Que sait-on de l’étoile de Bethléem ?
Cet astre n’est évoqué que dans un seul évangile canonique, celui de Matthieu. Des mages venus d’Orient arrivent à Jérusalem et demandent «où est le roi des Juifs qui vient de naître, car nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus pour l’adorer.» Le roi Hérode «fit appeler en secret les mages et s’enquit soigneusement auprès d’eux depuis combien de temps l’étoile brillait». Il les envoie alors vers Bethléem, en Judée, où le Christ est supposé naître. Les mages se mettent en route « et voici l’étoile qu’ils avaient vue en Orient marchant devant eux jusqu’à ce qu’étant arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s’arrêta. » Ils entrent, voient Marie et son enfant, se prosternent devant lui et offrent «en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe». «Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.»
L’épisode est bref et l’Évangile selon Matthieu est le seul texte du Nouveau testament à le mentionner. On note que les mages n’y sont pas «rois» et qu’on n’y trouve pas plus leur nombre que leurs noms. Ce sont des textes bien plus tardifs qui développeront tous les détails de l’histoire telle qu’elle s’est transmise jusqu’à nous. Pour être parfaitement complet, signalons que l’étoile de Bethléem est citée dans un évangile apocryphe, celui de Jacques, mais qu’il s’agit selon les spécialistes d’un emprunt au texte de Mathieu, qui n’apporte aucun indice supplémentaire.
Prenons ainsi cet exercice, comme beaucoup de gens avant nous, et Mark Matney en particulier, comme un simple jeu de détective. Trois principales hypothèses ont été formulées au cours des années : l’étoile de Bethléem pourrait être une supernova (une explosion d’étoile qui fait brusquement apparaître un nouveau point lumineux dans le ciel, qui reste visible plusieurs semaines avant de disparaître), une conjonction planétaire (par exemple le rapprochement de Jupiter et Saturne dans la constellation du Poisson, d’après une hypothèse émise par Kepler) ou bien une comète.
Pour des raisons politiques, les astronomes chinois pouvaient être tentés de transformer les supernovae en comètes
Yaël Nazé, astrophysicienne FNRS à l’université de Liège et spécialiste de l’histoire de l’astronomie
Si la première hypothèse semble la plus « naturelle », les sources astronomiques anciennes, de Chine et de Mésopotamie, ne font pas état de nouvelle étoile au moment de la naissance de Jésus, que l’on date aujourd’hui aux alentours de l’an -5 ou -6 avant notre ère (une grossière erreur de calcul faite au VIe siècle lors de l’établissement de notre calendrier est à l’origine de cette naissance de Jésus « avant lui-même »). À moins que la «comète» de - 5 mentionnée dans un ouvrage chinois ne soit en réalité une supernova, une explosion d’étoile. « Pour des raisons politiques, les astronomes chinois pouvaient être tentés de transformer les supernovae en comètes », souligne en effet Yaël Nazé. « Car si la comète est un mauvais présage, la supernova est pire encore ! L’observation a pu être édulcorée pour ne pas déplaire à l’empereur. » Cela expliquerait en outre pourquoi la «comète» en question n’a pas quitté la constellation du Capricorne pendant les 70 jours où elle était visible, entre mars et avril, alors qu’en se rapprochant de la Terre, les vraies comètes se déplacent de jour en jour sur le fond du ciel.
Problème de mécanique céleste
Nous en arrivons ainsi au scientifique de la Nasa, Mark Matney. Inspiré lui aussi par cette histoire de comète chinoise de l’an - 5, il s’est posé une question radicalement différente : se pourrait-il que cette comète ait une trajectoire compatible avec la description de Matthieu ? Il a alors mis ses compétences de modélisateur à la résolution de ce problème de mécanique céleste, pour parvenir à une conclusion amusante : dans certains cas bien particuliers, une comète aurait pu être visible sans trop bouger dans le Capricorne en mars-avril et avoir lors d’une journée de la mi-juin un comportement extrêmement étrange en passant au plus près de la Terre et en devenant assez brillante pour être visible en plein jour. Elle aurait pu se trouver visible dans le ciel du matin, montant presque en ligne droite au sud-sud-ouest, avant de s’arrêter pendant deux heures près du zénith (entre 10h et midi) et de reprendre sa route vers l’ouest.
En vert, la trajectoire de la comète putative dans le ciel au cours de la journée du 8 juin en - 5 avant J.C. et en bleu la direction Jérusalem-Bethléem (la trajectoire du Soleil en rouge). Journal of the British Astronomical Association/ Mark Matney
Si l’on reconstruit l’histoire, les mages auraient été alertés par la comète en mars-avril, puis l’auraient suivie en plein jour mi-juin « marchant devant eux jusqu’à ce qu’étant arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s’arrêta ». Ce scénario est bien évidemment impossible à démontrer et il n’explique pas complètement pourquoi la cour du roi Hérode serait passée à côté de l’événement, mais il n’est pas dénué de poésie. Laissons ainsi le mot de la fin au frère Guy Consolmagno : « Pourquoi fais-je de l’astronomie ? En fin de compte, parce que j’apprécie la façon dont la compréhension de l’univers me rapproche du Créateur. Pourquoi fête-t-on Noël ? Pour célébrer la Joie dans le monde. Alors amusez-vous à vous demander à quoi cela aurait pu ressembler si vous aviez été là avec les rois mages il y a deux mille ans. Qu’auriez-vous vu ? Utilisez votre imagination d’enfant. Ne vous inquiétez pas si vos idées ne correspondent pas à celles des experts. Amusez-vous. C’est la saison de l’émerveillement et de la joie enfantine. »