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À TRAVERS PERROS-GUIREC
Trois ans jour pour jour après le début de l'opération Barbarossa, les Soviétiques attaquent par surprise la Wehrmacht. Quelles seront les conséquences de cette opération sur le déroulement du conflit ? Peut-on lire cette offensive soviétique comme une « revanche » de Staline sur Hitler ?
Jean Lopez est journaliste et historien. Il est le directeur de la rédaction du magazine Guerres & Histoire et a dirigé avec l’historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale Olivier Wieviorka plusieurs ouvrages sur le conflit et ses conséquences.
Avec lui, nous nous sommes entretenus de l’opération Bagration, offensive prenant place sur le front de l’Est et qui, avec le Débarquement allié, scelle le destin de l’Allemagne nazie.
Propos recueillis par Arnaud Pagès
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RetroNews : En juin 1944, quelle est la situation des armées allemandes et soviétiques ? Où en est la guerre à l'Est ?
Jean Lopez : Après l'échec des opérations Barbarossa en 1941 et Fall Blau en 1942, les Allemands vont lancer une nouvelle offensive stratégique en 1943 à Koursk, sur une portion beaucoup plus restreinte du front. C'est un nouvel échec. A partir de là, le front recule d'environ 1 000 km vers l'Ouest.
En juin 1944, celui-ci est à peu près fixé le long de la frontière de 1939, sauf en Biélorussie, ou les Allemands demeurent profondément enfoncés. Il n'est plus question pour eux de passer à l'offensive. Ils sont clairement sur la défensive, d'où l'importance vitale pour eux de savoir où vont frapper les Soviétiques. Ils savent que ceux-ci préparent un « mauvais coup ». En parallèle, Hitler pense être en mesure de rejeter les Anglo-américains à la mer en quelques semaines, pour ensuite envoyer toutes ses troupes à l'Est. C'est pourtant un plan qui n'est plus dans les moyens de l'armée allemande.
Alors que les Alliés ont débarqué, les nazis pensent-ils encore qu'ils peuvent gagner une guerre dans laquelle ils s’enlisent inexorablement ?
Ils considèrent qu'ils auront plus de facilités à vaincre les Anglo-saxons que les Soviétiques. Hitler espère arriver à un match nul, et conclure ainsi un compromis. Il n'y a en tout cas aucune raison pour la Wehrmacht d'être optimiste à ce moment-là. Les officiers les plus lucides savent bien entendu que l'Allemagne ne peut plus gagner cette guerre.
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Militairement, l’armée rouge est-elle significativement supérieure à la Wehrmacht ?
En termes quantitatifs, l'Armée rouge est à peu près 2,5 fois plus grosse que son adversaire. Les Soviétiques ont plus d'avions, plus de chars, plus d'hommes, et beaucoup plus de canons.
Néanmoins, en 1944, la Wehrmacht n'a pas perdu toutes ses dents. Il lui reste un atout majeur, ses panzers. Les divisions blindées allemandes ont été les meilleures de toute la guerre. La Wehrmacht en possède 24 sur le front de l'Est, dont une grande partie est concentrée au même endroit, en Ukraine du nord. C'est cette fixation de divisions blindées, que les Soviétiques ont appris à craindre, qui va ordonner la séquence stratégique de l'opération Bagration.
Les Soviétiques ont l'œil rivé sur ce rassemblement de panzers. Cela représente environ 2 500 chars très modernes, servis par des soldats particulièrement expérimentés qui ont prouvé qu'ils pouvaient faire très mal à l'ennemi à l'Est comme à l'Ouest.
Quels sont les moyens exacts engagés par les Soviétiques ?
Sur le front, du Nord au Sud, les Allemands disposent environ de 2,6 millions d'hommes – et même 3,3 millions si l’on compte leurs alliés roumains, hongrois et finlandais... Les Soviétiques en ont à peu près 6 millions en première ligne. Pour les chars, l'Armée rouge joue à 2 contre 1, pour les avions à 5 contre 1, et à plus de 10 contre 1 pour les matériels d'artillerie. La puissance de feu soviétique surclasse largement les moyens allemands.
Mais, encore une fois, les adversaires de la Wehrmacht savent que celle-ci reste dangereuse même quand elle est en infériorité numérique. Ce sont des troupes expérimentées, qui disposent d'un encadrement de haute qualité. C'est un adversaire qu'il ne faut pas mépriser.
Comment les Soviétiques ont-ils fait pour amasser autant de moyens ?
