautaire. Parmi les prisonniers se trouvaient de nombreuses personnalités de valeur dans toutes les branches de l'activité humaine : des professeurs, des prêtres, des pasteurs, des artistes, des ingénieurs… Bientôt il y eut une chapelle, une université, un théâtre avec sa troupe, des cours et des conférences de toutes sortes…
Une multitude de prisonniers étaient inscrits à l'Université, d'autres suivaient des cours spécialisés d'ingénieurs, etc… Cette activité fébrile n'était qu'un dérivatif à nos inquiétudes, voire à nos angoisses. Nous cherchions à oublier le désarroi mental dans lequel la défaite nous laissait. Vaincus, nous méditions sur la précarité de la condition humaine, sur la fragilité même de notre civilisation.
Hier dans un cadre ordonné, chacun était un chef, commandait, avait de graves responsabilités dans le feu de l'action. Subitement les armes sont tombées de nos mains, l'autorité disparue ; le dernier soldat ennemi est le maître et impose la règle qu'on lui a prescrit de nous appliquer et que parfois il enfreindra au détriment du vaincu par pur arbitraire. Un coup de crosse, un coup de feu sur un imaginaire geste de refus ou même sur un traînard épuisé. Le P.G., fut-il officier, n'est plus qu'un numéro qui fait un effort désespéré et vain pour se faire considérer autrement, pour faire admettre que même pendant la guerre il reste une individualité propre, un être humain.
Ces introspections amenaient souvent un retour de spiritualité, souvent oubliée et dédaignée dans la tourmente. Grâce aux aumôniers catholiques et aux pasteurs, une œuvre d'édification naquit dès le début dans le camp souvent au prix d'efforts considérables de la part des prêtres arrivés au camp, épuisés.
La chapelle ne désemplit plus de toute la journée, elle servait aux catholiques comme aux protestants.
Ce réveil spirituel se fit surtout sous l'énergique impulsion du R.P. Ste Marie, Jésuite, aumônier d'un corps d'armée, qui dans la précédente guerre mondiale avait été trépané à la suite d'une grave blessure. Bien qu'âgé, ce prêtre magnifique de ferveur galvanisa les autres aumôniers et les officiers. Il refusa d'être rapatrié avec le personnel sanitaire.
Un soldat français disait à un de ses camarades en le voyant passer :
" - Tu vois, le vieux curé à la barbe grise, il a refusé d'être rapatrié. Mon vieux, mon vieux tu parles !… " tant il sentait de grandeur dans le geste du R. Père.
Mais pour les prisonniers imprégnés de leur foi, un problème de conscience se posait à ceux qui voulaient s'évader. Fallait-il par une évasion se soustraire à l'épreuve de la captivité que la Providence leur avait imposée. Ne fallait-il pas la subir, en faire jaillir une élévation plus grande de son âme par une vie religieuse plus intense et quasi monastique ? Des religieux étaient de cet avis mais le R.P. Marie déclara que le Chrétien ne doit pas être fataliste, qu'il a sa liberté d'action, qu'il a le droit d'oser, laissant à Dieu le soin de faire de son action un succès ou une continuation de l'épreuve.
 


 Au début de la captivité, l'afflux énorme de prisonniers avait submergé les organisations des Oflags. La surveillance générale du camp avait des fissures et dans le brouhaha et les allées et venues, la sortie était possible. Quelques Officiers la tentèrent, une réussite, mais peu à peu le problème de la sortie du camp devint plus complexe. Chaque évasion manquée ajoutait en quelque sorte un verrou à notre Oflag. Il fallait donc éviter de brûler les sorties repérées et patienter jusqu'au moment où les préparatifs, la mise en condition, le plan serait parfaitement au point.Uniforme français

  La véritable monnaie allemande était le Reichsmark alors que dans le camp c'étaient des lagermarks (marks de camp, réservés aux prisonniers). lagermarks (marks de camp, réservés aux prisonniers). Reichmarks de campsMais si ces lagermarks avaient au camp la même valeur que les vrais marks, ils étaient pratiquement inutilisables au dehors, sauf pour les soldats détachés en kommando qui pouvaient s'en servir avec les commerçants et avoir des vrais marks dans les échanges avec eux.  Nous parvenions à échanger chaque Reichmark contre trois lagermarks, opération très fructueuse pour eux (300 % )

Parallèlement, je commençai mon entraînement. Ma maxime fut : " TOUJOURS DEBOUT, TOUJOURS DEHORS ".

