Pour 1969, le général de Gaulle laisse entrevoir une "étape nouvelle de développement et de prospérité", mais il sermonne les Français sur la conduite à tenir pour l'atteindre. "Encore faut-il que nous surmontions le malaise moral qui, chez nous plus que partout à cause de notre individualisme, est inhérent à la civilisation mécanique et matérialiste moderne. Faute de quoi les fanatiques de la destruction, les doctrinaires de la négation, et les spécialistes de la démagogie auraient encore une fois beau jeu de susciter l'amertume pour provoquer l'agitation." Dans son discours d'une quinzaine de minutes, le chef de l'Etat ne fait qu'une allusion rapide à son projet de référendum sur la régionalisation et la fusion du Sénat avec le Conseil économique et social : "C'est cela que nous réaliserons en associant les collectivités territoriales de notre pays et les catégories économiques et sociales. Soit au plan de la région, aux mesures qui touchent la vie locale ; soit au plan de la Nation, à la préparation des lois. Voilà la réforme de la condition des hommes, autrement dit de leurs rapports, qui doit marquer l'an de grâce 1969, et nous faire à la fois plus forts et plus fraternels." Quatre mois plus tard, 52,41% des Français lui dirent non. Et de Gaulle fit ses bagages.
31 décembre 1979 : "Que signifient des voeux pour cette fin d'année ?"
"Dans ce monde dangereux, à un moment où l'on voit flamber le prix du pétrole et de l'or, vous êtes en droit de vous interroger : que signifient des voeux pour cette fin d'année ? Est-ce une illusion que l'on vous propose ? Que peut-on attendre en 1980 et pour les années 80 ?" En plein choc pétrolier, Valéry Giscard d'Estaing se pose en homme qui n'esquive aucun sujet. L'exercice est singulier. Le président fait à la fois les questions et les réponses "en quelques mots simples et brefs parce que c'est pour vous une soirée de fête". Il y a de quoi refroidir l'ambiance. "Nous allons subir un nouveau choc, du fait de l'augmentation des prix du pétrole confirmée récemment à Caracas. La facture à payer pour la France et pour les Français sera plus lourde qu'en 1973 - 1974. Cela ne sert a rien de le dissimuler ou de le nier", assène VGE. "Nous allons connaître à nouveau le déficit de notre commerce extérieur, mais peu à peu nous rétablirons notre situation", ajoute-t-il quelques minutes plus tard. Pour adoucir ce langage de vérité, le président vend son bilan économique et social et exalte les réussites du pays, "le succès commercial d'Airbus, le lancement réussi d'Ariane, le développement sans précédent de nos télécommunications et de notre informatique". Une énumération très vintage.
31 décembre 1984 : "Permettez-moi un souvenir tout à fait personnel"
"Que la France et que les Français s'unissent sur l'essentiel ! Vous le constatez comme moi : ils se divisent à tout propos alors qu'ils sont si forts rassemblés." Le 31 décembre 1984, les voeux de François Mitterrand ont un parfum de désinvolture. Question de durée : à peine cinq minutes, générique compris. Question de fond, surtout : le président socialiste survole l'année 1984. Il n'évoque ni les manifestations contre la loi Savary, qu'il a été contraint de retirer, ni le changement de Premier ministre. Au lieu de cela, le chef de l'Etat donne une petite leçon de rassemblement à travers une parabole familiale au ton paternaliste. "Permettez-moi un souvenir tout à fait personnel, lance-t-il. Grands-parents, parents, frères et soeurs, cousins : nous n'étions jamais moins de 15 à 20 à la maison dans notre petite ville de Charente. Quand nous fêtions le nouvel an, il n'y avait pas de discours, mais j'entends encore un mot qui revenait constamment dans la bouche de mon père : tolérance. "Soyez tolérants entre vous", disait-il à notre petite troupe turbulente. Eh bien, mes chers compatriotes, un pays est comme une famille. On n'a pas les mêmes goûts, on n'a pas les mêmes idées, mais on a la même patrie. La nôtre est belle et grande. Aidons-la, servons-la, aimons notre patrie." Pas sûr qu'Emmanuel Macron puisse s'en tirer à aussi bon compte à l'heure où les Français attendent des réponses précises sur l'épidémie du coronavirus.