Cela découle d'un choix stratégique et politique qui remonte à la fin des années 1920. En Union Soviétique, le pouvoir bolchévique estime qu'il vit dans une forteresse assiégée. Staline, comme avant lui Lénine, est persuadé qu'il n'y aura jamais de paix pour l'URSS. Le monde capitaliste et impérialiste voudra toujours la peau du régime car il s’agit du premier Etat ouvrier de l'Histoire. A ce titre, il est vital que l'URSS puisse faire face à la coalition d'au moins deux de ses plus puissants ennemis supposés.
Cela a amené Staline à diriger l'essentiel des moyens industriels et technologiques dont il disposait à la mise sur pied d'une énorme armée qui deviendra, dès 1930, le plus important instrument militaire au monde.
Aussi, malgré les pertes considérables subies par l'Armée rouge pendant les premières années de la guerre, elle conserve un potentiel de production largement supérieur à celui du IIIe Reich. A cela, il faut ajouter que les Américains et les Britanniques fournissent à l'URSS, dans le cadre des accords de la loi du Prêt-Bail, une quantité considérable de matériel technologique que les Soviétiques ne sont pas en mesure de produire.
Outre la supériorité militaire, le succès de l'opération Bagration semble tenir pour beaucoup dans l'effet de surprise... Comment les Soviétiques ont-ils pu cacher aux Allemands qu'ils disposaient d'un tel arsenal ?
Ils ont finement joué. Ils ont montré aux Allemands que leur main droite était très musclée, de façon à ce que ceux-ci ignorent ce que faisait leur main gauche.
Leur problème, ce sont les panzers stationnés en Ukraine du nord. Dans ce secteur, ils vont faire étalage de leur puissance en laissant visibles les six armées blindées dont la Wehrmacht sait qu'elles sont toujours l'élément le plus puissant des offensives soviétiques. Les Allemands sont dès lors persuadés que l'offensive aura lieu à cet endroit. Pendant ce temps, la main gauche, c'est-à dire l'opération Bagration, va être entièrement dissimulée.
Les Soviétiques ont choisi de frapper en Biélorussie, sur un terrain tout à fait défavorable composé de marais et de forêts, situé à 750 km de Varsovie. Les Allemands ne se doutent de rien car ils ne craignent pas grand-chose à affronter les Soviétiques à cet endroit – au pire un recul de 100 à 200 km maximum. En outre, l'Armée rouge va dissimuler de toutes les façons possibles les concentrations de troupes en Biélorussie, en les cachant dans des forêts, loin à l’arrière du front. Il ne faut pas oublier qu'à ce moment-là, les Allemands sont privés de leurs yeux et de leurs oreilles ; ils disposaient auparavant d'avions équipés de caméras extrêmement sophistiquées pouvant voler à très haute altitude. Là, ce n'est plus le cas et le ciel pullule de chasseurs soviétiques.
De même, les Soviétiques vont imposer à leurs troupes une discipline radio absolue, en privilégiant les éclaireurs et les porteurs de messages, ce qui fait que les Allemands ne peuvent pas espionner leurs conversations. La Wehrmacht ne peut que deviner ce que va faire son adversaire, et le haut-commandement imagine que les Soviétiques vont attaquer au centre du front sur la Vistule. Le 22 juin 1944, les Allemands sont donc complètement surpris par le lieu et la puissance de l'attaque.
Quel est le résultat ?
Pour la Wehrmacht, c'est une défaite absolument considérable, la plus importante de la Seconde Guerre mondiale. Un groupe d'armées est presque entièrement détruit, avec deux armées anéanties et deux autres très sévèrement diminuées.
L'Armée rouge a pulvérisé plus de 30 divisions allemandes et creusé un trou énorme au milieu du front. La Wehrmacht est obligée de reculer de plus de 500 km. Cela n'était jamais arrivé auparavant. Les Allemands évacuent en catastrophe la Biélorussie et, au mois d'août, le front est déjà à Varsovie. La débandade est totale.
Quel bilan peut-on donc tirer de cette opération, capitale pour l’issue de la guerre ?
Avec l'opération Bagration, l'armée allemande connaîtra son chant du cygne. L'Armée rouge vient border les frontières du Reich beaucoup plus tôt que ne le redoutaient les stratèges allemands. Cela signifie qu'une partie des moyens qui devaient être mis pour repousser les Anglo-américains sont affectés à l'Est, ce qui a facilité la progression des armées de Patton en France.
A quelques semaines d'intervalles, une double mâchoire est venue broyer la Wehrmacht, avec Bagration à l'Est et Overlord à l'Ouest. Pour les Allemands, tout est fini. La guerre durera cependant encore neuf mois.
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Jean Lopez est journaliste et historien. Spécialiste des enjeux militaires de la Seconde Guerre mondiale, il vient de faire paraître avec Olivier Wieviorka Les grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2020), et s’apprête à publier Les Maréchaux de Staline (Perrin, 2021) avec Lasha Otkhmezuri.
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