Bicentenaire de Napoléon: 19 octobre 1812, l'armée des ombres

Après avoir poursuivi l'armée russe jusqu'à Moscou et être entré dans l'ancienne capitale, l'Empereur donne le signal de la retraite.




Sur l'illustration Le Maréchal Ney soutenant l'arrière-garde durant la retraite de Russie par Adolphe Yvon (1856). Bridgeman Images/Manchester Art Gallery

Lorsqu'il franchit le Niémen, le 24 juin 1812, Napoléon ne songe nullement à se rendre maître de Moscou. À la tête d'une armée d'au moins 500.000 hommes, il pense écraser rapidement un ennemi très inférieur en nombre. Dans sa proclamation du 22 juin, il affirme : «Soldats ! La seconde guerre de Pologne est commencée. » Il ne parle pas de guerre en Russie, preuve qu'il n'a pas à l'origine l'intention de pénétrer profondément dans le territoire russe. Il n'ignore pas le précédent désastreux de Charles XII de Suède.



La stratégie napoléonienne est simple : une campagne éclair que conclurait, comme à Austerlitz, à Iéna, à Wagram, une victoire décisive qui oblige l'adversaire à demander la paix.

Dans l'armée réunie par Napoléon, tous les pays de l'Europe sont présents, y compris l'Autriche des Habsbourg. En face, le tsar ne peut opposer que 200 000 hommes répartis en trois armées.
D'emblée, Napoléon marche sur Vilna où se trouve le quartier général d'Alexandre. Le tsar a voulu lui-même la rupture avec la France. Le Blocus continental frappe de plein fouet les exportations de blé, de chanvre et de bois, vitales pour la Russie. Alexandre soupçonne en outre Napoléon de songer à ressusciter à sa porte le royaume de Pologne. C'est un casus belli. Il a cru que l'alliance avec la France lui permettrait de dépecer l'Empire ottoman à son profit. Il sait désormais que l'Empereur est insatiable. Maître de Rome, ne songe-t-il pas à s'emparer de Constantinople ?

Mais à la grande surprise de Napoléon, les Russes ne livrent pas combat en Pologne. Ils abandonnent au contraire Vilna en flammes. Napoléon fonce sur Vitebsk, mais Barclay de Tolly recule une nouvelle fois jusqu'à Smolensk. Peur de l'affrontement, ou tactique de la terre brûlée ? Déjà, les rangs français fondent : la maladie, la chaleur, les désertions. Ce ne sont plus les soldats motivés d'Austerlitz, mais des étrangers peu soucieux de combattre pour une cause qui n'est pas la leur.

Le 18 août, les troupes de Napoléon entrent dans Smolensk, vide d'habitants et de subsistances. L'Empereur rattrape l'arrière-garde russe à Valoutina, mais Junot la laisse s'enfuir. Napoléon aurait dû rester à Smolensk pour refaire ses forces mais, dans sa hâte d'engager le combat décisif, il continue la poursuite au lieu d'aller frapper le coup mortel à Saint-Pétersbourg. Les Russes continuent à reculer vers Moscou, Napoléon se retrouve, sans l'avoir voulu, aux portes de l'ancienne capitale. Koutouzov, qui a pris le commandement de l'armée russe, ne peut abandonner « la ville sainte » à l'ennemi. C'est enfin l'affrontement, le 7 septembre, qui se termine par la victoire de Borodino (aux dires des Russes, qui mettent en avant la lourdeur des pertes françaises) ou celle de la Moskova (selon les Français), qui ouvre à Napoléon les portes de Moscou. La ville sera bientôt en flammes, incendiée sur l'ordre de son propre gouverneur, le comte Rostopchine : il ne sera pas dit que la Russie ait rien laissé d'elle-même en otage.
Le tsar devrait négocier. Mais le peuple russe entre en scène. Il veut chasser l'étranger de son sol. Sous la pression populaire, Alexandre Ier refuse la paix.

L'Empereur pourrait marcher sur Saint-Pétersbourg, malgré une armée affaiblie, mais son état-major n'a plus envie de combattre. Longtemps hésitant, Napoléon se décide à se replier sur Smolensk. Trop tard : la première neige tombe sur Moscou le 13 octobre.
Le 19, Napoléon abandonne le Kremlin et commet une deuxième erreur : il prend le chemin de l'aller. Les approvisionnements vont vite manquer, tout ayant été pillé lors de l'offensive. De plus, cosaques et paysans ne cessent de harceler les traînards et c'est maintenant à Koutouzov de poursuivre Napoléon. Il pense encercler le reste de l'armée française sur les rives de la Bérézina (victoire française au contraire de ce que l'expression consacrée suggère), mais grâce au courage des pontonniers d'Eblé, la plus grande partie des fuyards réussit à franchir le fleuve.

Alerté par la rumeur du coup d'État manqué du général Malet à Paris, Napoléon quitte l'armée, le 5 décembre, à Smorgoni. Il regagne à la hâte la France en traîneau, accompagné de Caulaincourt, tandis que sous le commandement de Murat puis du prince Eugène, sa Grande Armée, peu à peu, se dissout dans les steppes neigeuses. 500 000 hommes avaient franchi le Niémen en juin ; ils sont 25 000 à le repasser le 16 décembre. La comparaison des chiffres permet de mesurer l'ampleur du désastre

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