31 décembre 1997 : "Je vais vous dire comment les choses se présentent"
"En 1997, une nouvelle majorité a été élue. J'ai donc nommé un Premier ministre issu de cette majorité. Le gouvernement applique sa politique et je vais vous dire comment les choses se présentent." Après la dissolution ratée, Jacques Chirac vit des heures sombres à l'Elysée. En cette dernière soirée d'une année maudite, le président a deux objectifs. Le premier est de marquer son territoire face à Lionel Jospin : "Conformément à la lettre et à l'esprit de nos institutions, j'assume dans leur plénitude les pouvoirs et les devoirs de ma charge. Garant de la continuité de l'Etat, je suis aussi le gardien des valeurs de la République, au premier rang desquelles la liberté et la solidarité. Responsable de l'avenir de la nation, j'interviendrai chaque fois que ses intérêts seront en jeu pour vous dire ce que je crois être bon pour les Français ou, au contraire, dangereux pour la France."
Le second objectif est de préparer la suite des opérations. Pas de trêve des confiseurs. Jacques Chirac commence à creuser le sillon de l'insécurité en se livrant à une attaque de la majorité de gauche : "Il y a chez nous trop de violence, trop d'insécurité dans les écoles, dans les transports, dans les rues. Chaque jour les limites sont franchies au-delà desquelles la société se défait. C'est aujourd'hui, je le sais, avec le chômage, votre premier souci. L'Etat doit jouer son rôle. Il doit s'efforcer de mieux comprendre. Il doit prévenir. Il doit aussi punir quand il le faut. J'appelle chacun à prendre ses responsabilités. Que les citoyens respectent leurs devoirs. Que les pouvoirs publics restaurent l'ordre et la sécurité, qui est la première des libertés." En 2002, Lionel Jospin sera éliminé dès le premier tour de l'élection présidentielle.
31 décembre 2008 : "Nous allons sortir renforcés de cette crise"
"L'année 2008 s'achève. Elle a été rude." C'est un Nicolas Sarkozy en pleine tempête financière qui s'adresse aux Français ce soir-là, trois mois après la faillite de la banque américaine Lehman Brothers. Il est sans doute celui dont la situation ressemble le plus à celle d'Emmanuel Macron aujourd'hui. Un président de la République face à une crise mondiale, à la fois évolutive et incertaine. "Les difficultés qui nous attendent en 2009 seront grandes, dit Nicolas Sarkozy. Après avoir préservé les économies de chacun grâce au plan de sauvetage des banques, ce sont les emplois de tous qu'il faut désormais sauver." Un objectif qu'Emmanuel Macron pourrait partager au mot près. Comme l'actuel chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy se rêvait en président réformateur. Comme lui, il a été rattrapé par une crise inattendue et dévastatrice. À l'occasion de ses voeux, l'ancien maire de Neuilly-sur-Seine entendait dire aux Français qu'il n'avait rien perdu de son ardeur à rénover le pays. "Pour nous en sortir chacun devra faire des efforts, prévient-il dans son allocution. Car de cette crise va naître un monde nouveau auquel nous devons nous préparer en travaillant plus, en investissant davantage, en poursuivant les réformes qu'il n'est pas question d'arrêter car elles sont vitales pour notre avenir." Emmanuel Macron profitera-t-il de son discours de jeudi soir pour donner des nouvelles de sa réforme des retraites ?
31 mai 2015 : "La menace est toujours là"
"Les voeux que je vous présente ce soir ne ressemblent à aucun de ceux qui les ont précédés, car nous venons de vivre une année terrible. Commencée avec les lâches attentats contre Charlie Hebdo et l'Hypercacher, elle a été ensanglantée par les agressions commises à Montrouge, à Villejuif, à Saint-Quentin-Fallavier et dans le Thalys pour s'achever dans l'horreur avec les actes de guerre perpétrés à Saint-Denis et à Paris." .
C'est par cette funeste énumération que François Hollande commence son allocution. "Je vous dois la vérité, nous n'en avons pas terminé avec le terrorisme, poursuit-il. La menace est toujours là. Elle reste même à son plus haut niveau. Nous déjouons régulièrement des attentats."
Quelques jours plus tôt, le Conseil des ministres a adopté le projet de réforme constitutionnelle visant à déchoir de leur nationalité les individus condamnés pour terrorisme. La majorité socialiste regimbe, le risque d'embourbement - qui se vérifiera - est grand, mais François Hollande persiste sur sa promesse faite au Congrès de Versailles en novembre : "Il revient désormais au Parlement de prendre ses responsabilités. Le débat est légitime. Je le respecte. Il doit avoir lieu. Et quand il s'agit de votre protection, la France ne doit pas se désunir. Elle doit prendre les bonnes décisions au-delà des clivages partisans et en conformité avec nos principes essentiels." Quelques semaines plus tard, la ministre de la justice, Christiane Taubira, démissionne en signe de désaccord. Le début d'une deuxième année maudite pour François Hollande. Le 1er décembre 2016, il annonce qu'il renonce à se représenter.