Les Allemands eurent l'idée de regrouper dans une même baraque tous les officiers supérieurs du camp, ne laissant que les officiers subalternes dans les autres. 

 Les jeunes Officiers étaient beaucoup moins portés à geindre sur leur sort, sur les privations et tous s'étaient inscrits dans des cours ou suivaient des conférences pour perfectionner leurs connaissances professionnelles. A l'appel quotidien du matin les officiers des baraques se groupaient en formations carrées dans la cour.
Les Officiers supérieurs stagnaient perpétuellement auprès de leur travée de baraque jouant au bridge ou s'occupant de mille riens.
 
Mon emploi du temps était : de bonne heure messe, petit déjeuner, toilette et sitôt l'appel j'allais nez au vent dans le camp pour prendre les nouvelles, lire les journaux, marche de 12 kilomètres par jour au minimum en parcourant un certain nombre de fois les cours de chaque bloc quel que soit le temps et en observant minutieusement le fonctionnement de tout le système de surveillance allemand. Il fallait faire ces marches en épargnant le plus possible mon unique paire de chaussures. Ce détail a été très préoccupant jusqu'à l'arrivée de vêtements de la Croix Rouge.
Parfois, je remettais mes marches à l'après-midi...
Le soir les nouvelles étaient lues tout haut à tous rassemblés.

http://perso.wanadoo.fr/aetius/kg/KGPiletmark.htm.

 Nous recevions des colis avec des biscuits, des figues, du chocolat, du lait condensé qui permettaient sous un volume réduit de s'alimenter substantiellement pendant un certain nombre de jours.

Le camp est situé dans un terrain de sable très plat formant un vaste rectangle de 750 à 800 m divisé en blocs. Dans chaque bloc il y a quatre baraques en bois qui sont élevées de 30 à 40 cm au dessus du sol. L'ensemble du camp est entouré de deux rangées de fils de fer barbelés de 2 m 50 de haut, distantes de 2 m 50 environ. Il y a dans leur intervalle un hérisson de fil de fer barbelé de 0 m 75 de haut fixé au sol par des piquets en fer. Les sentinelles entourent l'enceinte : une toutes les 150 mètres, il y en a dans les miradors. À chacun des quatre coins du camp un très vaste mirador, plus élevé et plus vaste que les autres permet de loger deux hommes en permanence, complètement à l'abri.
Ils ont d'excellentes vues fichantes, ils disposent d'armes automatiques et deux ou trois phares d'automobile orientables à leur gré avec lesquels toute la nuit ils balayent le camp.
Le réseau est éclairé par des lampes électriques dont les cônes de lumière se recoupent sur le sol, mais en laissant toutes les sentinelles extérieures dans l'ombre. La nuit, il est interdit de s'approcher du réseau. En cas de panne de lumière ou d'alerte, les officiers sont bloqués dans les baraques et tout le service de garde de la périphérie est renforcé.

Le système de surveillance comporte aussi des chiens. Dans le camp, un seul bloc habité par les officiers a ses baraques en bordure du réseau. La baraque la plus proche du réseau en est à 5 mètres environ, c'est la baraque 40 (voir croquis). Mais comme elle avait été utilisée en octobre 40 pour faire le premier souterrain qui a avorté à la suite d'un éboulement, elle n'était plus occupée et ne servait que de jour pour les cours de l'Université du camp. La nuit, elle était fermée par les Allemands après une fouille sévère et une sentinelle à l'extérieur du réseau la surveillait en permanence. Les Allemands, pour éviter un nouveau tunnel, avaient creusé tout au long, entre elle et le réseau, un fossé d'un mètre quatre vingt environ de profondeur. Nos deux officiers qui avaient entrepris le deuxième souterrain au mois de janvier l'avaient fait partir de la baraque suivante (baraque 38) située à environ 10 mètres de l'autre.  
















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