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Dans Tous tes amis sont là, Alain Dulot retrace les derniers jours du poète Paul Verlaine, jusqu'à son enterrement, le 10 janvier 1896, auquel assista à l'époque tout le gotha littéraire, à l'image de Stéphane Mallarmé, Anatole France ou encore Emile Zola.
Pourquoi il faut le lire. "Ces cinq kilomètres, du Quartier latin au cimetière des Batignolles, accomplis sous un ciel bleu et glacial, Alain Dulot nous les fait vivre avec une intensité remarquable. De même, nous embarque-t-il dans les dernières pensées de Verlaine, égrenant ses regrets et remords, ses coups de folie et de génie", écrit notre journaliste Marianne Payot.
Évidemment, ils ne furent pas deux millions, comme lors des funérailles de "l'empereur" Victor Hugo, à accompagner la dépouille du "prince des poètes", mais entre 3 000 et 10 000 personnes tout de même. Beaucoup d'étudiants, des adultes aussi, et tout le gotha littéraire (Mallarmé, Anatole France, Paul Fort, François Coppée, Maurice Barrès, Emile Zola, etc.) battent le pavé parisien en ce 10 janvier 1896. Ces cinq kilomètres, du Quartier latin au cimetière des Batignolles, accomplis sous un ciel bleu et glacial, Alain Dulot nous les fait vivre avec une intensité remarquable. De même, nous embarque-t-il dans les dernières pensées de Paul Verlaine, égrenant ses regrets et remords, ses coups de folie et de génie. Enarque et ex-inspecteur de l'Education nationale, l'auteur, né à Chazey-sur-Ain en 1948, a remisé ici la langue administrative contre celle du meilleur des conteurs, à la fois enchanteresse et avertie, empathique et charmeuse.
Lorsqu'il est emporté le 8 janvier, à 51 ans, par une congestion pulmonaire en son domicile du 39 de la rue Descartes, "le Villon des temps modernes" achève une décennie de "noyades". Eternel pilier de comptoir et d'hôpital (notamment de celui de Broussais, où il bénéficie, grâce à la protection de son médecin-chef, d'un traitement de faveur), Paul Verlaine ne s'est jamais remis de la mort de sa mère, "la femme de sa vie", dans un gourbi parisien. Celle-là même qu'il avait menacée avec un couteau de cuisine, un soir d'ébriété excessive, acte pour lequel il avait été condamné à un an de prison. Au préalable, il y avait eu Rimbaud, avec qui il avait partagé le goût du vagabondage et de l'absinthe (la "fée verte") et trois années "d'amours de tigres" avant qu'il ne le blesse d'une balle au poignet. Ainsi va la vie de l'auteur de Fêtes galantes, entre fulgurances et excès. Marianne Payot
Temps courbe à Krems
Par Claudio Magris, trad. de l'italien par Jean et Marie-Noëlle Pastureau.
Gallimard/L'Arpenteur, 120 p., 12,50 €.
La note de L'Express : 4/5
A un âge où les horizons déclinent et où l'on s'attend à une perte des facultés du corps et de l'esprit, le présent s'immisce ici comme de possibles lignes de fuite vers une liberté retrouvée. Dans le recueil de nouvelles Temps courbe à Krems, cinq personnages, d'un âge avancé, décrivent un événement qui les plonge dans une introspection sur la vieillesse. Un musicien rend visite à un ancien élève - devenu Maître - dans la demeure où il lui donnait cours lorsque le maestro était jeune homme ("Leçons de musique"). Un écrivain assiste au tournage d'une adaptation de son roman autobiographique, ce qui lui offre "la vision d'[un] vieillard de nouveau vieux après avoir été rajeuni par un enjôleur" ("Extérieur jour Val Rosandra")...
Claudio Magris propose une balade poétique et érudite dans la Mitteleuropa qui lui est chère, au rythme d'une écriture qui alterne entre la conscience sereine du temps qui passe et la frénésie des souvenirs qui resurgissent. "Faire semblant d'avoir perdu le fil" quand on ne souhaite guère poursuivre une conversation, être rappelé à des souvenirs que l'on a complètement omis, attendre des nouvelles de ses petits-enfants, être à la fois l'invité d'honneur - parce que doyen, ancien patron ou artiste de prestige - et en même temps mis à l'écart d'un monde en marche accélérée, animé par de nouvelles tendances. A 82 ans, ce grand maître de la littérature présente, non sans un art du détachement et une fine maîtrise de l'ironie, un panel de réflexions et d'anecdotes qui explorent les ambiguïtés et les aléas de l'âge. "Toute la vieillesse se résume à cela : avancer pour reculer." Marie Fouquet
Benjamin Constant
Par Léonard Burnand
Perrin, 347 p., 23 €.
La note de L'Express : 3/5
N'en déplaise à Joël Dicker, la littérature suisse a commencé avant lui. Elle ne se résume pas non plus à Rousseau. Qu'a-t-on retenu de Benjamin Constant ? Bien qu'il figure dans la collection de la Pléiade, on ne se souvient souvent que d'Adolphe, ce qui est injuste - un livre comme Le Cahier rouge, drôle et délié, est du niveau de Stendhal. Quant à ses textes de philosophie politique, ils inspirent encore Marcel Gauchet ou Pierre Manent. Bref, il est toujours vivant, et c'est heureux que l'historien Léonard Burnand, directeur de l'Institut Benjamin-Constant, remette en lumière cet écrivain un peu oublié qui fut jadis très important - à sa mort en 1830, 150 000 personnes se pressèrent à ses funérailles.
Né en 1767 à Lausanne, Constant était d'après Chateaubriand "l'homme qui a eu le plus d'esprit après Voltaire". Tout le monde ne partage pas cet avis. Certains jalousent la vie sentimentale agitée du séduisant rouquin (sa longue liaison avec Mme de Staël, sa passion plus éphémère avec Mme Récamier). D'autres reprochent au penseur libéral son cosmopolitisme et son élitisme - son côté hors-sol, dirait-on aujourd'hui. Certes il fut ondoyant, mais qui ne le fut pas sous la Révolution, l'Empire et la Restauration ? Il fallait bien sauver sa tête. Burnand montre qu'il y a une constance chez cet homme multiple (à la fois romancier, intellectuel et député) : sa défense des libertés publiques. Nourri de sources inédites, son livre s'impose comme la nouvelle biographie de référence sur le sujet. On sait enfin la vérité sur l'affaire Benjamin Constant. Louis-Henri de La Rochefoucauld
Marianne Payot, Marie Fouquet et Louis-Henri de La Rochefoucauld