80e anniversaire de la libération d’Auschwitz : le défi de la mémoire
Le 27 janvier, les représentants des monarchies européennes ont participé aux commémorations organisées pour rendre hommage aux 1,1 million de déportés qui ont péri dans le camp de concentration. Un rendez-vous avec l’Histoire et, pour certains, un héritage lourd à porter.

Ils avancent le visage grave, conscients de l’importance du moment. Les souverains d’Europe sont réunis pour le 80e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, représentant chacun leur pays, dépositaires d’une histoire collective qui est aussi celle de leur famille.
Willem-Alexander des Pays-Bas est au premier rang. "Nous avons failli envers la communauté juive pendant la Seconde Guerre mondiale, et la nuit dernière, nous avons failli à nouveau", confiait-il au président israélien Herzog le 8 novembre 2024, au lendemain des agressions antisémites perpétrées en marge du match Maccabi Tel-Aviv-Ajax Amsterdam. Ce mea-culpa fait écho à d’autres excuses, présentées à la communauté juive au nom de la reine Wilhelmine, le 4 mai 2020. Le souverain dénonçait alors l’inaction et le désintérêt de son arrière-grand-mère, pourtant résistante, pour le sort des Juifs de son pays alors qu’elle était en exil à Londres.

Au Royaume-Uni, Charles III ne ménage pas sa peine pour entretenir le devoir de mémoire. Il est le premier roi britannique à avoir fait le déplacement jusqu’à Auschwitz. Parrain du Holocaust Memorial Day Trust, le souverain rencontre régulièrement des survivants de la Shoah, mais aussi des étudiants et des professeurs qui travaillent sur ce sujet.

En 2017, preuve de son engagement contre l’antisémitisme et le racisme, le Comité international d’Auschwitz lui offre une sculpture représentant un "B" à l’envers, tiré de l’inscription "Arbeit macht frei" – Le travail rend libre –, érigée à l’entrée du camp. Selon la légende, cette lettre aurait été sciemment inversée par un prisonnier rebelle comme un acte de résistance désespéré.
Défenseur de toutes les fois, Charles III est d’autant plus concerné par la persécution des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale que sa propre grand-mère paternelle s’est illustrée par son courage. Alors que la Grèce est occupée, Alice de Battenberg, mère du prince Philip, "héberge" à Athènes la famille Cohen dans son hôtel particulier.

"D’aussi loin que je me souvienne, elle n’a jamais parlé à personne de l’aide qu’elle avait apportée à cette famille au moment où les Juifs grecs étaient menacés d’arrestation et de déportation vers les camps de la mort", s’était ému le duc d’Édimbourg. Déclarée "Juste parmi les Nations", la grand-mère de Charles a été inhumée à Jérusalem.

Des histoires familiales entre ombre et lumière
"Lorsque je suis rentré en Italie en 2003, l’un de mes premiers actes fut de me rendre à l’Altare della Patria – l’Autel de la patrie – pour la journée de la mémoire lors de laquelle j’ai rencontré le grand-rabbin de Rome et le président Ciampi", confiait Emanuele Filiberto de Savoie à Point de Vue en 2021.

Il s’exprimait après la publication d’une lettre ouverte, le 27 janvier 2021, signée du sceau de la maison de Savoie, dans laquelle il se dissociait des positions de son arrière-grand-père, le roi Victor-Emmanuel III, et présentait ses excuses pour les lois raciales que celui-ci avait approuvées en 1938, cédant ainsi à Mussolini. Des mesures qui ont envoyé près de 8.000 Juifs italiens vers les camps de la mort.
"Apprendre cette histoire quand on est jeune, lire les œuvres de Primo Levi comme Si c’est un homme, découvrir les témoignages poignants de personnes qui ont été dans des camps de concentration, avoir sa propre grand-tante – la princesse Mafalda de Savoie, fille de Victor-Emmanuel III – morte le 27 août 1944 dans le camp de Buchenwald [...] Les pensées animant cette lettre, je les ai à l’esprit depuis toujours", nous livrait-il. Joignant le geste à la parole, le prince de Venise a également fait un don, au nom de la Maison royale de Savoie, à la synagogue de Viareggio, en Toscane, afin de financer des travaux de rénovation.

Au Danemark, où presque tous les membres de la minorité juive ont été sauvés par la Résistance et même la police, la mémoire est peut-être moins lourde à porter. Sous le règne de Christian X, une opération d’envergure a permis de faire passer 7.200 personnes en Suède et ainsi de les sauver. En 2023, l’arrière-petit-fils de Christian X, le prince Frederik, alors héritier du trône, a tenu à célébrer les 80 ans de cet épisode au Mémorial de la Shoah à Paris.

Le roi, tout comme sa mère, ont toujours participé aux commémorations. Margrethe II a plusieurs fois visité des synagogues, et inauguré le Musée juif de Copenhague en 2004. Les monarchies européennes sont devenues les garantes de la transmission, rappelant sans cesse le passé, ravivant la flamme du souvenir, souvent tragique, parfois héroïque, toujours douloureux. Preuve en est, la présence à Auschwitz, aux côtés de ses parents, de Catharina-Amalia des Pays-Bas, 21 ans et héritière du trône. Une façon de rappeler aux jeunes générations qu’il ne faudra jamais oublier.
Trois questions au roi Siméon II de Bulgarie

Sire, vous êtes devenu roi à 6 ans, en 1943, en pleine guerre mondiale, et après la mort soudaine de votre père, le roi Boris III. Votre tante, la princesse Mafalda de Savoie, a perdu la vie au camp de Buchenwald. Quel est votre état d’esprit à l’heure des commémorations de la libération d’Auschwitz ?
Je ne suis malheureusement pas le seul à avoir perdu des parents ou des proches pendant cette guerre, loin de là. Ces drames vous marquent et j’approuve pleinement le fait de commémorer la libération d’Auschwitz. J’ai pour ma part déjà visité les camps de concentration de Dachau et Mauthausen. Et, le 10 mars 2023, j’ai pris part, à Sofia, aux célébrations des 80 ans du sauvetage de nos compatriotes juifs.
À ce propos, il se dit que le roi Boris avait été assassiné pour avoir refusé de déporter des Juifs...
Comme vous le savez, la cause exacte de la mort de mon père, survenue après sa rencontre avec Hitler, n’a jamais été établie. Les thèses de représailles contre le "manque d’enthousiasme" de la Bulgarie envers l’Axe, et son opposition aux déportations ne sont certainement pas à exclure. Par ailleurs, selon de nombreux livres et témoignages, il est clair que la grande majorité de mes concitoyens n’étaient pas, et ne sont toujours pas antisémites. C’est une réalité dont les Bulgares sont très fiers !
En quoi consiste, selon vous, le devoir de mémoire ? Les monarchies ont-elles un rôle particulier à jouer à cet égard ?
Il implique éthique, morale et justice. Il s’agit d’apprendre du passé avec objectivité. Il est impératif de considérer les faits historiques dans leur contexte, d’éviter l’écueil du révisionnisme ou de la tentation de la vengeance... Je trouve significatif que de nombreux chefs d’État assistent aux commémorations.